Europe : une baisse du tabagisme chez les jeunes, menacée par l’essor des nouveaux produits nicotinés
27 mai 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 23 mai 2025
Temps de lecture : 9 minutes
Les résultats de l’édition 2024 de l’enquête ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs)[1], publiés le 20 mai, offrent un aperçu détaillé des comportements des adolescents européens âgés de 15 à 16 ans vis-à-vis des substances psychoactives et des conduites à risque. Si certaines tendances sont encourageantes – notamment le recul de la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis sur le long terme – d’autres soulèvent des inquiétudes, en particulier la hausse rapide de l’usage de la cigarette électronique, l’expérimentation précoce, et les écarts persistants entre les sexes.
Conduite dans 37 pays européens auprès de 113 882 élèves, cette 8e édition marque les 30 ans de suivi des comportements à risque en milieu scolaire. L’enquête ESPAD 2024 repose sur un protocole harmonisé, appliqué simultanément dans les pays participants pour garantir la comparabilité des données. L’échantillon cible les élèves âgés de 15 à 16 ans. Les questionnaires anonymes, administrés en milieu scolaire, recueillent des informations sur la consommation de substances (tabac, alcool, cannabis, drogues illicites, médicaments hors prescription), les comportements à risque (jeux d’argent, usage problématique des écrans) et, pour la première fois, le bien-être mental. Les tendances sont également analysées sur le long terme (1995-2024), et les résultats sont ventilés par sexe, pays et type de produit.
Une évolution à long terme globalement positive
Depuis la première enquête ESPAD en 1995, les données montrent un recul significatif de la consommation de substances psychoactives chez les adolescents européens. La proportion d’élèves ayant fumé des cigarettes au moins une fois dans leur vie est passée de 68 % en 1995 à 32 % en 2024, soit une baisse de 36 points. Le tabagisme au cours des 30 jours précédant l’enquête a également fortement chuté, passant de 33 % à 18 %, tout comme le tabagisme quotidien, passé de 20 % à 7,9 %. Cette diminution est particulièrement marquée chez les garçons, dont la prévalence de consommation au moins une fois dans leur vie est passée de 70 % à 30 % sur la période.
La consommation d’alcool au moins une fois dans la vie des répondants est passée de 88 % en 1995 à 74 % en 2024, avec un pic à 91 % en 2003. La consommation au cours des 30 derniers ayant précédé l’enquête a également décru, de 55 % en 1995 à 43 % aujourd’hui. L’hyper-alcoolisation (cinq verres ou plus en une seule occasion) a légèrement reculé, de 36 % à 31 %, après un pic à 42 % en 2007. L’ivresse précoce (avant 13 ans) concerne désormais 8 % des élèves, contre 13 % dans les années 2000.
La consommation de cannabis au cours de la vie, après avoir atteint un sommet de 18 % en 2003 et 2011, est descendue à 12 % en 2024, soit son niveau le plus bas depuis le début de ces enquêtes. L’usage au moment de l’enquête et les 30 jours qui précédaient, est également en baisse, passant de 7,4 % en 2019 à 5 % en 2024, se rapprochant des niveaux observés en 1995 (4,1 %). La proportion d’élèves déclarant une consommation de cannabis à haut risque est globalement limitée, autour de 2 à 6 % selon les pays.
Concernant les drogues illicites dans leur ensemble, la prévalence au cours de la vie a atteint un pic de 19 % entre 2003 et 2015, avant de diminuer à 17 % en 2019 puis à 14 % en 2024. L’usage de drogues illicites autres que le cannabis reste plus faible, autour de 5 % en moyenne.
Tabac et e-cigarette : des usages précoces et une féminisation inquiétante
Le tabac reste cependant une substance largement expérimentée parmi les adolescents européens, même si les tendances de fond témoignent d’un net recul. En 2024, 32 % des élèves de 15-16 ans ont déclaré avoir fumé une cigarette au moins une fois dans leur vie, contre 68 % en 1995. Toutefois, l’initiation précoce demeure préoccupante : 15 % des élèves rapportent avoir commencé à fumer à 13 ans ou plus tôt, avec des niveaux atteignant 24 % en Slovaquie et 23 % au Kosovo. Dans un peu plus de la moitié des pays, cette initiation précoce est plus fréquente chez les filles – un renversement de tendance par rapport aux décennies précédentes.
Le tabagisme actif concerne encore 18 % des élèves ayant déclaré avoir fumé au cours des 30 jours précédant l’enquête, avec des disparités notables selon les pays : les niveaux les plus élevés sont observés en Croatie et en Hongrie (32 %), les plus faibles en Islande (4,2 %). La prévalence du tabagisme quotidien atteint en moyenne 7,9 %, avec des pics à 20 % en Bulgarie et en Croatie. Ce phénomène est particulièrement marqué chez les adolescents ayant commencé à fumer jeunes : 3,6 % des élèves déclarent fumer quotidiennement après une initiation avant 14 ans.
La cigarette électronique affiche quant à elle une évolution inverse : en pleine expansion, elle touche désormais 44 % des élèves, qui déclarent en avoir fait l’expérience au moins une fois dans leur vie. Dans 13 des 37 pays de l’étude, plus de la moitié des jeunes ont déjà vapoté. La Hongrie enregistre un record avec 57 % de prévalence d’usage au cours de la vie, contre seulement 22 % au Portugal. En moyenne, 16 % des élèves rapportent une première utilisation de l’e-cigarette avant l’âge de 14 ans — un chiffre qui grimpe à 33 % en Estonie et 31 % en Lituanie.
L’usage actuel (au cours des 30 jours précédant l’enquête) de la cigarette électronique atteint 22 % en moyenne, avec des taux plus élevés chez les filles (25 %) que chez les garçons (19 %). Dans 22 pays, la consommation quotidienne est également plus marquée chez les adolescentes, une tendance qui mérite une attention particulière du point de vue de la prévention. Les niveaux les plus élevés de consommation quotidienne sont relevés en Pologne (20 %), suivie de la Serbie (17 %).
Enfin, lorsqu’on considère le double usage (tabac + e-cigarette), la prévalence passe à 47 % pour l’expérimentation et à 28 % pour un usage au cours du mois précédant l’enquête. Le double usage quotidien concerne 14 % des élèves (15 % chez les filles, 12 % chez les garçons), avec des pics à 25 % en Bulgarie et en Hongrie. Ce phénomène illustre une évolution vers des comportements d’usage cumulés, exposant les jeunes à un risque accru de dépendance nicotinique.
France : une situation mieux maîtrisée, mais des vulnérabilités persistent
Les données de l’enquête ESPAD 2024 placent la France parmi les pays où les niveaux de consommation de substances psychoactives chez les adolescents de 15-16 ans restent globalement inférieurs à la moyenne européenne. Cette position relativement favorable ne doit toutefois pas occulter certaines fragilités, notamment en matière d’usage de nicotine sous toutes ses formes et de consommation d’alcool.
En France, 20 % des élèves déclarent avoir fumé au moins une fois dans leur vie, contre 32 % en moyenne européenne. La consommation au cours des 30 jours précédant l’enquête concerne 10% des répondants (pour une moyenne européenne de 18 %), et la prévalence du tabagisme quotidien est de 3 % (vs 7,9 % pour la moyenne européenne). La part d’adolescents ayant expérimenté le tabac avant 14 ans reste significative : environ 13 %, avec des écarts selon le sexe — les filles étant plus nombreuses à commencer tôt dans plusieurs régions françaises.
Concernant la cigarette électronique, 40 % des jeunes Français déclarent en avoir déjà utilisé (contre 44 % en moyenne européenne), et 18 % au cours du dernier mois. La consommation quotidienne reste contenue (environ 3 %), mais les tendances genrées sont les mêmes que celles relevées dans les autres pays : les adolescentes sont désormais plus nombreuses à vapoter que leurs homologues masculins.
La consommation d’alcool reste élevée malgré des progrès notables. En France, 70% des élèves ont déjà bu de l’alcool (contre 74 % en Europe), et 40 % en ont consommé au cours des 30 jours précédant l’enquête (vs 43 % en moyenne au niveau européen). L’ivresse dans le mois est rapportée par 22 % des élèves, ce qui place la France dans la moyenne européenne (22 %).
Le binge drinking (au moins cinq verres en une seule occasion) concerne 27 % des adolescents français, contre 31 % au niveau européen. Si cette pratique est en léger recul par rapport aux années 2010, elle reste fréquente, notamment en contexte festif ou groupal. Les filles rejoignent progressivement les garçons sur ce type de consommation, une évolution qui appelle à renforcer les messages de prévention genrés.
L’expérimentation du cannabis concerne environ 8,5% des élèves français, un chiffre légèrement inférieur à la moyenne européenne (12 %). La consommation dans le mois est de l’ordre de 4 %, sans variation significative par rapport à l’enquête précédente. L’usage à haut risque reste marginal.
Pour les drogues illicites autres que le cannabis, les niveaux restent bas, autour de 2 %, contre 5 % en moyenne européenne. L’usage de médicaments détournés (notamment les tranquillisants et les analgésiques) est également moins fréquent en France qu’ailleurs, bien qu’en progression légère.
Une dynamique à préserver face aux menaces des nouveaux produits nicotinés
Les résultats de l’enquête ESPAD 2024 confirment que les politiques de prévention renforcées, les campagnes de sensibilisation pérennes et les mesures de lutte contre le tabagisme mises en œuvre depuis plusieurs décennies dans de nombreux pays européens ont porté leurs fruits. Dans plusieurs États, l’ambition d’une « génération sans tabac » a donné lieu à des stratégies globales et cohérentes qui ont permis de réduire de manière significative la consommation de tabac chez les adolescents.
Cependant, ces avancées sont aujourd’hui fragilisées par l’émergence et la diffusion rapide de nouveaux produits nicotinés, au premier rang desquels les cigarettes électroniques. Leur usage en forte progression chez les jeunes, en particulier chez les filles, et ce dans un contexte de forte permissivité commerciale. Ces dispositifs sont massivement promus sur les réseaux sociaux, via des contenus à destination des mineurs, mais aussi sur les lieux de vente, parfois à proximité immédiate des établissements scolaires. Leur disponibilité perçue est désormais supérieure à celle des cigarettes traditionnelles.
AE
[1] Principales conclusions du projet d’enquête européenne sur l’alcool et d’autres drogues en milieu scolaire (ESPAD) 2024, European Union Drugs Agency, publié le 20 mai 2025, consulté le 21 mai 2025
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