L’industrie du tabac et les sports mécaniques

Lancé en 1950, le championnat de Formule 1 (F1) voit son influence croître d’année en année. C’est en 1968 que le parrainage par des marques autres que celles issues de l’industrie automobile a été autorisé afin de compenser les pertes budgétaires engendrées par le retrait de British Petroleum et Shell.[1] Très vite l’industrie du tabac a su saisir l’opportunité et s’imposer comme l’un des plus grands sponsors dans les sports mécaniques. 

Le parrainage sportif est une forme de publicité indirecte et efficace pour l’industrie du tabac, en particulier pour toucher les jeunes. Les sports mécaniques offrent des taux d’audience attractifs pour l’industrie du tabac. La Formule 1 est devenue l’un des évènements sportifs les plus suivis et visionnés avec plus de 500 millions de fans dans le monde.[2] En 2020, la F1 enregistrait des taux d’audience considérables malgré une saison allégée par les restrictions générées par la crise pandémique de la Covid19. En moyenne, chaque course a réuni 87,4 millions de téléspectateurs soit une audience cumulative de 1,5 milliard de personnes à travers la planète.[3]

L’industrie du sport de motos a également pendant de nombreuses années été régie par les sponsors des grands groupes issus du tabac. Dans les années 80, des marques comme Rothmans et Lucky Strike ont investi massivement dans ce sport suivant la démarche de Marlboro.[4] Diffusé par plus de 100 distributeurs dans le monde, le MotoGP regroupait en 2018 plus de 400 millions de téléspectateurs et voyait ses taux d’audience grimper. Le MotoGP, tout comme son homologue automobile, ne repose pas uniquement sur la diffusion télévisuelle de ses évènements mais est très actif sur internet et les réseaux sociaux. Le suivi général de MotoGP sur internet peut atteindre jusqu’à 340 millions de personnes.[5]

L’importance des sports mécaniques pour attirer les plus jeunes et pérenniser la clientèle de l’industrie du tabac

A travers une exposition des fabricants de tabac via les sports mécaniques, ceux-ci cherchent à restaurer leur image d’aventure, de performance, de maîtrise de la technologie comme la F1 peut le représenter. Ces sports sont particulièrement prisés par les jeunes, cible privilégiée permettant de pérenniser les marchés.

Selon les recherches, 14% des téléspectateurs auraient moins de 25 ans, ce qui en fait le sport, le plus regardé chez les jeunes après le championnat de basketball américain de la NBA.2

Aujourd’hui, l’industrie du tabac multiplie donc son parrainage dans les sports mécaniques et se diversifie en participant à l’organisation d’évènements en ligne comme des courses virtuelles. Tel fut le cas en Juin 2020 de British American Tobacco qui, via McLaren, a fait la promotion de sa marque Velo[6] (petits sachets de nicotine oraux).[7] Selon une enquête du Bureau of Investigative Journalism, cette campagne de sponsoring a même financé le concert de musique du groupe Rudimental en direct, sur la chaîne YouTube de la marque de vapotage Vuse,  qui avait pour but de clore la saison de Formule 1.[8] Ces démarches auprès des plus jeunes s’inscrivent dans une démarche d’image, de renforcement de l’attachement aux marques et de recrutement de nouveaux clients.[9]

Les années 1970 à 1990 ont marqué l’histoire du parrainage du sport mécanique par l’industrie du tabac. L’exemple le plus emblématique de ce mouvement est l’association de Philip Morris (PMI) par le biais de sa marque phare Marlboro avec le géant italien Scuderia Ferrari. Cette relation date de 1984 et est toujours active puisque PMI parraine encore les équipements de la marque italienne.[10] Les années 1990 et 2000 ont vu les acteurs politiques prendre des actions pour freiner l’influence de l’industrie du tabac.

Les mesures nationales et internationales pour stopper ce parrainage par l’industrie du tabac

En France, la loi Veil de 1976 prévoyait déjà des dispositions en matière d’interdiction du parrainage par l’industrie du tabac et était en ce sens particulièrement pionnière. La loi Evin de 1991 est venue compléter le dispositif en matière d’interdiction globale de toute forme de publicité, promotion et parrainage et la loi de modernisation du système de santé en 2016 a encore étendu le champ au mécénat. Aujourd’hui, les dispositions dans le domaine, réunies au sein du code de la santé publique sont très claires et posent un principe général d’interdiction de ce type de promotion du tabagisme. En matière de parrainage, la loi précise ainsi en son article L 3512-4 : « Toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle est effectuée par les fabricants, les importateurs ou les distributeurs de produits du tabac ou lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, des produits du tabac et des ingrédients ».

La seule exception mentionnée concerne la retransmission autorisée pour les chaînes de télévision des compétitions de sport mécanique lorsque ces dernières se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée. Cette exception initialement adoptée s’expliquait par la difficulté que ce support pouvait avoir pour flouter les images de marques, logos s’agissant de retransmissions directes. Cependant cette exception est strictement encadrée par une jurisprudence reprise comme doctrine par le CSA[11]. En outre, l’évolution de la législation en matière d’interdiction de la publicité à l’international a grandement évolué depuis l’adoption de cette exception.

En effet, l’année 2003 a marqué un tournant en matière de lutte antitabac avec l’adoption de la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, CCLAT. Ce traité élaboré sous l’égide de l’OMS est rapidement entré en vigueur en février 2005 et a été aujourd’hui ratifié par plus de 180 pays. L’ article 13 de ce traité concerne l’interdiction de toute publicité, promotion et parrainage des produits du tabac.[12] Les pays dans les cinq années qui suivent la ratification du traité doivent se mettre en conformité avec cette obligation ce qui a quasiment généralisé l’interdiction de la publicité dans le monde entier. En outre des directives relatives à cet article 13 ont été adoptées et elles viennent préciser les modalités pratiques d’application de cet article.

En Europe, le parrainage de la Formule 1 par l’industrie du tabac est interdit par la directive de l’Union européenne sur la publicité du tabac de 2005. La plupart des sponsors tabac de la F1 pour les courses automobiles dans l’UE se sont retirés dans une large mesure, à l’exception de l’équipe Scuderia Ferrari, qui continue d’être financée par Philip Morris et de McLaren, soutenu par British American Tobacco via le financement de sa marque de cigarette électronique.

Un retrait seulement partiel de l’industrie du tabac du milieu de la F1

En 2000, la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA) votait, en écho à la négociation de la Convention-cadre de l’OMS, en faveur d’une interdiction complète du parrainage du sport automobile par l’industrie du tabac avec une application de cette mesure pour l’année 2006. Mais trois ans plus tard, la FIA très liée aux cigarettiers revenait sur cette décision et optait pour une simple recommandation, laissant la place aux fabricants de tabac.[13]

L’industrie du tabac a en outre exercé des pressions majeures sur les gouvernements afin d’obtenir des exceptions dans ce domaine. Elle n’a pas hésité à menacer ces derniers du retrait de l’organisation de ces courses très prisées sur leur territoire.6 Néanmoins, le succès sans précédent de la CCLAT a signifié un retrait des cigarettiers des circuits hormis l’écurie Ferrari. Cette dernière a continué à accepter le parrainage de Philip Morris même si elle a dû retirer les codes-barres subliminaux rappelant Marlboro de toutes ses voitures en 2010.[14]

Le retour de l’industrie du tabac dans les sports mécaniques ?

Après plusieurs années d’absence relative, plusieurs sociétés de tabac ont adopté une nouvelle approche du parrainage dans les sports mécaniques : elles utilisent leur association avec les équipes de course de Formule 1 (F1) et de Grand Prix (MotoGP) pour faire du marketing d’entreprise et afficher leur engagement en faveur de la réduction des risques sanitaires liés à leurs produits. En dépit des interdictions adoptées, la Formule 1 a accepté, en 2019, $100 millions de commandites de l’industrie du tabac. En 2020, cette dernière a investi $115 millions en dépit des promesses faites de l’organe directeur de la F1 d’interdire la publicité sur le tabac2.

Les logos Marlboro et Lucky Strike ont été remplacés par Mission Winnow pour Philip Morris (à la fois chez Ferrari pour la Formule 1 mais aussi pour Ducati pour le MotoGP) et A Better Tomorrow pour British American Tobacco (BAT).  Ces deux initiatives font la promotion de l’ensemble des nouveaux produits de PMI et de BAT présentés comme des alternatives au tabac et « produits à risque potentiellement réduit ». Ce retour des cigarettiers dans le monde des sports mécaniques s’inscrit ainsi dans le cadre d’une stratégie offensive de ceux-ci pour reconquérir des marchés déclinants. Derrière ces termes de responsabilité sociale des entreprises (RSE), collaboration, dévouement à la science et innovation technologique, l’objectif de ces compagnies est de promouvoir leurs produits du tabac et de la nicotine.6

Ce retour n’est cependant pas gagné pour les cigarettiers. Le 7 Octobre 2018, Mission Winnow faisait sa première apparition sur la scène internationale lors du Grand Prix du Japon, mais dès mars 2019, Mission Winnow disparait des équipements suite aux critiques selon lesquelles la ressemblance du logo avec Marlboro était manifeste.[15] En 2019, McLaren s’est associé à British American Tobacco et s’est vu apposer sur le capot de ses voitures la mention « A Better Tomorrow » rappelant la campagne du groupe de tabac pour la promotion de ses nouveaux produits.[16] Face à ce retour, l’Organisation mondiale de la santé a exhorté les États à appliquer pleinement les dispositions d’interdiction de promotion et du parrainage en faveur du tabac et a notamment pointé les évènements sportifs automobiles et de motos. L’OMS a par ailleurs rappelé que PMI avait enregistré le logo « Mission Winnow » en tant que marque « y compris pour l’utilisation des produits du tabac ». [17] Bien que PMI ait par la suite révisé l’utilisation de la marque, celle-ci reste active en ce qui concerne les produits du tabac chauffé. Les autorités australiennes et de l’Union européenne (UE) ont été amenées à enquêter sur des infractions potentielles aux réglementations sur la publicité du tabac. En France en 2019, le CNCT, par une action en justice, a réussi à bloquer le géant Philip Morris en faisant interdire le parrainage de voitures et de motos des écuries Ferrari et Ducati lors du Grand Prix du Mans par le cigarettier ainsi que toute référence à Mission Winnow en matière de communication.[18]

Mots-clés : F1, Formule 1, Industrie du tabac, Moto, Publicité, sports mécaniques, Ferrari, Philip Morris, British American Tobacco

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©Génération Sans Tabac


[1] Reid, Caroline, « 20 brands that defined F1 », Raconteur, 19 mars 2015, consulté le 23 mars 2021

[2] Driving addiction, F1 and tobacco advertising », Stop Tobacco Organizations & Products, juillet 2020, consulté le 22 mars 2021

[3] « Formula 1 announces TV and digital audience figures for 2020 », Formula 1, 8 février 2021, consulté le 24 mars 2021

[4] Richards, Seth, « The Rise And Fall Of Big Tobacco Money In Motorcycle Racing », Motorcyclist, 20 juin 2019, consulté le 25 mars 2021

[5] « MotoGP TV coverage hits new highs in 2018 », MotoGP, 18 mars 2018, consulté le 25 mars 2021

[6] Génération Sans Tabac,  « Etats-Unis : inquiétude autour de la consommation des sachets de nicotine », 12 février 2021, consulté le 29 mars 2021

[7] « Velo X McLaren racing virtual fan race », McLaren, 7 juin 2020, consulté le 26 mars 2021

[8] Chapman, Matthew, « New products, old tricks? Concerns Big Tobacco is targeting youngsters », The Bureau of Investigative Journalism, 21 février 2021, consulté le 25 mars 2021

[9] CNCT, « La Formule 1 continue d’accepter les financements de l’industrie du tabac », consulté le 26 mars 2021

[10] « Motorsport Sponsorphip », Tobacco Tactics, 19 mars 2021, consulté le 22 mars 2021

[11]  « Considérant que, compte tenu du caractère hautement litigieux au regard de la législation sur la publicité pour le tabac, de la diffusion d’images relatives aux compétitions de sport mécanique largement sponsorisées par les fabricants de produits du tabac, il appartenait aux chaînes de télévision concernées de prendre toutes précautions utiles, pour respecter et faire respecter la législation applicable ; Que (..) la désinvolture affichée par certains journalistes n’a pas donné lieu à des correctifs ; Que même en l’absence de tout lien commercial avec les marchands de tabac, la violation en connaissance de cause d’une prescription légale suffit à caractériser l’élément intentionnel de l’infraction à l’encontre des sociétés qui ont diffusé le rallye Dakar » (CA Paris 13ème Ch., 24/09/07, CNCT c/ France Télévisions, France 2 et France 3, infirmant TGI Paris 31ème Ch., 30/03/06). Décision confirmée par la Cour de Cassation : « Attendu que l’exception de retransmission des compétitions de sport mécanique de l’article L 3511-5 du CSP (devenu L3512-6) se limite à la possibilité de diffuser ces compétitions, pour satisfaire aux nécessités de l’information, en temps réel ou dans des situations proches de celui-ci, sans s’étendre aux rediffusions d’images intervenant plusieurs heures ou plusieurs jours après l’épreuve, la Cour d’appel a justifié sa décision » (C. Cass. 14/05/08).

[12] Organisation Mondiale de la Santé, Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, 2003, consulté le 24 mars 2021

[13] « FIA withdraws tobacco ban », Motor Sport, 26 juin 2003, consulté le 26 mars 2021

[14] Noble, Jonathan, « Ferrari removes barcode design », Autosport, 6  mai 2010, consulté le 29 mars 2021

[15] Impey, Steven, « Ferrari removes Mission Winnow FIA entry », Sports Pro, 4 mars 2019, consulté le 26 mars 2021

[16] « Our global partners McLaren unveil new F1 car », BAT – A Better Tomorrow, consulté le 31 mars 2021

[17] Organisation mondiale de la santé, « WHO urges governments to enforce bans on tobacco advertising, promotion and sponsorship, including motor sports », 14 mars 2019, consulté le 26 mars 2021

[18] CNCT, « Grand prix de France : La justice donne raison au CNCT et empêche le retour de Philip Morris sur les circuits »,  15 mai 2019, consulté le 24 mars 2021

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 9 avril 2021