Commerce illicite : un protocole d’accord confidentiel entre les Douanes néerlandaises et l’industrie du tabac révélé

6 février 2025

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 4 février 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Commerce illicite : un protocole d’accord confidentiel entre les Douanes néerlandaises et l’industrie du tabac révélé

A la demande du site internet néerlandais TabakNee, les douanes néerlandaises ont rendu public un accord de coopération entre le gouvernement néerlandais et l'industrie du tabac, sur la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac, en vigueur depuis près de 15 ans. Les experts de la santé publique alertent sur l’incompatibilité d’un tel accord à l’égard des engagements internationaux des Pays-Bas, et demandent aux pouvoirs publics de mettre un terme à cette collaboration.

L’accord conclu en 2011 entre le directeur général des Douanes de l’époque et deux acteurs du tabac (la Stichting Sigarettenindustrie et la Vereniging Nederlandse Keftabakindustrie) avait suscité de nombreuses critiques, en raison de son manque de conformité à l’égard de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), ratifiée par les Pays-Bas six ans plus tôt. Toutefois, les modalités de cet accord sont restées secrètes pendant près de quinze ans, jusqu’à ce que les Douanes néerlandaises rendent public l’accord, à la demande de TabakNee.

Les modalités de l’accord restées confidentielles depuis 2011

Le protocole d’accord, désormais accessible en ligne, fait état d’une relation partenariale entre les Douanes et les fabricants de tabac, se concrétisant par des échanges d’informations, la tenue de plusieurs réunions par an, mais également une assistance mutuelle dans la détection, l’enquête et la poursuite des suspects. Selon les propres termes du protocole, le commerce illicite des produits du tabac est considéré comme entraînant des « dommages » pour les pouvoirs publics et l’industrie du tabac. En réalité, les différentes études menées sur le sujet montrent que les fabricants de tabac sont les principaux bénéficiaires du commerce illicite des produits du tabac. Les pertes fiscales associés au commerce illicite justifient dans le protocole qu’une « action commune » soit mise en place, également désignée comme permettant de garantir la santé des utilisateurs. Surtout, l’accord prévoit que l’ensemble des informations associées à cette coopération demeurent « confidentielles », soulevant de fait la question de la transparence des interactions entre les pouvoirs publics et l’industrie du tabac.

Une relation partenariale vantée par le protocole d’accord

Cette collaboration est notamment décrite dans l’accord comme visant à « identifier, tracer, décourager et prévenir » le commerce de produits illégaux, et notamment contrefaits. Dans le protocole, les fabricants s’engagent à partager les informations émanant de leurs propres enquêtes internes, afin de faciliter le travail des autorités publiques. Par ailleurs, les fabricants doivent s’employer à aider les Douanes en leur fournissant des informations relatives à la production et à l’approvisionnement de produits contrefaits aux Pays-Bas. En cas de saisie de tabac illégal, les fabricants sont amenés à analyser les produits à partir d’échantillons aléatoires, afin de déterminer s’ils sont issus de la contrefaçon ou de la contrebande. Or, il est aujourd’hui établi que les niveaux de contrefaçon dans le commerce illicite de produits du tabac sont volontairement amplifiés par les fabricants, visant à se faire passer aux yeux des décideurs publics pour les victimes des achats hors-réseaux, plutôt que pour les bénéficiaires. Par ailleurs, en cas de saisie importante de contrebande, la responsabilité des fabricants dans le contrôle de la chaîne d’approvisionnement est mise en cause, et l’industrie est susceptible d’être sanctionnée.

Un accord contre-productif et incompatible avec les engagements des Pays-Bas

Or, un tel protocole d’accord est en contradiction directe avec les engagements des Pays-Bas. En effet, les directives d’application de l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac enjoignent les Parties à limiter leurs interactions au « strict nécessaire », mais également pleine transparence, lorsque celles-ci ont lieu. Par ailleurs, le Protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, également ratifié par les Pays-Bas (2020) rappelle la « nécessité de rester attentif à tout effort fait par l’industrie du tabac pour saper ou réduire à néant les stratégies de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac ». De ce fait, le Protocole exige de ses Parties que la lutte contre le commerce illicite soit pleinement indépendante de l’industrie du tabac. Les experts de la santé publique et du lobbying de l’industrie du tabac estiment par ailleurs que le caractère illimité de l’accord est problématique. Surtout, la collaboration avec l’industrie du tabac est considérée comme particulièrement inefficace, voire contre-productive, dans la mesure où l’implication de l’industrie du tabac dans le commerce illicite est aujourd’hui largement documentée. En réalité, ces protocoles d’accord sont instrumentalisés par l’industrie du tabac comme des leviers d’influence et de crédibilisation de l’industrie du tabac, en se présentant comme une solution à un phénomène lucratif qu’elle persiste à alimenter.

©Génération Sans Tabac

FT


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