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Le rôle des groupes de façade de l’industrie du tabac en Bulgarie

Un rapport de la Coalition pour une vie sans fumée expose, à travers plusieurs études de cas, comment l’industrie du tabac utilise des groupes tiers pour faire passer ses messages vers le public, les prescripteurs médicaux et les décideurs politiques en Bulgarie.  

Des think tanks qui s’opposent à l’augmentation des taxes sur le tabac en invoquant la menace du trafic de cigarettes, une association de patients qui relaient des messages de réduction des risques sur le tabac chauffé, un organisateur d’évènements médicaux affichant le logo de Philip Morris… Ces pratiques de l’industrie du tabac consistant à recourir à des groupes intermédiaires pour faire passer ses messages ne sont pas foncièrement nouvelles, mais leur identification permet de mettre à jour les stratégies d’influence utilisées. Un rapport sur ce thème publié par la Coalition pour une vie sans fumée, avec le soutien de l’organisation STOP, fait le point sur la situation en Bulgarie[1].

Une douzaine d’intermédiaires de l’industrie repérés

N’étant plus suffisamment crédible pour défendre elle-même ses produits et ses points de vue, l’industrie du tabac se tourne vers des organisations déjà installées et reconnues pour faire passer ses messages dans les médias et le débat public, en vue de peser sur l’opinion publique et d’influencer les décideurs politiques. Le rapport détaille cinq études de cas impliquant une douzaine d’acteurs de la société civile, qui viennent étayer ce constat d’organisations jouant les intermédiaires pour l’industrie du tabac. Sont nommément mis en cause deux cabinets d’avocats (Boyanov & Co., Stoychev, Boukov & Partners), trois think tanks majeurs (Institute for Market Economics (IME), Centre for Study of Democracy (CSD), Center for Liberal Strategies (CLS)), trois médias (24 Chasa, Trud, Capital), une prestigieuse école de commerce (University of National and World Economy (UNWE)) et une organisation caritative (BCause).

L’IME – aussi membre d’Atlas Network, un groupement de think tanks liés à l’industrie du tabac – a par exemple perçu des financements de PMI IMPACT, une branche de Philip Morris International (PMI) dédiée au développement de projets sur le commerce illicite. Tout en se proclamant indépendant de PMI, l’IME a produit, en 2018 et 2019, pas moins de huit études sur le commerce illicite de tabac, en attribuant son augmentation à celle des droits d’accises. Cet institut a aussi vigoureusement bataillé pour qu’une taxe à taux zéro soit appliquée aux dispositifs de tabac chauffé, au nom de leur potentiel en termes de réduction des risques

Deux organisations liées au monde médical sont aussi pointées par le rapport de la Coalition. L’une d’elle est l’Association Nationale des patients (NPO), qui s’est fortement impliquée dans la défense du tabac chauffé et la fixation d’une taxe à taux zéro, et a témoigné dans ce sens auprès de la Commission du budget et des finances, toujours au nom de la réduction des risques et sans tenir compte des réserves de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur ce sujet. L’autre est Arbilis, un éditeur de revues médicales (cardiologie, pneumologie, endocrinologie) et également organisateur d’évènements médicaux ; la présence du logo de PMI sur les différents supports de ses évènements médicaux et la publication d’articles et de publicités de PMI ont ainsi contribué au relais par des médecins d’un discours favorable au tabac chauffé.

Identifier les groupes de façade et contrer leur influence

Les auteurs du rapport de la Coalition pour un monde sans fumée admettent que certains de ces intermédiaires peuvent avoir été naïvement bernés par l’industrie du tabac, mais soulignent que le recours à ces groupes est en contradiction avec l’article 5.3 de la CCLAT selon lequel les pouvoirs publics doivent se tenir à l’abri des influences de l’industrie. Selon leur analyse, cinq critères de base peuvent aider à identifier si une structure bulgare est liée à l’industrie du tabac :

  • Avoir participé au débat sur les taxes d’accises du tabac fumé, en 2018. Débattre sur l’augmentation des droits d’accises comme cause de l’accroissement de la contrebande.
  • Défendre les produits de tabac chauffé.
  • Avoir proposé, en 2021, l’établissement d’un Conseil national pour la coordination et la mise en œuvre de la CCLAT, en fait destiné à remettre en cause les fondements de l’OMS et de la CCLAT.
  • Redorer l’image de l’industrie du tabac, notamment en acceptant ses financements de projets sous couvert de la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Ces auteurs préconisent plusieurs propositions pour contrer l’influence de l’industrie du tabac via ces intermédiaires. La mise en œuvre effective de la CCLAT et de son article 5.3 sont considérées comme des préalables incontournables, tout comme la nécessaire coordination des services de l’Etat. La publicité et la promotion des produits du tabac, mais aussi le parrainage de toute activité de RSE ou de contenus dans les médias, devraient être interdits. Une application plus stricte des interdictions de fumer devrait être observée. Les droits d’accises sur les produits de tabac, mais aussi de chicha, de cigarette électronique et de tabac chauffé devraient être augmentés. La prévention et l’éducation à la santé devraient enfin dissuader de tout usage de tabac.

La Bulgarie était, en 2019, l’un des pays de l’Union Européenne connaissant la plus forte consommation de tabac, ainsi que celui affichant l’espérance de vie la plus courte[2]. Malgré la ratification de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) dès 2005 et de fortes attentes de la population en la matière[3], les mesures de lutte contre le tabagisme restent timides dans ce pays, du fait des actions de lobbying.

Mots-clés : Bulgarie, groupes de façade, think tanks, influence

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Gavrailova M, Geshanova G, Antonov P, Toxic Dependence, How industry shapes tobacco control policies to its advantage, Smoke-Free Life Coalition, Sofia, 2022.

[2] WHO-Europe, European Tobacco use, Trends Report 2019, WHO, Copenhague, 2019.

[3] En Bulgarie, la situation tabagique est problématique, Génération Sans Tabac, publié le 11 mai 2021, consulté le 30 mai 2022.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 2 juin 2022