France : L’industrie du tabac a déclaré plus de 800 000€ en lobby en 2023
11 juillet 2024
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 6 août 2024
Temps de lecture : 5 minutes
Selon les données publiées début juillet par le ministère de la santé, l’industrie du tabac a déclaré 805 992,55€ de dépenses relatives à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts, soit 13% de plus par rapport à 2022[1]. En tête, le fabricant British American Tobacco qui a dépensé près de 200 000€ en faisant appel aux sociétés Forward Partners, A.M.C et Ernst and Young Conseil (EY) et en rémunération en interne de lobbyistes. Le cabinet EY conseille également le concurrent Philip Morris.
Selon le code de la santé publique, ces dépenses liées à des activités d’influence ou de représentation d’intérêts comprennent entre autres les rémunérations de personnels employés en interne, pour tout ou partie des activités de lobby; les achats de prestations externes auprès de sociétés de conseil spécialisées dans l'influence ou encore les avantages en nature ou en espèces, dont la valeur dépasse 10€ à destination des parlementaires, membres du gouvernement ou autres personnels ayant pour mission de préparer des décisions relatives aux produits du tabac et de la nicotine.
Des dépenses essentiellement assurées par les principaux cigarettiers
Parmi l’ensemble des fabricants, importateurs, distributeurs de produits du tabac ainsi que les entreprises, organisations professionnelles ou les associations les représentant, six d’entre eux ont déclaré des dépenses d’influence pour un montant total de 805 992,55 € euros. On distingue notamment la Fédération des fabricants de cigares (FFC – 228 031€), British American Tobacco (199 436,25€), l’Association des fournisseurs de tabacs à fumer (AFTF – 129 600€), Philip Morris (104 060,86€), la Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA – 81 315,94€) et enfin JT International France (63 548,50€). Vingt-neuf entreprises ont déclaré n’avoir réalisé aucune dépense relative à des activités de lobby (ces dernières étant regroupées sous la FFC ou l’AFTF).
Ces montants incluent également la rémunération de lobbyistes en interne pour les quatre fabricants de tabac qui ont déclaré au total dix-huit collaborateurs en 2023.
Ces déclarations diffèrent de celles émises par les acteurs du tabac sur les registres de la Haute autorité pour la Transparence de la vie publique (HATVP) sur la même année. En décembre 2023, l’ACT-Alliance contre le tabac[2] avait publié un rapport s’appuyant sur ces données et avait estimé, en ajoutant les 200 000 à 300 000 euros de la Confédération des buralistes et les 175 000 à 200 000 euros des associations professionnelles, que les opérations de lobbying avaient représenté, en France, entre 1,15 millions et 1,7 millions d’euros. L’association avait cependant alerté sur le fait que cette somme était probablement sous-estimée, le secteur du lobbying se prêtant particulièrement aux activités opaques. Les différents acteurs du tabac avaient également déclaré vingt-huit salariés exerçant des actions de lobbying.
L’influence de l’industrie du tabac pour freiner les politiques de santé
Ces activités d’influence ont été particulièrement efficaces pour l’industrie du tabac puisqu’aucune mesure fiscale en faveur de la lutte contre le tabagisme n’a été votée lors des débats sur le Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) à l’Assemblée nationale en octobre 2023. Pendant les discussions, 61 amendements avaient été déposés par des députés de tous bords, dont 53 visaient à réduire ou supprimer les augmentations prévues. Les fabricants de tabac bénéficient par ailleurs d’un soutien de taille de la part de la Confédération des buralistes qui est particulièrement active dans ces actions de lobbying auprès des parlementaires.
Plusieurs députés français avaient par ailleurs été épinglés en 2023 par le Comité national contre le tabagisme pour leur proximité avec l’industrie du tabac en déposant des amendements favorables à cette dernière, en particulier Joëlle Melin (RN – réélue le 7 juillet), Caroline Fiat (LFI – Non réélue), Charles de Courson (centre – réélu), Thibault Bazin (LR – réélu) ou encore Valérie Bazin-Malgras (LR – Réélue). Selon la lettre A, le député RN Yoann Gillet (réélu), avait été invité à déjeuner en juin 2023 par Japan Tobacco International. Ce dernier avait déposé une proposition de loi, poussée par la Confédération, visant à « mieux lutter contre la vente illicite de tabac ». L’argument de la hausse du commerce illicite des produits du tabac est un argument utilisé par l’industrie du tabac pour s’opposer aux politiques de hausse des prix[3]-[4]. Dans cette stratégie d’influence, les cigarettiers ont également recours chaque année au cabinet de conseil KPMG. Ce dernier publie un rapport sur le sujet intégralement financé par Philip Morris évaluant l’ampleur des marchés parallèles en France. En dépit de biais méthodologiques majeurs et de son invalidité scientifique, ce rapport fait l’objet d’une couverture médiatique et continue de faire autorité dans les médias et débats publics[5].
©Génération Sans TabacAE
[1] Transparence des relations d’influence de l’industrie du tabac, Ministère du travail, de la santé et des solidarités, publié le 4 juillet 2024, consulté le 9 juillet 2024
[2] Industrie du tabac : plus de 1 million d’euros dépensés en lobbying pour freiner les politiques de santé publique, ACT, publié le 4 décembre 2023, consulté le 9 juillet 2024
[3] Topart F, Béguinot E, Gallopel-Morvan K. Analyzing arguments on tobacco tax increases. Focus on French parliamentary questions and responses, 2000-2020. Tob Induc Dis. 2024 Jan 8;22. doi: 10.18332/tid/175618. PMID: 38196511; PMCID: PMC10774864.
[4] Geindreau D, Guillou-Landréat M, Gallopel-Morvan K. Tobacco Tax Increases: A Discourse Analysis of the French Print and Web News Media from 2000 to 2020. Int J Environ Res Public Health. 2022 Nov 17;19(22):15152. doi: 10.3390/ijerph192215152. PMID: 36429873; PMCID: PMC9691216.
[5] Rapport, Le commerce illicite, outil de désinformation et d'influence de l'industrie du tabac, CNCT, juin 2023
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