Le succès de Hong Kong dans l’interdiction totale du tabac chauffé et des cigarettes électroniques

Le gouvernement de Hong Kong s’est engagé à réduire la prévalence du tabagisme à 7,8 % d’ici 2025, dans le cadre d’un plan d’action stratégique visant à prévenir et à contrôler les maladies non transmissibles. Pour ce faire, le territoire a décidé d’empêcher tout nouveau produit de la nicotine de pénétrer sur le marché local en interdisant l’importation, la fabrication, la distribution, la vente et la publicité des nouveaux produits du tabac et de la nicotine tels que les produits du tabac chauffés et les cigarettes électroniques[1].

Plus de 30 pays dans le monde réglementent les produits du tabac chauffé en interdisant leur vente et leur importation. L’interdiction des nouveaux produits du tabac et de la nicotine est conforme aux dispositions de la Convention-Cadre de l’OMS, dont l’application a été étendue à Hong Kong depuis 2006.

Le modèle hongkongais de la lutte contre le tabagisme

Depuis la promulgation de l’ordonnance sur le tabagisme en 1982, le gouvernement de la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong a adopté une approche progressive et multidimensionnelle afin de réduire la consommation de tabac et les très nombreux dommages que cette dernière cause à la santé publique. Une telle approche inclut le volet de la réglementation, la fiscalité, l’éducation et les services de sevrage tabagique, conformément à la Convention-Cadre et aux mesures MPOWER de l’OMS,

La prévalence du tabagisme à Hong Kong a ainsi progressivement diminué, passant de 23,3 % en 1982 à 9,5% en 2021[2]. En octobre 2022, la RAS de Hong Kong a réitéré sa volonté de réduire la prévalence du tabagisme à 7,8 % d’ici 2025 et prépare actuellement une feuille de route sur la lutte antitabac qui sera publiée en 2023 afin de recueillir l’avis de la société civile sur la poursuite de cette réduction de la prévalence du tabagisme. L’objectif du gouvernement est de s’engager dans une stratégie globale pour parvenir très prochainement à une génération sans tabac selon quatre grandes orientations :

(1) Une extension des espaces sans tabac pour réduire davantage l’exposition du public à la fumée secondaire ;

(2) la réduction de l’attrait des produits du tabac ;

(3) l’augmentation de l’âge légal de vente des cigarettes ; et

(4) le renforcement des services d’aide à l’arrêt. Le gouvernement a récemment mis en place des nouveaux centres de santé dans chacun des 18 districts de Hong Kong. L’accent est placé sur la prévention des maladies non transmissibles et les facteurs de risque modifiables, en particulier le tabagisme pour lequel l’offre de soins pour le sevrage est développée.

Dans le passé, Hong Kong a été fer de lance dans la mise en place de mesures efficaces antitabac. L’interdiction de nouveaux produits sur le marché fait partie des succès à souligner.  Au début des années 1980, le gouvernement avait déjà introduit une loi interdisant le tabac à mâcher lors de son apparition sur le territoire. La nicotine est quant à elle réglementée comme un poison et les produits contenant de la nicotine, non associée à un produit du tabac (substituts nicotiniques, cigarettes électroniques…) devaient être enregistrés auprès du Pharmacy and Poisons Board of Hong Kong avant leur vente ou distribution. Ce contrôle strict de la nicotine a ainsi empêché certains produits, comme les sachets de nicotine d’entrer sur le marché local en tant que produits de consommation[3].

Le long processus de l’interdiction des nouveaux produits du tabac et de la nicotine

En février 2019, la RAS de Hong Kong a introduit le projet de loi sur le tabagisme qui visait à interdire l’importation, la fabrication, la distribution, la vente et la publicité des nouveaux produits du tabac et de la nicotine tels que les produits du tabac chauffés, les cigarettes électroniques et les cigarettes à base de plantes. Un comité a, par la suite, été formé le 1er mars 2019 pour examiner le projet de loi et une audition publique a été organisée par ce comité afin de recueillir les avis des parties prenantes et du grand public. 67 soumissions écrites de 151 organisations et individus ont été déposées.

L’examen du projet de loi a cependant été fortement retardé en 2020 et 2021 en raison de la pandémie de coronavirus et a été repris par un nouveau comité à la fin de l’année 2021.

Alors que les membres du Comité étaient unanimes quant à la nécessité d’une interdiction totale des cigarettes électroniques, le débat sur les projets d’amendements a principalement porté sur les produits du tabac chauffé, notamment en raison de l’ingérence de l’industrie du tabac dans le processus de décision. De nombreux membres ont suggéré une interdiction totale du tabac chauffé, mais certains membres, qui reprenaient les arguments de l’industrie du tabac, soutenaient que le tabac chauffé ne devrait pas être totalement interdit et soumis à un régime réglementaire distinct. Les évidences scientifiques sur les risques liés à la consommation de tabac chauffé présentées par le Food and Health Bureau ont conduit le comité à adopter, le 21 octobre 2021, par 32 voix pour, 3 voix contre et 2 abstentions, l’interdiction de l’importation, la fabrication, la vente, la distribution et la publicité de l’ensemble des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, comme le tabac chauffé, les cigarettes électroniques et les cigarettes à base de plantes. L’ordonnance 2021 portant modification de l’ancienne ordonnance sur le tabagisme (santé publique), interdisant totalement les nouveaux produits du tabac et de la nicotine est entrée en vigueur le 30 avril 2022.

Pour la Southeast Asia Tobacco Control Alliance (SEATCA), l’adoption de ce projet de loi et la promulgation de l’ordonnance marquent une étape importante dans la lutte contre le tabagisme à Hong Kong. Pour l’organisation, il s’agit d’un acquis majeur pour la santé publique, résultat d’un effort collectif du gouvernement, des législateurs, des chercheurs, de la société civile, des acteurs de santé et du grand public.

L’interférence de l’industrie du tabac dans le processus

L’industrie du tabac a tenté d’exercer son influence sur les législateurs et les représentants du gouvernement. Elle a diffusé des dossiers mettant en avant ses objections au projet de loi. Elle a notamment affirmé que les nouveaux produits constituaient un « choix plus sûr » ou « qu’ils aidaient au sevrage tabagique ». Lors de l’examen du projet de loi, l’industrie du tabac a également exercé une pression constante sur le gouvernement à travers des courriers intimidants émanant de leurs avocats, etc. dans le but de retarder le processus décisionnaire voire de le bloquer. Un législateur a déclaré à SEATCA qu’il n’avait jamais été témoin d’une telle intensité de lobbying au Conseil législatif, sur quelque sujet que ce soit, qu’il s’agisse de santé ou d’un tout autre sujet. Elle a également attaqué, à travers les tierces-parties, les membres du gouvernement, notamment le ministre de la santé sur les réseaux sociaux.

L’industrie du tabac, en particulier Philip Morris, a également fait appel à des tierces parties pour défendre ses intérêts et relayer ses positions, notamment des agences de communication, des think-thanks ou encore certains médias. L’optique était d’essayer de faire croire qu’il existait un débat sur cette question des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, et que de nombreuses personnes contestaient la pertinence du projet de loi du gouvernemental[4].

L’industrie du tabac a également mobilisé ses parties prenantes pour qu’elles envoient au gouvernement des lettres « types » s’opposant au projet de loi, à titre d’exemple le think-thank américain, le R Street Institute, financé par Altria (Philip Morris) qui envoyé une lettre[5] au gouvernement et aux législateurs de Hong Kong, leur demandant de ne pas interdire les cigarettes électroniques et le tabac chauffé en indiquant que « rien ne justifie de refuser aux fumeurs qui ne peuvent ou ne veulent pas arrêter de fumer la possibilité de passer à un produit beaucoup moins risqué ». La lettre précise que le gouvernement devrait tout mettre en œuvre pour promouvoir ces produits et que les réglementations autour de ces produits risquent « d’avoir des conséquences néfastes » notamment le maintien du tabagisme et la hausse de la mortalité.

Le rôle de la société civile dans l’adoption du projet de loi

Le gouvernement a cependant pu compter sur un fort soutien de la part de la société civile. Outre les professionnels du monde médical et de la santé, le gouvernement a également reçu un soutien important de la Fédération des associations de parents d’élèves et de la Société de bienfaisance Lok Sin Tong, qui ont mené une série d’enquêtes montrant qu’une grande majorité de parents (82 %) et de jeunes (90 %) étaient favorables à l’interdiction de tous les nouveaux produits du tabac et de la nicotine. Une enquête menée auprès de plus de 100 écoles primaires et secondaires et de jardins d’enfants dans différents districts de Hong Kong a montré que 75 % des parents participants étaient non seulement favorables à l’interdiction de l’importation, de la fabrication et de la vente des nouveaux produits du tabac et de la nicotine, mais aussi à l’interdiction de la consommation de ces produits. Malgré les pressions exercées par le secteur tabac, le large soutien du public a constitué une base solide pour l’adoption du projet de loi.

Certaines associations de lutte contre le tabagisme, notamment l’Asian Consultancy on Tobacco Control, ont pointé les conflits d’intérêt de certains responsables politiques, membres du comité qui faisaient obstruction au projet de loi. Ceux-ci avaient en effet des liens étroits, notamment financiers, avec l’industrie du tabac. D’une manière générale, l’organisation a alerté dans un courrier envoyé au secrétaire du Food and Health Bureau, sur le fait que « Très peu de responsables politiques, voire aucun d’entre eux, semblent intégrer les obligations qui sont les leurs en vertu de l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT de l’OMS), à laquelle Hong Kong, par l’intermédiaire de la Chine, est Partie ». Cet article du traité international ainsi que ses directives d’application déterminent les modalités à respecter pour protéger les politiques publiques du lobby du tabac et ce pour l’ensemble des décideurs publics.

Les pays du monde entier sont confrontés au défi des nouveaux produits du tabac pour lesquels un lobby intense est déployé de la part des industries du tabac et du vapotage. La bataille pour l’interdiction des nouveaux produits du tabac à Hong Kong a duré plusieurs années, et selon SEATCA, aucun pays ne peut s’attendre à un passage facile d’une telle interdiction. Il est cependant primordial que les gouvernements du monde entier agissent et s’opposent au lobby de l’industrie du tabac dans l’intérêt de la santé publique, et en particulier celle des jeunes.

Mots-clés : Hong Kong, tabac chauffé, cigarettes électroniques, nouveaux produits, interdiction, lobby, ingérence, Philip Morris, société civile

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Sophia Chan, Judith Mackay, Success and challenge of banning new tobacco products: Hong Kong’s experience, SEATCA, publié en décembre 2022, consulté le 7 février 2023

[2] Génération sans tabac, Hong-Kong : une faible mortalité liée à une faible consommation de tabac, publié le 9 septembre 2021 consulté le 7 février 2023

[3] V. Lai, H. Tong, L. T. Leung, S. Y. Ho, T. H. Lam, Will heated tobacco products be banned in Hong Kong?, The Union, 13 août 2021, consulté le 7 février 2023

[4] HK TVB. Straight Talk. Debate on ban on new products with Judith Mackay and Philip Morris General Manager Brett Cooper. 20 March 2019. Reported on 25 March 2019 in Hong Kong Buzz. https://hongkongbuzz.hk/2019/03/sai-kungscampaigning-doctor-blasts-big-tobacco-and-other-commercial-opposition-to-improved-public-health

[5] Letter to Hong Kong Chief Executive, President of Legislative Council, Secretary for Food and Health, and Deputy Secretary. 28 Feb 2019. https://www.rstreet.org/wp-content/uploads/2019/03/Wade-Bates-HongKong-ANDS-Ban.pdf

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 15 février 2023