Caméras “augmentées” dans les bureaux de tabac : la CNIL précise sa position
15 juillet 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 11 juillet 2025
Temps de lecture : 6 minutes
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a publié, le 11 juillet 2025, une mise au point sur l’utilisation de caméras “augmentées” visant à estimer l’âge des clients dans les bureaux de tabac. Présentés comme un outil de prévention de la vente de tabac aux mineurs, ces dispositifs suscitent de fortes interrogations sur le respect du cadre juridique et des droits des usagers[1].
Une technologie de reconnaissance faciale à visée préventive
Les caméras dites “augmentées” testées dans les bureaux de tabac s’appuient sur une technologie d’intelligence artificielle conçue pour estimer l’âge apparent des clients à partir de leur visage. Contrairement aux dispositifs de vidéosurveillance classiques, ces systèmes ne se contentent pas d’enregistrer une image : ils la traitent en temps réel afin d’évaluer, grâce à un algorithme, la probabilité que l’individu soit majeur ou mineur. L’information générée est traduite par un signal visuel simple (vert ou rouge) destiné à alerter le buraliste, sans lui fournir de données personnelles identifiables.
Le dispositif est présenté par ses promoteurs comme une réponse technologique aux difficultés rencontrées par les buralistes dans le contrôle de l’âge, notamment lorsque des clients refusent ou oublient de présenter une pièce d’identité. L’objectif affiché est de fluidifier le passage en caisse tout en réduisant les ventes illégales aux mineurs, qui restent un enjeu de santé publique majeur. Il s’agit également, selon les concepteurs, d’alléger la pression pesant sur les commerçants, qui peuvent être sanctionnés en cas de non-respect de l’interdiction de vente à des mineurs.
La technologie se veut respectueuse du Règlement général sur la protection des données (RGPD) : aucune image ne serait conservée, aucun enregistrement ne serait effectué, et aucun transfert de données vers un serveur externe ne serait réalisé. L’analyse serait entièrement effectuée localement sur l’appareil. Néanmoins, la CNIL rappelle que même en l’absence de conservation ou de transmission, ce type d’analyse biométrique constitue un traitement de données personnelles sensible, nécessitant un encadrement strict et une justification juridique claire.
Des risques importants pour les libertés individuelles
Si la finalité de protection des mineurs est reconnue comme légitime, la CNIL alerte sur les nombreux risques que soulèvent ces technologies d’analyse faciale, en particulier lorsqu’elles sont déployées dans des lieux accessibles au public. L’usage de la reconnaissance faciale automatisée, même à des fins d’estimation d’âge, constitue un traitement de données biométriques particulièrement sensible. Ce type de traitement, par nature intrusive, engage des enjeux majeurs en matière de protection de la vie privée, de respect du consentement et de contrôle sur ses propres données. Cette objection apparaît d’autant plus pertinente que les systèmes mis en place par les buralistes actuellement ne prévoient pas le consentement préalable du client comme c’est le cas aux Pays-Bas.
L’un des premiers motifs d’inquiétude tient à l’absence de base légale spécifique encadrant ce type de dispositif dans le contexte commercial. Le simple intérêt de santé publique ne suffit pas, selon la CNIL, à justifier un recours généralisé à des technologies aussi intrusives sans cadre juridique clair, proportionné et limité dans le temps. Elle rappelle que l’analyse biométrique en temps réel ne peut être autorisée qu’à titre exceptionnel et dans des conditions très strictes définies par le droit européen.
La CNIL souligne également le risque de biais algorithmiques. Les systèmes d’estimation d’âge peuvent présenter des marges d’erreur importantes selon les types de visages, notamment en fonction de l’âge, du genre ou de l’origine ethnique, ce qui pourrait conduire à des discriminations indirectes. Une personne perçue à tort comme mineure pourrait se voir refuser une vente légale, tandis qu’un mineur perçu comme majeur pourrait contourner le contrôle, réduisant ainsi l’efficacité du dispositif.
Surtout, la CNIL rappelle que ces dispositifs ne sauraient se substituer à l’obligation légale qui incombe aux buralistes : vérifier systématiquement l’âge de tout client dont la majorité n’est pas évidente. Au regard de l’objectif poursuivi : prévenir la vente d’un produit du tabac, du vapotage à un mineur, le législateur a déjà prévu toutes les dispositions légales pour que les buralistes aient la capacité d’assumer leur obligation de refus de vente à un mineur. Selon les enquêtes clients mystères menées par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), deux tiers des buralistes continuent de vendre du tabac à des mineurs, en violation de la loi. L’introduction de ces outils ne saurait constituer qu’un outil. Subsiste l’obligation de résultat : le refus de vente qui incombe strictement au vendeur. Ainsi les contrôles automatisés ne doivent pas servir à déléguer ou à automatiser une responsabilité juridique qui reste pleinement humaine.
La CNIL évoque une alternative technologique potentielle : le « mini-wallet ». Ce dispositif, développé par la Commission européenne, en cours d’expérimentation, permettrait aux clients de prouver qu’ils sont majeurs sans divulguer d’autres données personnelles, en utilisant un outil numérique de preuve d’âge sans transmission d’identité.
Enfin, l’introduction de ces dispositifs dans des lieux de consommation courante soulève une question plus large de banalisation de la surveillance. Leur généralisation pourrait contribuer à installer une forme d’acceptation passive de technologies intrusives dans l’espace public, sans que les citoyens aient réellement conscience des implications ni les moyens d’exercer leurs droits. La CNIL insiste donc sur la nécessité absolue de garantir une transparence totale vis-à-vis des clients, une information claire sur le fonctionnement du système et une possibilité effective de recours en cas de litige.
AE
[1] Note de position, Caméras « augmentées » pour estimer l’âge dans les bureaux de tabac : la CNIL précise sa position, CNIL, publié le 11 juillet, consulté le jour-même
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