Tollé autour du rachat de Vectura par Philip Morris
25 août 2021
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 25 août 2021
Temps de lecture : 5 minutes
Le rachat du laboratoire britannique Vectura par Philip Morris International (PMI) n’a été conclu le 12 août dernier qu’au prix d’une surenchère et d’une forte polémique avec les acteurs de santé publique.
La bataille financière pour le rachat du laboratoire Vectura a commencé en mai 2021 avec une proposition du fonds d’investissement américain Carlyle. Philip Morris avait renchéri le 9 juillet avec une offre de 948 millions de livres, sur laquelle Carlyle avait fait une contre-offre. C’est finalement PMI qui l’a emporté le 12 août en déboursant 1,1 milliard de livres (1,3 milliard d’Euros) pour s’offrir un fleuron pharmaceutique des maladies respiratoires. Les actionnaires de Vectura ont néanmoins soixante jours pour entériner cette décision.
La santé publique mise en danger
Spécialiste du traitement de l’asthme, de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des maladies respiratoires, Vectura produit des traitements pharmaceutiques et des inhalateurs pour l’asthme. Un partenariat avec la société britannique Inspira doit prochainement l’amener à présenter un nouveau médicament par inhalation contre la COVID-19[1]. Le rachat de Vectura permet ainsi non seulement à Philip Morris de continuer son implantation dans le secteur médical après le rachat de Fertin Pharma[2], mais place aussi la multinationale dans une situation où elle vendra à la fois des milliards de cigarettes et les outils médicaux pour soigner les maladies provoquées par le tabagisme.
Cette antinomie a vivement fait réagir les acteurs de santé d’outre-Manche, qui considèrent cette acquisition comme un scandale de santé publique. Fin juillet, l’Université de Nothingham avait mis en garde son partenaire Vectura contre les conséquences académiques de son rachat, estimant, tout comme l’Imperial College London, le King’s College London ou l’University College London, que sa charte ne pouvait accepter de conduire des recherches en collaboration avec des représentants de l’industrie du tabac[3]. Le rapprochement avec PMI pourrait ainsi priver Vectura de fonds de recherche, mais aussi de publications et de conférences scientifiques, ce qui risque de nuire profondément à la renommée de cette société.
Une coalition d’associations nationales et internationales (British Lung Foundation, Action for Smoking and Health, American Lung Association) a demandé au gouvernement britannique d’empêcher la transaction au nom du respect de l’article 5.3 de la Convention-Cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), ratifié par le Royaume-Uni dès 2004. Jusqu’à la dernière minute, cette coalition a tenté de peser sur la décision du conseil d’administration en l’invitant à faire « le bon choix éthique », avant que ce dernier ne tranche à l’unanimité le 12 août en faveur de PMI pour des motifs strictement financiers[4].
Quels enseignements tirer du rachat de Vectura ?
Le rachat de Vectura pose de nombreux problèmes, à la fois éthiques, en jouant la carte du profit sur tous les tableaux, diplomatiques, en contrevenant à l’article 5.3 de la CCLAT, mais aussi financiers, en plaçant certains fonds d’investissement dans une situation délicate. Les fonds d’investissement proposant des fonds d’actions éthiques auront ainsi du mal à conserver leurs parts dans Vectura. La présence d’un cigarettier parmi ses administrateurs pourrait ainsi coûter cher à Vectura, dont le cours de l’action s’est récemment gonflé de 30%.
Les efforts des dirigeants de Vectura et de PMI pour tenter de convaincre que la société Vectura restera « indépendante » et constituera une « unité autonome » n’ont rassuré personne, l’industrie du tabac étant une habituée de la désinformation et des promesses non tenues. « Acheter une entreprise médicale, ou même plusieurs, ne fait pas de PMI un acteur de santé », soulignait l’organisation STOP en commentant le rachat de Vectura. Le discours en apparence volontariste, tenu par PMI et sa Fondation pour un monde sans fumée, appelant à « interdire le tabac » et à se poser en interlocuteur sur les questions de santé, est ainsi en permanence contredit par les faits : s’il développe de colossaux efforts pour vendre ses produits de tabac chauffé/grillé dans les pays occidentaux, PMI négocie en même temps sa licence pour bâtir une nouvelle usine de cigarettes en Egypte[5].
Cette contradiction flagrante devrait au contraire inciter les Etats à prendre les cigarettiers au mot et à engager plus nettement des politiques visant à faire rapidement interdire le tabac fumé, sans attendre 2035, plutôt que de ne l’envisager qu’une fois effectuée la transition vers les autres produits de tabac, supposément moins nocifs. Les considérables moyens financiers de l’industrie du tabac pourraient quant à eux être consacrés à l’impliquer davantage, au titre du principe pollueur – payeur et de la responsabilité élargie des producteurs, dans la réparation des dommages sanitaires et environnementaux qu’elle occasionne.
Mots-clés : Vectura, Fertin Pharma, PMI, CCLAT
MF
[1] PL/AFP, BFM Business, Philip Morris rachète le spécialiste des inhalateurs médicaux vectura, publié le 13 août 2021, (consulté le 16 août 2021).
[2] Génération Sans Tabac, Philip Morris rachète Fertin Pharma, un spécialiste des substituts nicotiniques, publié le 5 juillet 2021, (consulté le 23 juillet 2021)
[3] Boland H, The Telegraph, Vectura risks university research block after Philip Morris takeover, publié le 1er août 2021, (consulté le 16 août 2021)
[4] Kollewe J, Neate R, The Guardian, Vectura board unanimously accepts Philip Morris’s controversial takeover bid, publié le 12 août 2021, (consulté le 16 août 2021)
[5] STOP, The World’s Biggest Tobacco Company Has No Business in Health, publié le 13 août 2021, (consulté le 16 août 2021)