Faut-il interdire les filtres dans les cigarettes ?

Alors que les filtres ont été identifiés comme étant la « fraude la plus meurtrière de l’histoire de la civilisation humaine »[1], la quasi-totalité des cigarettes fumées à travers le monde en comportent. Dans un article publié le 26 avril 2021 dans la revue Tobacco Control, des chercheurs appellent les acteurs de la santé publique et de l’environnement à œuvrer en faveur de son interdiction[2].

Les premiers filtres apparaissent sur le marché vers 1860, et n’ont qu’un objectif de confort de consommation, en visant à empêcher les morceaux de tabac d’entrer dans la bouche du fumeur. Ce n’est qu’à partir des années cinquante que le filtre composé d’acétate de cellulose, tel qu’on le connaît aujourd’hui, fait son apparition. Mis au point par l’industrie du tabac, il a pour vocation de répondre aux premières préoccupations des fumeurs sur les dangers de leur consommation. En effet, si le lien entre cancer du poumon et consommation tabagique est une connaissance établie chez les fabricants, la prise de conscience du grand public n’en est qu’à ses débuts.

Répondre aux inquiétudes des consommateurs par de fausses solutions

Dès le départ, les filtres sont commercialisés par les cigarettiers comme un outil permettant de réduire les risques de la consommation tabagique. A ce titre, comme le souligne la revue Tobacco Control, le choix lui-même de l’appellation « filtre » est trompeur, en ce qu’il suggère la diminution d’un préjudice pour la santé. Au fil du temps, toujours pour répondre aux inquiétudes des consommateurs sur les risques sanitaires, l’industrie du tabac développe d’autres modèles de filtres. Dès les années 70 et 80, les fabricants proposent des filtres perforés sur les côtés. De ce fait, lorsque les cigarettes sont testées par des machines, celles-ci indiquent un rendement plus faible en goudron et en nicotine. En réalité, lorsque les cigarettes sont consommées par un vrai fumeur, les doigts de ce dernier bouchent les perforations, empêchant la réduction des niveaux nicotiniques et de goudron. Autrement dit, ces opérations recherchent deux objectifs.  D’une part, les fabricants visent à diminuer la perception du risque, et non le risque lui-même.  D’autre part, ces filtres permettent à l’industrie de respecter les normes limitatives qui ne correspondent à aucune réalité en situation de consommation par un fumeur.

Les filtres, associés à une augmentation des risques pour la santé du fumeur

La grande majorité des études indépendantes montrent que l’utilisation de filtres dans la consommation tabagique ne s’accompagne pas d’une réduction des risques pour la santé du fumeur. Du côté de l’industrie du tabac, l’absence d’intérêt sanitaire du filtre est connue depuis les années 60. Surtout, la littérature scientifique démontre que l’utilisation de filtres est associée à une augmentation des risques pour le fumeur. D’abord, pour maintenir leur apport en nicotine, les fumeurs prennent des bouffées plus profondes et plus prolongées, conduisant à augmenter la toxicité et l’addictivité de leur consommation. Ensuite, les fibres toxiques présentes à l’extrémité coupée du filtre sont inhalées et ingérées par les fumeurs. Enfin, la présence de filtre altère la perception des consommateurs sur les risques réels encourus. De ce fait, la généralisation des filtres sur les cigarettes a contribué à la hausse des adénocarcinomes pulmonaires[3], une tumeur pulmonaire maligne, responsable de près de 30% des cancers du poumon.

L’impact environnemental majeur des filtres

Au-delà de n’avoir aucune justification sanitaire, le filtre revêt un enjeu environnemental majeur. Chaque année, on estime que 4,5 milliards de filtres sont jetés et finissent dans la nature. L‘écosystème marin en est à ce titre massivement et durablement pollué : les filtres font partie des dix plastiques les plus répandus dans les océans. Composés d’acétate de cellulose, ils mettent dix à quinze ans avant de se décomposer dans la nature, et libèrent des milliers de substances chimiques toxiques, un mégot pouvant polluer jusqu’à 500 litres d’eau. Comme le soulignent les auteurs, de nombreux plastiques à usage unique ont été interdits par l’Union européenne en 2019, mais les propositions initiales visant à ce que les Etats membres réduisent les déchets plastiques des cigarettes de 80% d’ici à 2030 ont été abandonnées pour des mesures non contraignantes.

Un levier idéal de communication et de relations publiques

L’industrie du tabac doit désormais contribuer aux coûts de nettoyage de collecte et de traitement des déchets, selon le principe du pollueur-payeur. Par ailleurs, les fabricants sont tenus de participer à la sensibilisation du grand public sur la question du plastique contenu dans les filtres. Cette obligation de sensibilisation est aujourd’hui identifiée par l’industrie du tabac comme un levier de communication. Pour les mêmes raisons, les fabricants s’intéressent de plus en plus à la commercialisation de filtres dits biodégradables. En réalité, ces filtres ne sont réellement biodégradables qu’avant consommation : après exposition à la fumée tabagique, ils contiennent un grand nombre de substances hautement toxiques, comme des métaux lourds. Enfin, les chercheurs pointent du doigt le risque de réhabilitation de l’industrie du tabac en tant qu’acteur social responsable à travers ces opérations. De fait, les fabricants exploitent la question du filtre pour imposer des relations partenariales avec les pouvoirs publics. Par ailleurs, la solution du filtre « biodégradable » ne règle pas la question de sa dangerosité pour la santé du fumeur.

Les filtres, grands oubliés de la réglementation européenne

A l’heure actuelle, la réglementation européenne interdit l’utilisation de descripteurs trompeurs, notamment ceux liés aux goûts ou à la santé, comme les cigarettes « lights » ou « bios ». Dans cette lutte contre la désinformation, la conception et les innovations des filtres sont les grands oubliés de la réglementation. Cette faille réglementaire permet à l’industrie du tabac de faire la promotion de ses produits, en particulier auprès de ses partenaires et de ses investisseurs. En France par exemple, la publicité pour le tabac demeure autorisée au sein de la presse professionnelle, comme la Revue des Tabacs. L’industrie peut ainsi communiquer sur ces innovations, à l’instar des filtres creux, notamment destinés à camoufler une partie de la coloration du filtre après consommation.

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Mots clés : Filtre, Pollution, Environnement, Réglementation, Interdiction, Réduction des risques

©Génération Sans Tabac


[1] New York Times, Who Made That Cigarette Filter?, 06/07/2012, (consulté le 27/04/2021)

[2] Evans-Reeves K, Lauber K, Hiscock R, The ‘filter fraud’ persists: the tobacco industry is still using filters to suggest lower health risks while destroying the environment, Tobacco Control Published Online First: 26 April 2021. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2020-056245

[3] Min-Ae Song, Neal L Benowitz, Micah Berman, Theodore M Brasky, K Michael Cummings, Dorothy K Hatsukami, Catalin Marian, Richard O’Connor, Vaughan W Rees, Casper Woroszylo, Peter G Shields, Cigarette Filter Ventilation and its Relationship to Increasing Rates of Lung Adenocarcinoma, JNCI: Journal of the National Cancer Institute, Volume 109, Issue 12, December 2017, djx075, https://doi.org/10.1093/jnci/djx075

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 27 avril 2021