Stratagème de l’industrie du tabac autour de la baisse des prix
7 septembre 2021
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 7 septembre 2021
Temps de lecture : 5 minutes
Depuis le 1er septembre 2021, en France, certains paquets de cigarettes sont repassés sous le seuil de 10 €, tandis que d’autres augmentaient légèrement. Une tactique des industriels du tabac pour séduire les plus jeunes et contourner les politiques de hausse des taxes réduisant l’initiation et le nombre de fumeurs.
La presse française a largement relayé les baisses de prix (-10 ou -20 centimes) qu’ont affiché le 1er septembre quelques marques de cigarettes, leur assurant ainsi une publicité aussi bien gratuite qu’illégale. Cette baisse de prix n’est pourtant que très partielle, ne touchant que certaines références au sein d’une même marque tandis que d’autres connaissent une légère hausse, la plupart des prix restant inchangés[1]. Une manœuvre des industriels du tabac qui se joue à plusieurs niveaux, à la fois auprès des consommateurs, des pouvoirs publics et de leurs propres concurrents.
Une baisse très relative, pour pallier l’effritement du marché
L’un des objectifs de cette baisse de prix est de créer des produits d’appel, tout particulièrement à l’attention des jeunes et des milieux populaires, dont le budget est plus serré. En passant certaines références en deçà du seuil psychologique de 10 €, les fabricants cherchent à regonfler un marché de la cigarette qui s’effrite un peu plus chaque année. Ils consentent donc à réduire légèrement leur marge en diminuant leur prix de vente afin de renouveler et de conserver leur public, tout en creusant un écart qui les rend plus attractifs face à leurs concurrents. Ces quelques baisses sont en partie compensées par des augmentations sur les produits dits « premium ». Une stratégie qui, selon British American Tobacco (BAT, propriétaire de Lucky Strike, Camel, Vogue, Rothmans…), serait censée illustrer « une guerre des prix entre cigarettiers »[2], mais qui ressemble plutôt à une opération quasi-publicitaire, afin de faire parler de soi.
Un contournement des politiques fiscales
« Ce ne sont pas des variations décidées par les autorités sanitaires ou fiscales, mais une démarche des industriels pour contourner l’augmentation régulière des prix », précise Loïc Josseran, président de l’Alliance Contre le Tabac (ACT)[3]. Cette relative baisse des prix s’effectue dans un contexte où le Ministère des Comptes publics a évoqué un moratoire des augmentations des taxes sur le tabac en 2021 et 2022, que l’industrie entend bien concrétiser et mettre à profit. De nombreux pays ont cependant pu vérifier que des augmentations significatives et régulières du prix du tabac, par le biais d’une augmentation des taxes et des droits d’accises, constituent l’un des meilleurs moyens de réduire le nombre de fumeurs. C’est donc aussi pour contrer la politique du prix fort que les industriels du tabac cherchent à briser le seuil des 10 €, alors que les associations de santé publique préconisent un paquet à 15 € en 2025 dans l’optique de parvenir à une génération sans tabac d’ici 2030. Cette attitude démontre aussi qu’ils sont loin de renoncer aux profits générés par les cigarettes « combustibles », malgré des discours rassurants annonçant la fin du tabac fumé. Lorsque les médias citent les marques de cigarettes et leur variation de prix, les cigarettiers s’offrent au passage une publicité totalement illégale et touchent le public le plus large.
L’un des préjugés les plus tenaces sur la fiscalité, encore partagé par 56% des Français[4], est de considérer le tabac comme une manne financière pour l’Etat. Les droits perçus sur les ventes ne s’élèvent pourtant qu’à 16 milliards d’euros en 2020[5] tandis que les seuls soins médicaux sont chiffrés à 26 milliards d’euros, soit une perte annuelle de 10 à 13 milliards d’euros pour les finances publiques. Les économies réalisées sur les retraites, argument souvent avancé, ne permettent quant à elle que d’économiser 1,8 milliard d’euros, tandis que le coût social total du tabagisme est estimé à 120 milliards d’euros[6].
Mots-clés : prix du tabac, taxes, contournement, ACT, fiscalitéMF
[1] Journal Officiel, Arrêté du 23 juillet 2021 portant homologation des prix de vente au détail des tabacs manufacturés en France, à l'exclusion des départements d'outre-mer, JORF n°0187 du 13 août 2021, consulté le 3 septembre 2021. [2] Da Sois J, Le Figaro, Cigarettes : pourquoi le prix de certains paquets est en baisse, publié le 1er septembre 2021, consulté le 3 septembre 2021. [3] Lerouge S, La Croix, Baisse du prix du tabac : tendance ou stratégie marketing ?, publié le 1er septembre 2021, consulté le 3 septembre 2021. [4] BVA, Les indicateurs de l’ACT #1 – enquête trimestrielle réalisée en novembre par BVA pour l’ACT sur la perception du tabac en France. , publié le 14 décembre 2020, consulté le 3 septembre 2021. [5] Laboureix JP (dir.), Les comptes de la sécurité sociale, rapport, tome 1, septembre 2020, 312 p. [6] Kopp P, Le coût social des drogues en France, OFDT, décembre 2015, 75 p. Comité National Contre le Tabagisme |