Comment l’industrie du tabac a contourné les lois sur les activités de RSE en Ethiopie

23 septembre 2023

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 23 septembre 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Comment l’industrie du tabac a contourné les lois sur les activités de RSE en Ethiopie

Bien que les activités de responsabilité sociale des entreprises (RSE) soient interdites aux industriels du tabac en Ethiopie depuis 2019, l’opérateur national a profité d’une revente de parts à Japan Tobacco pour nouer des partenariats avec le gouvernement et se réinsérer dans le processus de décision

Avec d’autres dispositions antitabac (taxation, lieux publics sans tabac, avertissements sanitaires graphiques, interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage, ainsi que de la vente de tabac aux mineurs), le gouvernement éthiopien a adopté, en 2019 et en 2020, des lois interdisant à l’industrie du tabac toute activité de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Pour être en conformité avec l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) et obtenir des liquidités, il a également revendu en 2017 la National Tobacco Enterprise (NTE), qui détient le monopole de la production, de l’importation et de la distribution de tabac, à Japan Tobacco International (JTI, 71 %) et au groupe yéménite Sheba Company (29 %).

Constatant que, malgré une significative avancée législative, la NTE a développé de nombreuses activités de RSE en 2020 et 2021, une équipe de chercheurs éthiopien et australiens a exploré les mécanismes par lesquels les industriels du tabac sont parvenus à nouer de nouveaux partenariats avec le gouvernement.

Augmentation des activités de RSE après l’adoption de la loi

Les chercheurs ont étudié les articles de presse, les échanges sur les réseaux sociaux et des documents internes du gouvernement et d’organismes publics en charge des questions de tabac[1]. Ils ont ainsi pu repérer que les activités de RSE engagées par l’industrie du tabac se sont amplifiées sur la période 2019-2021.

La NTE s’est par exemple fortement impliquée dans le programme de reforestation mis en place par le Premier Ministre. Elle a accordé gratuitement des graines et des produits phytosanitaires à de petits exploitants agricoles pour les pousser vers la culture du tabac. Comme dans d’autres pays, elle a profité de la crise de la COVID-19 pour assurer sa promotion en distribuant des solutions hydroalcooliques aux populations proches de son siège. La NTE a également offert des formations sur la lutte contre le commerce illicite à des membres de la Commission des Douanes et à des officiers de police. Elle a annoncé avoir fourni 3000 foyers en eau potable, sans préciser le ou les sites concernés. Elle a par ailleurs financé un programme d’échange universitaire au Japon pour des étudiants éthiopiens.

Un accord facilitant la participation de la NTE aux politiques publiques

Les chercheurs ont pu identifier plusieurs leviers ayant permis à la NTE de porter ces activités sans être inquiétée. Il apparaît notamment que, lors de la vente des actifs de la NTE, un memorendum of understanding (MOU) a été signé avec l’Ethiopian Food and Drug Administration (EFDA) et la Commission des Douanes, sans inclure le ministère de la Santé. Ce MOU contenait des clauses permettant à la NTE de participer à l’élaboration des lois sur le tabac, de collaborer avec les instances de lutte contre le commerce illicite et de prolonger son monopole jusqu’en 2025. La NTE a non seulement profité de cette situation pour engager en toute impunité davantage d’actions de RSE, mais a aussi pu interférer dans l’augmentation des taxes et se placer comme acteur de la lutte contre le commerce illicite, tout en utilisant cette dernière pour promouvoir sa marque et ses produits.

L’utilisation de tierces parties, une tactique fréquente de l’industrie du tabac, a également été mise en évidence. Le rôle d’un cabinet d’avocats lors des opérations de reforestation et celui de l’ambassade du Japon pour les échanges d’étudiants ont ainsi composé des facteurs de valorisation et de renormalisation de l’industrie du tabac.

Tenir l’industrie du tabac à l’écart des politiques publiques

Les acteurs de santé publique, tels la Mathiwos Wondu Ye-Ethiopia Cancer Society (MWECS), ont tenté d’alerter les pouvoirs publics sur ces pratiques, avec des succès variables. La MWECS a par exemple attiré l’attention sur un trophée de « contribuable loyal » accordée à la NTE par le ministère du Budget, en présence du Premier Ministre ; cette distinction fut par la suite retirée de la liste de décorations. La MWECS n’a cependant pas été entendue au sujet du commerce illicite et des échanges d’étudiants. L’EFDA a de son côté pu obtenir que cessent les distributions de matériel sanitaires, signalées par la MWECS.

Les auteurs de cette étude en concluent que les lois de 2019 et 2020 n’ont pas été respectées et que l’industrie du tabac a gagné en influence en recourant aux activités de RSE. Ils prônent l’annulation du MOU signé avec la NTE et une plus stricte observance de la législation éthiopienne et de l’article 5.3 de la CCLAT, qui exige que les politiques publiques soient protégées de l’industrie du tabac. Les auteurs estiment en revanche que les politiques publiques gagneraient à mieux intégrer les acteurs de santé publique. Ils préconisent également la constitution d’un registre des rencontres avec les industriels du tabac ou encore l’élaboration et la diffusion parmi les représentants de l’Etat d’un code de bonne conduite vis-à-vis de l’industrie du tabac.

Mots-clés : Ethiopie, RSE, NTE, JTI, MWECS.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Mengesha SD, Brolan C, Gartner CE, Tobacco industry corporate social responsibility activities and other interference after ratification of a strong tobacco law in Ethiopia, Tobacco Control, Published Online First: 15 September 2023. doi: 10.1136/tc-2023-058079

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