Publications

promotion-droits-humains-lutte-antitabac

La promotion des droits humains est au centre de la lutte antitabac

Le concept du droit à un monde sans tabac en tant que composante des droits de l’Homme implique l’obligation pour les États de prendre en compte les droits de l’Homme tout au long du processus lié au tabac que ce soit la fabrication, commercialisation, distribution, consommation et au-delà, et ce en prenant en compte le travail des enfants, les violations des droits des personnes au travail ou d’autres catégories de personnes mais aussi la destruction de l’environnement.

  • Déclaration de Cape Town, à l’occasion de la 17e Conférence mondiale sur le tabac ou la santé, Mars 2018

Du droit à la santé au droit à contrôler le tabac ?

La Déclaration Universelle des Droits Humains de 1948 affirme dans l’article 25 que « toute personne a droit à un niveau suffisant pour assurer sa santé ».

promotion-droits-humains-lutte-antitabac

Figure 1 Crédits: Nations Unies

Cette déclaration a donné lieu à un ensemble de traités. Contrairement à la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac de l’OMS (CCLAT), l’application de ces traités est régulièrement évaluée. Des rapports envoyés par les Etats signataires sont examinés par des comités indépendants composés d’experts. Ils constituent une base pour un dialogue avec les représentants des différents pays et pour la formulation de recommandations. Les traités promouvant les droits humains reposent sur le principe d’obligation pour les parties signataires de respecter et d’œuvrer au développement de ces droits.

La promotion des droits humains dans le cadre de la lutte antitabac intervient en 2018. L’approche des militants est simple : elle met en évidence que de nombreux droits humains sont bafoués par l’ensemble du cycle de production du tabac, et pas seulement le droit à la santé. David Kabanda explique que le tabac viole au moins quatre droits fondamentaux :

  • Le droit à la vie : « c’est le seul produit qui tue un consommateur en étant utilisé de façon conforme »
  • Le droit à la santé : protéger les individus des produits du tabac en agissant sur le marketing, la distribution du tabac, etc.
  • Le droit à un environnement propre et sain : agir sur les conditions de culture, de manufacture, de traitement des déchets
  • Les droits des enfants : protéger les travailleurs, notamment mineurs, qui cultivent le tabac

C’est à partir de ce constat que la déclaration de Cape Town sur les droits de l’homme et un monde sans tabac est prononcée en 2018, à l’occasion de la 17e Conférence mondiale sur le tabac ou la santé. Depuis, un ensemble de déclarations ont entériné cette approche et notamment la déclaration de Bucarest en 2019. Dans un tel contexte, la lutte antitabac est profondément transformée : d’un problème de santé publique, elle devient un problème transversal d’action publique impliquant une pluralité de problématiques sociales, sanitaires, environnementales et économiques. Le droit à contrôler le tabac devient alors un levier de promotion des droits humains auprès des Etats. En effet, ces traités constituent un ensemble de leviers pour faire appliquer les principes de la lutte antitabac, notamment en faisant appel à la responsabilité des Etats et notamment à leurs obligations légales. En effet, les gouvernements sont obligés de protéger de protéger la santé et la vie de leurs citoyens, notamment en luttant contre les implications de l’ensemble du cycle de production du tabac dans les atteintes aux droits humains.

L’intégration du contrôle du tabac aux outils de surveillance des droits humains

La lutte contre le tabac connaît un tournant : d’objet de santé publique, elle se transforme en une problématique transsectorielle qui touche tant aux enjeux sanitaires qu’environnementaux, économiques et éthiques. L’hybridation des catégories d’analyse de l’action publique liée au tabac est directement liée au décloisonnement des acteurs, des ressources et des lieux d’échange sur le tabac. Les rapports généralistes sur les droits humains comportent un nombre croissant de mentions sur le tabac et offrent ainsi l’opportunité d’avoir l’attention des médias.

De nombreux acteurs du secteur de la lutte antitabac travaillent à développer des méthodologies fondées sur les droits humains afin de mobiliser un nombre croissant d’acteurs et de développer des outils de sanction effectifs.

  • Les recours judiciaires peuvent constituer une bonne approche pour faire avancer la jurisprudence liée aux inégalités de santé. Grâce à la mobilisation des droits constitutionnels, les acteurs de la société civile et les Etats peuvent faire avancer leur combat. Par exemple, Une série de procès opposant des Etats africains et des géants du tabac fleurit sur le continent. Au Kenya, la Kenya Tobacco Control Alliance a porté plainte contre British American Tobacco pour des pratiques de corruption envers des responsables politiques afin de les inciter à abandonner leurs politiques antitabac. Le groupe British American Tobacco a notamment attaqué l’Etat ougandais en justice pour son Tobacco Control Act of 2015. La Cour Constitutionnelle du pays a donné raison à l’Etat ougandais en 2019.

promotion-droits-humains-tabac

  • Un autre levier d’action en faveur de la lutte antitabac sont les rapport parallèles, « shadow reports », rédigés par des acteurs non étatiques d’un pays. Ces rapports, communiqués aux comités d’experts établis par les traités, permettent de mesurer l’avancement des mesures en faveur des droits humains dans les pays concernés. Ces « rapports parallèles » constituent d’importantes fenêtres d’opportunités pour mettre en valeur les atteintes au droits humains par l’industrie du tabac et plus largement, le tabagisme. Ils permettent d’intégrer aux procédures de reporting des différents traités comme le ICESR, le CRC, le CEDAW et le CRPD. Ces arènes sont cruciales pour mobiliser un nombre croissant d’acteurs et de ressources autour de la lutte antitabac.
  • Le rôle central de la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les instruments d’évaluation de la Convention Cadre constituent des outils prometteurs. Le traité engage les Parties à fournir des fonds pour mettre en place des procédures d’évaluation régulières et un nombre croissant d’acteurs de la société civile. La promotion de ces rapports et la constitution de groupes de travail intersectoriels et pluridisciplinaires sont centrales pour mettre en lumière les enjeux de la lutte antitabac auprès du grand public et des médias.

Depuis la déclaration de Cape Town en 2018, la problématique du tabac n’est plus seulement une affaire des politiques de santé mais une question de droits humains. En mettant en opposition l’intégrité des individus et le processus de production du tabac, le discours sur les droits humains délaisse la stigmatisation des comportements addictifs pour s’attaquer directement aux produits du tabac.

L’enjeu de ce recadrage cognitif est essentiel : il permet de construire une riposte à l’industrie du tabac en mobilisant des ressources transversales ainsi que de nouvelles arènes sectorielles. Les droits humains constituent une boîte à outils pour l’ensemble des acteurs de la lutte contre le tabac.

Pour aller plus loin :

La déclaration de Cape Town (lien aux ressources où nous placerons la déclaration)

Publié le 27 décembre 2019