Interdiction des filtres : principaux enseignements quotidiens des négociations de la deuxième session du CIN
7 juin 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 6 août 2024
Temps de lecture : 9 minutes
La deuxième réunion du Comité intergouvernemental de négociation (CNI-2) du traité des Nations Unies visant à mettre fin à la pollution plastique s’est tenue du 29 mai au 2 juin dernier à Paris. Une centaine d’associations en santé publique (dont le Comité national contre le tabagisme en France), regroupées sous la coalition Stop Tobacco Pollution Alliance (STPA), ont participé à ces négociations pour porter l’interdiction des filtres des cigarettes. Le directeur en charge des politiques publiques de l’organisation Action for Smoking&Health Etats-Unis (ASH), Chris Bostic a participé directement à ces négociations et partagé quotidiennement les avancées présentées dans ce document.
Le 29 mai, la deuxième session de négociation du traité de l'ONU visant à mettre fin à la pollution plastique s’est ouverte au siège de l'UNESCO à Paris. Par manque de place, le Secrétariat des Nations Unies a averti que chaque délégation d'observateurs - telle que la délégation d’ASH et des autres ONG ayant le statut d’observateurs- sera limitée à un représentant à la fois dans le bâtiment. ASH a ainsi constitué une équipe solide de cinq négociateurs chevronnés en matière de contrôle du tabac pour pousser la mesure d’interdiction des filtres auprès des délégations nationales présentes.
Jour 1 – Des négociations marquées par des protestations de la société civile
Le début des négociations a été marquée par des protestations de la part des ONG dont l’accès aux enceintes de discussions a été fortement restreint essentiellement pour des raisons d’affluence de participants. Cette participation des ONG est cependant d’autant plus essentielle que ces dernières sont dépositaires de l’expertise dans les domaines étudiés et qu’elles alertent sur le poids des lobbies, très présents, et susceptibles d’influer vers des dispositions non conformes à l’intérêt général.
En effet, si la menace que représente la pollution plastique pour la santé et la planète est réelle et incontestable – y compris la pollution du fait des filtres de cigarettes, les industriels concernés actifs lors de ces négociations font tout pour s’y opposer afin de préserver leurs profits.
Outre les tensions internationales notamment entre la Russie et l’Ukraine, plusieurs pays, l'Arabie saoudite en tête, ont invoqué à plusieurs reprises des questions de procédure pour bloquer le processus des négociations au fond. Si de nombreux pays comprennent parfaitement la menace qui pèse sur la planète et s'efforcent sincèrement de trouver une solution, plusieurs délégations nationales ne sont là que pour défendre les intérêts des industries de la pétrochimie, du plastique et du tabac, à l’origine de la détérioration de l’environnement.
En l’absence de consensus, un vote à bulletin secret a été organisé.
Jour 2 – Adoption des mesures du traité par consensus ou par vote
Avant le début des négociations, le Comité a adopté toutes les règles de procédure pour les négociations, à l'exception d'une seule, à savoir comment les décisions seront prises. Soit le Comité travaille par consensus, soit il autorise le vote.
Si le consensus est choisi, cela signifie que tout le monde a un droit de veto. Sur les 175 pays présents, 174 pays pourraient se mettre d'accord sur le meilleur plan d'action et un seul pays pourrait s’y opposer. Au niveau international plusieurs pays, on le sait, n’ont aucun intérêt à ce que ce traité aboutisse et pourraient donc bloquer toute avancée. Une autre raison a plaidé en faveur de la possibilité de recourir à un vote : aucun pays n'est forcé de ratifier les traités. Si un pays n'est pas satisfait du texte final du traité, il peut simplement refuser de le ratifier et ne pas être lié par le droit international.
Jour 3 – Déclaration commune pour une interdiction des filtres de cigarettes portées par les associations de la STPA et une trentaine d’associations environnementales à l’occasion de la journée mondiale sans tabac
Au troisième jour, le CIN a commencé à aborder les questions de fond. Les délégations de la plénière ont alors travaillé au sein de deux groupes de contact établis avec une répartition des points de l’ordre du jour. Ceux-ci rendent ensuite compte de leurs travaux à la plénière. Une fois les conclusions adoptées par la plénière, ces discussions constituent la base du premier projet de traité, que le secrétariat du PNUE élaborera dans l'intervalle jusqu'à la prochaine réunion du CIN en novembre au Kenya. À cela s’ajouteront les contributions écrites des délégations, mais aussi celles des organisations intergouvernementales et non gouvernementales comme Action on Smoking and Health.
Lors de cette première journée consacrée aux négociations sur le fond, une centaine d’organisations de la STPA et organisations environnementales se sont associées pour interpeller le Comité intergouvernemental de négociation (INC-2) sur la question des filtres de cigarettes. La déclaration fait également référence à la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), premier traité international de santé, ratifié par 182 parties et qui préconise de mettre à contribution les industriels du tabac pour les dommages environnementaux que leurs produits occasionnent.
Un communiqué de presse a été diffusé : Plus de 130 acteurs de la santé et de l’environnement plaident pour l’interdiction du filtre à l’occasion des négociations du traité plastique à Paris
Si cette journée a été la plus prometteuse pour le traité dans son ensemble, la requête d'ASH et de ses alliés – d’interdire les filtres de cigarettes – a fait des progrès et a rencontré un niveau élevé de soutiens tant auprès des acteurs de la société civile que des délégations gouvernementales.
Jour 4 – Qualification des plastiques
L'un des débats les plus importants de cette journée a été de savoir comment classer les milliers de types de plastiques, les composants, leur toxicité afin d'adopter une approche cohérente pour mettre fin à la pollution par les plastiques. Certains ont préconisé de se concentrer sur les critères de toxicité, en éliminant les plus toxiques et les plus polluants. Cette approche cohérente et prometteuse, place l'accent en amont du cycle de vie des produits, et se distingue des approches centrées sur les solutions à mettre en œuvre en l'aval, comme la gestion des déchets et le recyclage. Cependant cette approche a aussi des limites. Parfois, des produits chimiques relativement inoffensifs peuvent être utilisés pour fabriquer un produit qui, une fois libéré sur le marché, cause de terribles dégâts : tel est notamment le cas des filtres de cigarettes.
L'acétate de cellulose, le plastique des filtres, n'est pas fabriqué à partir de produits pétrochimiques et n'est pas particulièrement toxique en soi. Sa toxicité est liée à la consommation du produit : la combustion du tabac modifie le produit et la fumée de tabac contient plus de 7 000 produits chimiques, dont des toxines, des substances cancérigènes et des métaux lourds qui contaminent les sols et cours d’eau lorsque les filtres sont jetés de manière inappropriée. De plus, le filtre n’a aucune justification sanitaire pour le fumeur et va même jusqu’à aggraver la situation puisqu’il est lié à certaines formes plus agressives de cancer du poumon.
Pour être efficace dans sa lutte contre la pollution plastique, le traité des Nations unies sur les plastiques devra adopter une approche holistique et reconnaître l'importance de prendre en compte l'ensemble du cycle de vie des produits en plastique. En ce qui concerne la réglementation des filtres, il est certain que l'industrie du tabac exploitera la moindre faille du traité. Il était réconfortant de voir tant de pays se rallier à des thèmes importants, comme la reconnaissance du fait que nous ne pouvons pas recycler ou réinventer tous les types de plastique ; certains, comme les filtres à cigarettes, doivent tout simplement définitivement disparaître.
Jour 5 – L’interdiction des filtres de cigarette commence à faire son chemin
Le secrétariat du CIN est chargé d’élaborer un projet de traité pour la 3ème session de négociations qui aura lieu mi-novembre 2023. Le texte doit être prêt 90 jours avant le début de la session afin que les parties aient la possibilité de l'étudier et d'en débattre dans leur pays et dans chaque région. Cela signifie que le secrétariat dispose de 44 jours pour rédiger ce document. Une tâche qui peut paraître compliquée compte tenu des centaines d'interventions, qui doivent toutes être prises en considération d'une manière ou d'une autre.
En ce qui concerne l'objectif de la STPA, à savoir l'élimination des filtres de cigarettes, la semaine a été marquée par de nombreux succès. Les membres de la STPA se sont entretenus avec des dizaines de gouvernements et ont constaté un large soutien en faveur de cette mesure.
Il reste cependant de nombreuses idées reçues à surmonter - de nombreuses personnes, et pas seulement les fumeurs, pensent que les filtres rendent les cigarettes moins toxiques.
Négocier un traité de cette ampleur et de cette complexité en cinq sessions de négociation sur deux ans est pour le moins ambitieux. Si la participation de la STPA à ces négociations porte sur une demande très spécifique, il n’en résulte pas moins que les filtres illustrent parfaitement l’ampleur de ce problème mondial de la pollution plastique et qu’il est nécessaire que l’ensemble des acteurs collaborent pour réduire cette pollution majeure.
Pour lire le blog de Chris Bostic, directeur politique d’Action for Smoking and Health,
Liste des membres de la Stop Tobacco Pollution Alliance
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