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Stratégies des industriels du tabac pour contrer les avertissements sanitaires graphiques au Bangladesh

Des chercheurs bangladais et britanniques ont étudié la mise en place des avertissements sanitaires graphiques au Bangladesh et ont pu constater de nombreuses interférences des industriels du tabac sur ce sujet.

En accord avec l’article 11 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), les autorités bangladaises ont émis en 2013 un amendement au Smoking and Tobacco Products Control Act de 2005, afin de compléter par des images et des illustrations les messages sanitaires textuels apposés sur les produits du tabac. Il prévoyait notamment l’agrandissement de ces avertissements sanitaires à 50 % de la surface des emballages et les situait sur la partie haute des paquets de cigarettes, alors qu’ils étaient jusque-là localisés en bas de ces paquets et étaient régulièrement dissimulés.

Dix ans plus tard, à la suite de multiples interventions des industriels du tabac, ces avertissements figurent toujours en bas des paquets. Afin d’expliquer cette situation, une équipe de chercheurs bangladais et britanniques a conduit une étude systématiques des informations publiées sur ce sujet dans les médias papier et en ligne entre mars 2013 et novembre 2017[1].

Un lobbying à multiples facettes

Les travaux de cette équipe font apparaître plusieurs sources d’interférences des industriels, dès la publication de cet amendement. Le ministère de la Santé et du bien-être familial, porteur de l’amendement, a plus spécialement fait l’objet des pressions des industriels, réunis sous la bannière de la Bangladesh Cigarette Manufacturers’ Association (BCMA). British American Tobacco Bangladesh (BATB), qui totalise 70 % des ventes de cigarettes dans ce pays, était très actif au sein du BCMA, mais agissait aussi seul dans cette action de lobbying auprès des membres du gouvernement et des agences gouvernementales. Bien que les bidis[2] représentent 25 % du total des produits fumés, les efforts de lobbying étaient essentiellement déployés par les industriels du tabac, contrairement aux fabricants de bidis.

Parmi les agences gouvernementales visées, le National Board of Revenue (NRB), en charge de la collecte des taxes, a joué un rôle de relais des revendications des industriels. Plus tard, en 2018, cette institution accueillera à sa tête un ancien directeur de BATB, qui occupa également des fonctions importantes au ministère de l’Industrie. Le ministère de la Santé a par ailleurs fait l’objet de pressions de la part du ministère de la Loi, de la justice et des affaires parlementaires, et a été contredit par la National Tobacco Control Cell (NTCC), pourtant placée sous son autorité.

Une multitude d’actions pour s’opposer à l’amendement

Différentes méthodes ont été utilisées pour faire pression sur le ministère de la Santé. La première a consisté à obtenir, en prétextant des contraintes techniques, une extension du délai initial de six mois prévus pour la mise en place des avertissements sanitaires graphiques. Des réunions ont regroupé industriels, agence gouvernementale et autres ministères autour du ministère de la Santé. Une extension de douze mois supplémentaires fut ainsi obtenue après quinze mois de négociations, différant d’autant la date de mise en œuvre de la mesure.

Plusieurs initiatives juridiques ont également été mises sur pied par les industriels. L’emplacement prévu – en haut des paquets – pour les avertissements sanitaires a été contesté par un juriste, en prétextant que ceux-ci risquaient de masquer les bandelettes confirmant la perception des taxes sur le tabac et pouvaient mettre en péril la perception de ces taxes. De multiples requêtes écrites furent adressées par la BCMA à la Haute Cour pour contester une circulaire de la NTCC, retardant de nombreux mois la modification de l’emplacement des avertissements sanitaires.

Les organisations de lutte contre le tabagisme ont tenté d’appuyer la démarche du ministère de la Santé en organisant plusieurs évènements très visibles sur ce sujet et en déroulant une campagne de soutien dans les médias, les radios et sur les réseaux sociaux. Ces efforts ont cependant été perturbés par l’apparition d’un groupe inconnu, Action on Smoking and Health Bangladesh (ASH Bangladesh, indépendant des autres structures de ASH), qui a fissuré le consensus antitabac en relayant les positions de l’industrie, et a aussi déposé une requête auprès de la Haute Cour.

Un pays sous influence des industriels du tabac

Bien qu’il ait fait partie des tout premiers signataires de la CCLAT en 2003 et qu’il l’ait ratifiée dès 2004, le Bangladesh reste un pays particulièrement soumis aux interférences de l’industrie du tabac. Son score au Tobacco Industry Interference Index est de 72 sur 100, indiquant que ce pays est encore fortement soumis aux influences des industriels du tabac[3]. Le fait que l’Etat bangladais lui-même soit actionnaire de BATB à hauteur de 10 % et que plusieurs ministres et hauts fonctionnaires n’hésitent pas à afficher leurs liens avec cette industrie n’est probablement pas étranger à ce phénomène.

Mots-clés : Bangladesh, avertissements sanitaires, BAT, interférences.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Shahriar MH, Hasan MM, Alam MS, et al. Tobacco industry interference to undermine the development and implementation of graphic health warnings in Bangladesh, Tobacco Control, Published Online First: 25 April 2023. doi: 10.1136/tc-2022-057538

[2]

[3] STOP, Global Tobacco Industry Interference Index 2021.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 1 mai 2023