Philip Morris finalise son rachat très contesté de Vectura

21 septembre 2021

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 21 septembre 2021

Temps de lecture : 6 minutes

Philip Morris finalise son rachat très contesté de Vectura

Les actionnaires de Vectura ont finalement suivi leur conseil d’administration en acceptant le rachat de ce laboratoire par Philip Morris International (PMI). Une acquisition qui place la multinationale du tabac dans une position de conflit d’intérêts et met le laboratoire au ban de la communauté médicale.

PMI, qui avait déjà acquis 29% du britannique Vectura en juillet dernier, en a officiellement pris le contrôle le 16 septembre 2021 et détient à présent 75% de son capital. Le rachat de ce laboratoire, spécialisé dans la production d’inhaleurs destinés au traitement de l’asthme et de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), avait provoqué une levée de boucliers de la part des acteurs de santé britanniques et internationaux.

Un conflit d’intérêts pointé par les acteurs de santé

Ces derniers ont souligné le fait que le cigarettier vende du matériel médical pour traiter les maladies qu’il a sciemment provoquées et ils ont appelé les autorités britanniques à intervenir pour stopper cette acquisition. Ils dénoncent un conflit d’intérêt manifeste et contestent la posture d’acteur de santé revendiquée par PMI[1]. « Cela crée aussi des incitations perverses pour Philip Morris International pour qu'il vende plus de ses produits dangereux afin d'en tirer ensuite profit à travers les traitements contre les maladies liées au tabagisme », a déclaré Sarah Woolnough, directrice de Asthma UK et de la British Lung Foundation[2]. Une accusation balayée par Jacek Olczac, PDG de PMI, qui estime que ses détracteurs ne sont « pas intéressés par le progrès »[3].

Les acteurs de santé avaient aussi alerté les actionnaires de Vectura des conséquences de ce rachat sur le plan de la recherche et des publications scientifiques, estimant que le rapprochement avec PMI placerait cette société au ban de la communauté scientifique. Vectura vient ainsi d’être exclu de la conférence pharmaceutique Formulation and Delivery UK, qui doit se tenir à Londres les 21 et 22 septembre 2021, après qu’un groupe de médecins se soit opposé à sa présence[4].

Vectura pourrait aussi connaître des difficultés en Australie, où les acteurs de la santé respiratoire ont déclaré qu’il leur serait impossible de prescrire des inhaleurs qui appartiendraient à un industriel du tabac. Le remboursement des frais de santé pourrait en effet s’apparenter à un financement indirect du cigarettier par des fonds publics et placerait le pays en contradiction avec l’article 5.3 de la Convention-Cadre pour la Lutte Antitabac (CCLAT)[5]. La question se pose aussi pour d’autres laboratoires, comme Novartis ou GSK, qui utilisent des composants de Vectura dans la fabrication de leurs inhaleurs.

Un repositionnement discuté sur le secteur de la santé

Philip Morris ne vise pas seulement le marché des maladies respiratoires, mais aussi celui des maladies cardiovasculaires, deux types de pathologie qui paient un lourd tribut humain au tabagisme. Entre les rachats de Fertin Pharma et de Vectura en juillet 2021, PMI s’est ainsi offert plus discrètement celui de la société OtiTopic, qui a conçu un inhaleur cardiovasculaire encore en cours de validation par la Food and Drug Agency[6].

Par ces acquisitions, représentant à elles seules plus de deux milliards de dollars, Philip Morris International entend prendre position sur le marché de la « santé et du bien-être ». Les acteurs de santé redoutent que le cigarettier exploite cette nouvelle identité pour prendre davantage de place auprès des élus et dans les débats autour des politiques publiques de santé, dont il avait été exclu depuis plus de vingt ans.

Cette stratégie complète celle des produits du tabac et de nicotine sans fumée, sur lesquels PMI communique massivement, en occultant que les trois quarts de ses revenus proviennent encore du tabac fumé, notamment dans les pays à revenus bas et moyens. Comme d’autres industriels du tabac, PMI s’est emparé à la fin des années 2010 du concept médical de la réduction des risques afin de diviser la communauté scientifique et de contrer les politiques antitabac, tout en tentant de réhabiliter son image. Les acteurs de santé estiment quant à eux que ce revirement des industriels n’est qu’un réflexe de survie commerciale et stratégique, alors que les ventes de tabac fumé chutent dans les pays occidentaux[7].

La course à la caution scientifique des cigarettiers

L’apparente préoccupation de l’industrie du tabac pour la santé des fumeurs n’est pas un nouvel argument, il a au contraire été largement exploité depuis les années 1950, d’abord avec l’invention des filtres, puis avec les cigarettes dites « légères ». Ce discours rassurant de l’industrie s’est accompagné d’une tentative de justification scientifique de ses affirmations, en finançant des organismes présentés comme scientifiques. L’objectif réel de ces organismes, confirmé par les archives des cigarettiers, était surtout d’apporter la contradiction, de semer le doute et de briser le consensus médical sur les innombrables dommages causés par le tabagisme.

Une tendance qui s’exprime depuis 2018 par la voix de la Fondation pour un monde sans fumée (Foundation for a smokefree world/FSW), exclusivement financée par PMI. Cette fondation semble néanmoins éprouver des difficultés à nouer des partenariats avec des centres de recherche et dépense davantage ses fonds en relations publiques qu’en recherche[8]. En acquérant des laboratoires pharmaceutiques, les industriels du tabac cherchent aussi à prendre pied dans la communauté scientifique ; l’exemple du rachat de Vectura montre que celle-ci est loin d’être prête à les accueillir.

Mots clés : Vectura, Philip Morris, Philip Morris ©Génération Sans Tabac

MF


[1] Richardson Y, How Low Will They Go? Philip Morris International Acquires Lung-Health Firm Vectura Despite Obvious Conflict of Interest, Campaign for Tobacco-Free Kids, publié le 16 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[2] AFP/Le Figaro, Le géant du tabac Philip Morris acquiert 75% de Vectura, publié le 16 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[3] Sky News, Tobacco giant Philip Morris clinches shareholder backing for inhaler maker Vectura, publié le 16 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[4] Kollewe J, Davies R, Inhaler firm Vectura removed from conference over Philip Morris takeover, The Guardian, publié le 16 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[5] Branley A, Scott S, Tobacco giant's takeover bid could affect COPD lung disease treatment and research in Australia, ABC, publié le 14 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[6] Walter M, Tobacco juggernaut acquires therapeutics company behind inhalable heart attack treatment, Cardiovasuclar Business, publié le 10 août 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[7] Gill O, Block Vecture takeover, Philip Morris investors urged, The Telegraph, publié le 12 septembre 2021, consulté le 17 septembre 2021.

[8] STOP, Addiction at any cost, Philip Morris International Uncovered, 66 p. (non daté), consulté le 17 septembre 2021.

Comité National Contre le Tabagisme |

Ces actualités peuvent aussi vous intéresser