Au Brésil, l’industrie du tabac tente de mobiliser les cultivateurs contre la COP 10 de la lutte antitabac

2 juillet 2023

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 2 juillet 2023

Temps de lecture : 6 minutes

Au Brésil, l’industrie du tabac tente de mobiliser les cultivateurs contre la COP 10 de la lutte antitabac

Les acteurs de la filière tabac organisent des auditions publiques au Brésil pour fédérer les cultivateurs de tabac contre les orientations de la COP 10, qui doit se tenir en novembre au Panama. La CCLAT et la campagne de l’OMS « Grow food, not tobacco », à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac 2023, ont notamment été visées.

« Nous voulons donner une voix à ceux qui sont fréquemment jugés sans avoir le droit de se défendre. Nous ne pouvons pas nous permettre d’autoriser des personnes qui ne connaissent pas la réalité des agriculteurs dicter le futur de nos communes. » C’est par ce vibrant appel que Marcus Vinicius de Almeida, coordonnateur du Sous-comité pour la défense de la chaîne d’approvisionnement du tabac, a ouvert devant 300 personnes la première d’une série de dix auditions publiques consacrées à la production de tabac dans la région du Rio Grande do Sul[1]. Le ministre de la Santé s’était fait excuser, mais les ministères de l’Agriculture, celui des Affaires étrangères, et celui du Développement agraire et de l’agriculture familiale avaient envoyé des représentants.

La CCLAT et l’OMS en ligne de mire

Elton Weber, un député fédéral de la région, a présidé et animé cette réunion en affichant clairement l’intention de faire pression sur le gouvernement fédéral, qui sera représenté à la prochaine Conférence des Parties (COP10) de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT). Cette COP10 doit se tenir du 20 au 25 novembre 2023 au Panama, et sera suivie quelques jours plus tard de la Rencontre des Parties (MOP3) au Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac.

Les acteurs de la filière tabac et les responsables politiques locaux entendent faire valoir leur point de vue et les difficultés qu’affrontent le secteur du tabac, tout en combattant les positions jugées « idéologiques » des acteurs de santé publique. Iro Schuenke, président de l’Union inter-états de l’industrie du tabac, a, pour sa part, regretté que les acteurs de la filière tabac n’aient pas plus voix au chapitre dans cette COP10 que dans les précédentes éditions. Il a également déploré que les décisions des précédentes COP aient été immédiatement appliquées au Brésil, alors que le pays est l’un des principaux producteurs de tabac. Considérant la CCLAT et les décisions de santé publique comme « la pire dictature » qu’il connaisse, il a vivement critiqué la campagne organisée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai 2023. Cette campagne présentait un enfant dont l’assiette était remplie de mégots et clamait « Faites pousser de la nourriture, pas du tabac » (« Grow food, not tobacco »).

Instrumentalisation des cultivateurs et agriculteurs à travers des groupes de façade

Bien que le Brésil reste le troisième producteur mondial de feuilles de tabac, la production y est en baisse, passant de 787 817 tonnes en 2010 à 702 208 tonnes en 2020[2]. Elle représente moins de 1 % de la surface totale plantée du pays et est surtout pratiquée dans de petites exploitations familiales du Sud du pays[3]. Environ 200 000 petits producteurs pratiqueraient la culture du tabac au Brésil.

L’opération de lobbying mise en place par les industriels du tabac vise à se poser comme une organisation représentant ces petits agriculteurs, afin de déstabiliser la COP10 et la CCLAT. Les thèmes de la production de tabac et des cultures de substitution, s’ils sont abordés dans la CCLAT, ne font pourtant pas partie des sujets les plus contraignants, contrairement à la réglementation des produits ou la question des publicités transfrontières. C’est en fait pour contrer ces autres dispositions que, comme ce fut le cas dans d’autres COP, l’industrie du tabac tente de détourner les débats par le biais de tierces parties, lesquels ne sont le plus souvent que des groupes de façade. Localement, ce type d’opération a également pour but de rassurer les cultivateurs sur la rentabilité et l’intérêt de la culture du tabac. Une récente fronde de petits producteurs de tabac au Pakistan, qui dénonçaient une brutale baisse des prix du tabac en gros décidée par les multinationales du tabac alors que les prix des engrais et des pesticides s’envolent, indique pourtant que la culture du tabac est loin d’être une option économique rentable[4].

Le discours assimilant la santé publique à diverses formes de fascisme est pour sa part régulièrement déployé par l’industrie du tabac depuis une cinquantaine d’années[5]. Il est corrélé à plusieurs tentatives d’appropriation du thème des droits humains par les principales multinationales du tabac depuis les années 1990. Un récent rapport de Philip Morris International (PMI) sur le sujet[6] montre que ce thème des droits humains devrait encore faire l’objet d’une prochaine instrumentalisation, avec pour objectif de saborder la CCLAT. Le recours au travail forcé des enfants dans de nombreuses petites exploitations africaines a pourtant été amplement documenté.

Pour en savoir davantage sur la culture du tabac, lire notre décryptage.

Mots-clés : Brésil, culture du tabac, CCLAT, COP10, MOP3.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Public Hearings Ahead of COP10, TobaccoReporter, publié le 23 juin 2023, consulté le 26 juin 2023.

[2] Classement des Etats du monde par production de tabac (feuilles), Atlasocio, mis à jour le 27 juillet 2022, consulté le 26 juin 2023.

[3] Le marché du tabac – Brésil, BusinessScoot, rapport, août 2020.

[4] Tobacco growers reject purchase price set by companies, Dawn, publié le 25 juin 2023, consulté le 26 juin 2023.

[5] Schneider N, Glantz S. ‘‘Nicotine Nazis strike again’’: a brief analysis of the use of Nazi rhetoric in attacking tobacco control advocacy. Tobacco Control. 2008;17:291–296.

[6] Human rights report, PMI, juin 2023, 57 p.

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