Influence de l’industrie du tabac

Pour créer un environnement réglementaire favorable à ses intérêts, l’industrie du tabac cherche à influencer les décideurs politiques et publics. L’interférence de l’industrie du tabac dans la vie publique constitue un obstacle majeur dans l’élaboration de politiques publiques de réduction du tabagisme, selon la Convention-Cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la Lutte AntiTabac (CCLAT).

OBJECTIFS

L’industrie du tabac se caractérise par son opposition systématique à toute forme de régulation ou de réglementation. Plus particulièrement, les cigarettiers s’opposent à la mise en œuvre de toute politique de santé publique, par définition incompatible avec leurs intérêts. Cette opposition peut prendre des formes différentes :

  • Empêcher l’adoption des mesures 

C’est l’objectif principal de l’industrie du tabac : toute tentative de régulation doit être bloquée avant d’être adoptée.

Exemple : En France, comme dans tous les pays ayant adopté cette mesure, l’industrie du tabac a cherché à bloquer le projet de loi introduisant les paquets neutres (2016).

  • Gagner du temps : reporter la mise en œuvre des mesures

L’industrie du tabac cherche à gagner du temps dans la mise en œuvre de politiques de régulation, pour continuer ses activités aussi longtemps que possible, et organiser sa riposte en développant notamment de nouveaux produits.

Exemple : adoptée en 2014, la directive européenne sur les produits du tabac, sous l’influence des lobbys, a permis de retarder l’interdiction de vente de cigarettes et tabac à rouler mentholés au mois de mai 2020.

  • Affaiblir les mesures 

L’industrie du tabac va chercher systématiquement à vider de sa substance tout projet de réglementation afin de le rendre inefficace, inopérant, et donc inoffensif aux intérêts économiques des cigarettiers.

Exemple : les pressions de l’industrie du tabac ont conduit à profondément édulcorer le décret relatif aux restrictions tabagiques dans les lieux publics et à usage collectif, notamment dans les lieux d’accueil et de la restauration (1992).

  • Verrouiller les processus d’adoption 

L’industrie du tabac, pour préserver ses intérêts, va jusqu’à infléchir les capacités d’un Etat à légiférer. C’est un niveau supérieur d’ingérence politique.

Exemple  l’industrie du tabac, à travers British American Tobacco, a joué un rôle crucial dans la promotion du concept de Better Regulation en Union européenne, porteur de l’idée selon laquelle la Commission doit réaliser une forme d’évaluation d’impact (analyse coût-avantage). Cette analyse, focalisée sur une dimension économique et de court-terme, a pour conséquence de rendre plus difficile toute entreprise de législation en matière de santé publique.

  • Attaquer les mesures

Une fois en application, une politique de contrôle reste dans le viseur de l’industrie du tabac, qui cherche à en obtenir l’annulation, la suspension, ou l’affaiblissement.

En Norvège, l’industrie du tabac a cherché à contester la loi interdisant la présence de présentoirs dans les bureaux de tabac, invoquant les accords commerciaux en vigueur.

  • Contourner voire violer les règles en vigueur

Lorsque ses intérêts sont en jeu, l’industrie du tabac n’hésite pas à contourner ou enfreindre les réglementations en vigueur.

Exemple : alors que la loi Evin interdit en France toute forme de publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, les cigarettiers ont développé des campagnes de publicités indirectes pour des produits ou services alibi afin de mieux promouvoir leurs produits.  Aujourd’hui ils investissent les réseaux sociaux comme outil de contournement et vecteur publicitaire du tabac. .  

MOYENS

L’image de l’industrie du tabac étant écornée auprès de l’opinion publique et d’un grand nombre de décideurs, les cigarettiers exercent une influence souvent discrète, indirecte, aux aspects protéiformes. En particulier, l’instrumentalisation de tierces-parties fait partie des pratiques les plus récurrentes de l’industrie du tabac.

  • Cabinets de lobbying

Les agences de relations publiques et de communication sont des vecteurs d’influence primordiaux de l’industrie du tabac pour préserver ses intérêts économiques

Exemples : L’industrie du tabac a recours à des agences prestigieuses comme Publicis ou Image 7

  • Utilisation de leaders d’opinion

Un certain nombre de leaders d’opinion issus de domaines variés sont utiles pour favoriser l’acceptabilité sociale du tabagisme, ou mettre en cause les politiques de santé publiques.

Exemples : le monde de la culture, et ses icônes fumeuses permettent la valorisation et l’esthétisation du tabagisme (Catherine Deneuve fumant sur le Plateau du Petit Journal), certains intellectuels dénonçant l’ « hygiénisme moral » des associations anti-tabac.

  • Think-tanks et organisations écrans 

L’industrie du tabac mobilise un certain nombre de tierces-parties, présentées comme indépendantes, pour relayer des thématiques et des arguments favorables aux intérêts des cigarettiers.

Exemples : instrumentalisation de think-tanks pour contester des mesures relatives à la fiscalité (Institut Molinari), à la publicité, organisation d’associations de fumeurs montées de toutes pièces pour faire pression sur les responsables politiques et les candidats aux élections (Nous sommes 13 millions).

  • Contacts directs 

L’industrie du tabac bénéficie d’un large réseau de contacts, y compris à des postes clés, déterminants pour relayer les positions, éléments de langage des cigarettiers, et bloquer ou freiner toute tentative de réglementation.

Exemples : groupes d’études et clubs parlementaires, recrutement d’assistants parlementaires et anciens chefs de cabinets, organisation de missions parlementaires en faveur de l’industrie du tabac,

propositions de lois, dépôts d’amendements en faveur de l’industrie, questions écrites identiques posées par différents parlementaires, etc.  

  • Intrusion dans les grandes écoles et universités

Cette stratégie permet de conférer à l’industrie du tabac une respectabilité en les associant à des instituts prestigieux, tout en la promouvant comme un interlocuteur et un secteur d’activité pour les talents.

Exemples : clubs de cigares, en partenariat avec les fabricants de tabac au sein des associations d’anciens élèves, organisations de conférences dans des lieux de prestige, recrutement dans le cadre de salons, enseignements dispensés par des représentants de l’industrie du tabac.

  • Intrusion dans la recherche

Cette stratégie permet à l’industrie d’alimenter une science alternative, destinée à nier ou minimiser les dangers du tabagisme, voire à faire croire à certains bénéfices tabagiques (vertus hypothétiques de la nicotine sur les neurones, l’anxiété, etc).

Exemples : proximité directe avec l’Institut de la Moelle Epinière, financements de projets de recherche, présence de l’industrie du tabac dans les organisations de recherche, études internes de l’industrie du tabac.  

  • Alliances avec d’autres industries 

L’industrie du tabac noue des alliances avec d’autres industries, qui servent alors de porte-voix pour faire avancer leurs intérêts sur des sujets communs.

Exemples : contestation du paquet neutre à travers des groupements de défense de la propriété intellectuelle, alliance avec le Comité National Anti-Contrefaçon pour éviter les hausses de taxes ou le paquet neutre.

  • Actions de philanthropie et de RSE

Ces actions, créatrices de valeurs et de projets collectifs mobilisateurs, ont pour but de faire regagner à l’industrie du tabac sa respectabilité. Elles permettent de donner une visibilité aux cigarettiers dans un contexte d’interdiction de toute publicité en faveur du tabac.

Exemples : partenariats institutionnels et mécénat dans les arts et la culture, dons aux associations caritatives, actions de mécénat social (lutte contre la pauvreté, contre les violences faites aux femmes, soutien au handicap, aide à l’entrepreneuriat, dons de matériel pendant la crise du COVID).

  • Divertissements

Invitation de personnalités politiques à des événements culturels et sportifs.

Exemple : en 2013, Philip Morris International a loué une loge pour assister à Roland-Garros, où était notamment convié Henri Havard (numéro deux des Douanes).

Cette fiche s’appuie sur la bibliographie suivante :

Tobacco Control, Anna B. Gilmore, « Tobacco industry’s elaborate attempts to control a global track and trace system and fundamentally undermine the Illicit Trade Protocol », 13 juin 2018

https://tobaccocontrol.bmj.com/content/28/2/127

Smith, KE, Gilmore, AB, Fooks, G, Collin, J & Weishaar, H 2009, ‘Tobacco industry attempts to undermine Article 5.3 and the « good governance » trap’, Tobacco Control, vol. 18, no. 6, pp. 509-511. https://doi.org/10.1136/tc.2009.032300

Figen Eker, Emmanuelle Beguinot, Yves Martinet, « Ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques de santé publique », Comité National Contre le Tabagisme, Editions Le Publieur, 2014, 415p.

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Publié le 1 septembre 2020