Comment l’industrie du tabac et ses alliés ont tenté de miner le plan britannique pour une génération sans tabac
28 mars 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 25 mars 2025
Temps de lecture : 8 minutes
Une nouvelle étude publiée dans la revue Tobacco Control[1] fournit une analyse détaillée de la manière dont les acteurs de l'industrie du tabac et de la nicotine ont cherché à influencer le projet d'interdiction générationnelle de la vente de tabac au Royaume-Uni. L'étude se concentre sur les réponses au Tobacco and Vapes Bill (2023/4), qui comprend une mesure historique visant à interdire la vente de produits du tabac à toute personne née après 2008, ainsi que des restrictions renforcées sur les produits à base de nicotine.
L'étude, menée par des chercheurs du Tobacco Control Research Group de l'université de Bath, visait à examiner les stratégies de lobbying utilisées par les acteurs de l'industrie du tabac et de la nicotine en réponse au projet de loi britannique. À l'aide d'une taxonomie établie de l'activité politique des entreprises, les auteurs ont analysé 43 soumissions écrites à des consultations publiques entre 2023 et 2024.
Ces soumissions ont été rédigées par 33 acteurs, dont des sociétés transnationales du tabac, des fabricants de produits à base de nicotine, des organisations professionnelles, des groupes de réflexion, des détaillants et des structures ayant des liens directs ou indirects avec l'industrie du tabac.
L’interdiction générationnelle du tabac, une initiative révolutionnaire
En 2023, le gouvernement britannique a présenté le Tobacco and Vapes Bill : projet de loi sur le tabac et les vapes. Ce texte législatif comprenait une interdiction générationnelle de vente des produits du tabac. Cette mesure sans précédent prévoyait d’interdire la vente de tabac aux personnes nées après 2008. Le projet de loi proposait également un renforcement de la réglementation sur les produits à base de nicotine, notamment des restrictions sur les arômes, l'emballage et le marketing dans les points de vente, dans le but de freiner la consommation chez les jeunes.
Un nombre très restreint mais croissant d'administrations municipales aux Philippines et aux États-Unis ont adopté des politiques « d’endgame », qui comprennent l'élimination progressive des ventes de tabac et de produits à base de nicotine.
Mais seuls quelques pays, comme la Nouvelle-Zélande et la Malaisie, avaient déjà tenté de mettre en place des mesures similaires, l'initiative britannique s'est distinguée par sa portée et par l'application de l'interdiction à tous les produits du tabac, y compris les cigares et les produits du tabac chauffés.
Construire une image responsable
L'étude de Tobacco Control montre que les acteurs de l'industrie se sont présentés systématiquement comme des participants responsables et légitimes à la politique publique. Nombre d'entre eux se décrivent comme respectueux de la loi, économiquement importants et engagés dans des objectifs de santé publique tels que la réduction des risques. Les multinationales du tabac ont mis en avant leurs nouvelles gammes de produits comme des alternatives à moindre risque aux cigarettes et ont affirmé qu'elles s'efforçaient de prévenir l'accès des mineurs, de réduire l'impact sur l'environnement et de promouvoir l'éducation des consommateurs.
Les fabricants de tabac ont également évoqué leur contribution à l'économie, notamment les recettes fiscales et la création d'emplois. Certains ont affirmé qu'ils soutenaient l'objectif à long terme du gouvernement de réduire le tabagisme, même s'ils s'opposaient aux mesures spécifiques proposées.
Une forte opposition à l'interdiction générationnelle
L’analyse des consultations montre également que tous les fabricants de tabac et nombre de leurs partisans se sont fermement opposés au projet d'interdire la vente de tabac aux générations futures. Ils ont fait valoir que le problème du tabagisme chez les jeunes n'était pas suffisamment « grave pour justifier une mesure aussi sévère » au Royaume-Uni. Certains ont affirmé que les cigares ou les produits du tabac chauffés étaient différents des cigarettes manufacturées et ne devaient pas être inclus dans le champ de l'interdiction. D'autres ont suggéré que les jeunes qui fument constituent une minorité avec des « problèmes personnels », et que le tabagisme n’était pas un problème sociétal.
Ils ont également déclaré que l'interdiction serait difficile à appliquer, qu'elle pourrait encourager les ventes illégales et qu'elle pourrait conduire à des violences contre les commerçants qui refusent de vendre du tabac. Plusieurs organisations ont aussi affirmé que la proposition était injuste, voire illégale. Elles ont affirmé qu'elle était discriminatoire à l'égard des jeunes adultes, qu'elle violait les règles du commerce international et qu'elle pourrait nuire aux petites entreprises, en particulier à celles qui vendent des produits du tabac spécialisés.
Protéger leurs intérêts commerciaux
Plutôt que d'interdire totalement la vente de tabac, l'industrie a proposé des solutions alternatives. Il s'agit notamment de relever l'âge d'achat du tabac à 21 ans, de mieux éduquer les jeunes, d'alourdir les peines encourues par les magasins qui vendent du tabac à des mineurs et de mieux faire appliquer les lois existantes. Elle a également demandé que certains produits, comme les cigares ou le tabac à chauffer, soient exclus de l'interdiction.
Ces suggestions ont été présentées comme plus « raisonnables » et moins préjudiciables aux entreprises. Toutefois, l'étude montre qu'elles ont surtout servi à protéger les intérêts commerciaux de l'industrie et à retarder l'adoption de mesures plus fortes en matière de lutte antitabac.
L'étude s'est également penchée sur les réactions aux règles proposées pour les produits de vapotage, telles que les limites imposées aux arômes et à la manière dont les produits sont présentés ou emballés. Les fabricants de tabac et leurs alliés se sont également opposés à ces mesures, affirmant que les produits de vapotage sont moins nocifs que les cigarettes et qu'ils aident les gens à arrêter de fumer. Ils ont fait valoir que les nouvelles règles sèmeraient la confusion dans l'esprit des consommateurs, augmenteraient le tabagisme, nuiraient aux petites entreprises et encourageraient les ventes illégales.
Certains groupes ont également déclaré que le gouvernement n'avait pas correctement consulté l'industrie et que les règles pourraient violer leurs droits de vendre des produits légaux.
Des actions en opposition de leur discours public
Les chercheurs ont constaté que les arguments et les stratégies utilisés par l'industrie du tabac dans ce débat étaient très similaires à ceux utilisés dans le passé, par exemple lors des débats sur les emballages neutres ou les interdictions de fumer. Même si les entreprises se disent aujourd'hui favorables à un avenir « sans fumée », elles continuent de s'opposer à toute disposition susceptible d'atteindre cet objectif.
Une stratégie clé a consisté à utiliser des organisations tierces - telles que des organisations professionnelles ou de défense d’intérêts - qui semblaient indépendantes mais qui étaient en réalité liées à l'industrie du tabac. Ces groupes ont souvent critiqué de manière plus agressive le gouvernement et les défenseurs de la santé publique, ce qui a permis aux fabricants de tabac d'apparaître plus neutres et plus coopératifs.
Selon les auteurs, cette étude met en évidence que, malgré les déclarations des fabricants de tabac en faveur de la réduction du tabagisme, ceux-ci continuent à intervenir dans l’élaboration des politiques publiques d’une manière qui préserve leurs intérêts économiques. Leur opposition à des mesures de santé publique ambitieuses s’exprime souvent à travers des propositions qualifiées de « solutions équilibrées » ou par la mise en avant d’enjeux économiques. Ils soulignent que cette rhétorique est finalement constante de la part de cette industrie.
Alors que plusieurs pays envisagent la mise en œuvre de politiques de lutte antitabac renforcées, comme les interdictions de vente à partir d’une génération donnée, l’exemple du Royaume-Uni constitue une source d’enseignements précieux. Il souligne l’importance, pour les décideurs publics, d’identifier et de prendre en compte les stratégies d’influence employées afin de garantir que les décisions en matière de santé publique restent fondées sur l’intérêt général.
AE
[1] Matthes BK, Legg T, Hiscock R, et al. The UK Tobacco and Vapes Bill (2023/4): framing strategies used by tobacco and nicotine industry actors faced with an endgame policy and nicotine product restrictions. Tob Control. Published online March 18, 2025. doi:10.1136/tc-2024-059207
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