Philip Morris plaide pour une réglementation « pragmatique » des produits du tabac et de la nicotine
3 mai 2025
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 29 avril 2025
Temps de lecture : 6 minutes
Le 25 avril 2025, lors du World Economy Summit organisé par Semafor à Washington, Philip Morris International (PMI) a réaffirmé sa volonté de promouvoir ses produits sans fumée comme leviers de réduction du tabagisme mondial. S'appuyant sur certaines données nationales, le PDG de PMI, Jacek Olczak, a dénoncé les disparités réglementaires qui limiteraient l'accès aux alternatives sans fumée. Toutefois, cette position soulève de vives interrogations de la part des experts en santé publique, qui rappellent que la stratégie de PMI reste fondamentalement commerciale et antagoniste avec les objectifs de santé publique [1].
Un « plaidoyer » pour l’innovation et l’accès aux produits « sans fumée »
Selon Olczak, environ 20 % des fumeurs dans le monde, soit plus de 190 millions de personnes réparties dans plus de 20 pays, n'ont pas accès légalement aux produits « sans fumée », tandis que les cigarettes, considérées comme la forme de consommation de nicotine la plus nocive, restent disponibles. Il cite des pays comme la Turquie et le Brésil, où l'interdiction des produits sans fumée coïncide avec des taux de tabagisme stagnants, malgré des mesures telles que l'interdiction de la publicité, des taxes élevées, l'emballage neutre et l'interdiction des arômes.
En revanche, des pays ayant adopté des produits sans fumée, tels que la Suède, le Japon et la Nouvelle-Zélande, ont observé une baisse des ventes de cigarettes et des taux de tabagisme. La Suède, par exemple, s’approche d’une génération sans tabac avec une prévalence du tabagisme de 5,3 %, la plus basse d'Europe, que Philip Morris attribue en grande partie à la disponibilité du snus comme alternative moins nocive.
Olczak a souligné que l'innovation doit être accessible. Il a indiqué que PMI a « investi massivement, innové continuellement et transformé son modèle commercial pour remplacer les cigarettes par de meilleures alternatives sans fumée », qui représentaient, au premier trimestre 2025, 42 % de ses revenus nets mondiaux, contre zéro il y a dix ans. Il a appelé les pays du monde entier à adopter des réglementations qui suivent le rythme de ces innovations pour que celles-ci se traduisent par des progrès en matière de santé publique.
La Suède : un exemple souvent cité, mais une réalité plus nuancée
PMI cite la Suède comme un exemple de réussite en matière de réduction du tabagisme, attribuant cette baisse à la disponibilité du snus, une forme de tabac oral et, depuis ces dernières années la vente de sachets de nicotine. Cependant, cette interprétation est contestée par les faits rappelés par les experts en santé publique. Selon une étude publiée dans Tobacco Prevention & Cessation[2], la réduction du tabagisme en Suède est principalement due à une politique antitabac complète et rigoureusement appliquée, comprenant l'augmentation des taxes sur le tabac, des restrictions strictes sur la publicité, le respect de l’interdiction de vente de tabac aux mineurs de moins de 18 ans, l'interdiction de fumer dans les lieux publics et des programmes de sevrage tabagique accessibles. L'étude souligne également que l'usage global des produits contenant de la nicotine, y compris le snus et les cigarettes électroniques, est en augmentation, en particulier chez les jeunes et les femmes, remettant en question l'efficacité du snus en tant qu'outil de réduction des risques.
En parallèle, des études longitudinales[3] menées au Japon ont conclu que l’usage de produits du tabac chauffé n’avait pas favorisé l’arrêt du tabac parmi les fumeurs ni empêché les rechutes chez les anciens fumeurs. Au contraire, leur consommation a, dans certains sous-groupes, réduit la probabilité d’arrêt et augmenté le risque de rechute. D'autres travaux de recherche longitudinale ont également mis en évidence une hausse du risque de rechute chez les anciens fumeurs de longue durée utilisant ces produits. Ces résultats soulignent l'importance d'encourager les fumeurs à recourir à des méthodes de sevrage validées scientifiquement, reconnues pour leur efficacité.
Une stratégie commerciale incompatible avec les objectifs de santé publique
Bien que PMI mette en avant les avantages potentiels de ses produits « sans fumée » dans la réduction des taux de tabagisme, cette approche suscite de fortes réserves parmi les experts en santé publique. L’introduction et la promotion de produits alternatifs peuvent favoriser une initiation accrue à la consommation de nicotine, en particulier chez les jeunes, tout en contribuant à maintenir une dépendance durable au lieu de favoriser son élimination.
Par ailleurs, les preuves scientifiques relatives à l'efficacité de ces produits pour accompagner un arrêt complet du tabac demeurent limitées. Les autorités sanitaires rappellent que les mesures de contrôle du tabac dont l'efficacité est largement démontrée – telles que l'augmentation des taxes, l'interdiction de la publicité pour les produits du tabac, l’interdiction effective de ces produits aux mineurs et les campagnes d'information sur les risques du tabagisme – demeurent les leviers les plus efficaces pour réduire la consommation de tabac au sein de la population.
Il convient également de souligner que la stratégie poursuivie par PMI demeure avant tout commerciale. Sous couvert d'innovation, l’entreprise vise à renormaliser la consommation de nicotine, à recruter de nouveaux consommateurs – notamment parmi les jeunes – et à maintenir la dépendance des consommateurs actuels. Dans ce contexte, il est indispensable que les décisions de politique publique soient guidées par des données indépendantes et fondées sur des objectifs de santé publique, et non par les intérêts économiques des acteurs de l’industrie du tabac.
Pour les acteurs de santé, une approche rigoureuse et fondée sur les preuves est essentielle pour garantir que les efforts de réduction du tabagisme ne soient pas compromis par des stratégies commerciales susceptibles d'entraver les progrès accomplis en matière de santé publique.
AE
[1] Philip Morris International CEO Jacek Olczak Addresses Emerging Global Divide in Regulatory Approaches to Consumer Innovation, Businesswire, publié le 28 avril 2025, consulté le 29 avril 2025
[2] Ermann LL, Klefbom L. Swedish tobacco policy: Key learnings to decrease smoking and challenges that still lie ahead. Tobacco Prevention & Cessation. 2024;10(December):65. doi:10.18332/tpc/196350.
[3] Odani S, Tsuno K, Agaku IT, and Tabuchi T. Heated tobacco products do not help smokers quit or prevent relapse: a longitudinal study in Japan. Tobacco Control, 2023. Available from: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/36849258
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