Intense lobbying autour de l’interdiction du menthol dans l’état de New York
26 avril 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 26 avril 2023
Temps de lecture : 5 minutes
Face aux imposants moyens de lobbying des cigarettiers Altria et RJ Reynolds pour s’opposer au projet d’interdiction du menthol dans tous les produits du tabac dans cet État, une coalition d’acteurs de santé a mobilisé des moyens exceptionnels pour soutenir le projet. Sollicitée par ces deux pôles et principalement touchée par la consommation de cigarettes au menthol, la communauté afro-américaine avance divisée dans ce débat.
La Food and Drug Administration (FDA) a interdit les arômes menthol dans les cigarettes et les cigares le 29 avril 2021. La validation de cette interdiction et les recours juridiques attendus de la part des industriels du tabac devraient cependant exiger plusieurs années avant que cette décision ne devienne effective. Les états du Massachusetts et de la Californie ont, en parallèle, engagé leur propre procédure d’interdiction du menthol.
La gouverneure de l’état de New York, Kathy Hochul, a également soumis un projet d’interdiction du menthol dans tous les produits du tabac (cigarettes, cigares et cigarillos aromatisés, ainsi que les snus et les tabacs à priser ou à chiquer), complété par une augmentation d’un dollar sur toutes les cigarettes[1]. Le projet d’interdiction du menthol a donné lieu à un intense et coûteux lobbying entre les acteurs pro- et anti-tabac, qui s’est traduit par une opposition entre les alliés afro-américains de Mme Hochul.
Rivalité dans les sommes investies dans le lobbying du menthol
Pour contrer ce projet d’interdiction, les deux principaux producteurs de cigarettes au menthol, Altria (marques Marlboro et Parliament) et RJ Reynolds (filiale de British American Tobacco, marques Newport et Camel), ont fait jouer leur réseau de lobbying. Plus de douze cabinets de lobbying ont perçu 1,4 millions de dollars US (1,27 millions d’euros) pour 2023, dont 400 000 dollars US engagés sur les seuls mois de janvier et février, pour faire le siège de la gouverneure, de son cabinet et des élus.
Les deux cigarettiers ont également financé l’Association des commerces de proximité de New York, à hauteur de 70 000 dollars US pour Altria et 66 000 dollars US pour RJ Reynolds. lui permettant de s’offrir une campagne d’influence et de publicité de 11 000 dollars US sur les réseaux sociaux. Altria et cette association sont par ailleurs représentés par le même cabinet de lobbying Ostroff Associates. Les ventes de cigarettes au menthol représentant actuellement 30 % des ventes de cigarettes, les petits commerces ayant accordé une large place aux ventes de tabac considèrent cette interdiction comme une menace pour leur survie.
Fidèle à sa tradition de financement des deux principaux partis politiques et attentive au retour sur investissement, Altria a d’autre part contribué aux campagnes électorales des candidats Républicain comme Démocrate de l’état de New York, à hauteur de 174 350 dollars US sur l’année écoulée.
Les acteurs de santé publique ont eux aussi engagés d’importants moyens dans cette campagne de pression sur l’interdiction du menthol. Financée par Bloomberg Philanthropies, l’organisation Campaign for Tobacco-Free Kids (CTFK) a doté de 1,15 millions de dollars US (1,27 millions d’euros) la firme de lobbying Pythia Public pour une campagne multimedia en ligne, sur les réseaux sociaux et à la télévision, en faveur de l’interdiction du menthol. « Il s’agit d’une des rares fois où, sur le plan financier, c’est un combat loyal » a déclaré Blair Horner, responsable du New York Public Interest Research Group, un groupe de consommateurs en faveur de l’interdiction du menthol.
La communauté afro-américaine tiraillée entre les deux camps
Première concernée par la consommation des cigarettes mentholées, la communauté afro-américaine a été fortement sollicitée par les deux camps. Comme dans d’autres états, les industriels du tabac ont mobilisé des pasteurs et certaines figures de la défense des droits civiques, et ont semé la discorde parmi les élus afro-américains favorables à la proposition de Mme Hochul. L’argument de la discrimination raciale contre les fumeurs noirs, déjà brandi en Californie, à Detroit et à New York City, a de nouveau été exploité. La mère d’Eric Garner, un revendeur de cigarettes abattu par la police en 2014, est par exemple intervenue lors d’une récente manifestation contre l’interdiction du menthol. A New York City en 2019, cette stratégie avait permis à l’industrie du tabac de repousser un projet similaire d’interdiction.
La coalition des acteurs de santé publique, conduite par l’American Cancer Society, a également mobilisé les élus afro-américains et les représentant d’associations comme la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). Les élus afro-américains partisans de l’interdiction ont ainsi réclamé que les intérêts économiques ne l’emportent pas sur la santé des citoyens afro-américains. Ils ont rappelé que si 85 % des fumeurs afro-américains fument des cigarettes mentholées contre seulement 30 % des fumeurs blancs, ceci résulte d’un ciblage publicitaire de la population afro-américaine sur plusieurs décennies.
Conçue pour préserver les jeunes de l’initiation au tabac et pour faciliter le sevrage des fumeurs actuels, l’interdiction du menthol dans les cigarettes dans l’état de New York est aussi devenue un enjeu national. C’est à présent en coulisse que la gouverneure Hochul poursuit la négociation avec les instances Démocrates de l’état, en défendant à la fois l’interdiction du menthol et l’augmentation du prix des cigarettes mais au détriment d’une indispensable transparence sur ces sujets.
Pour en savoir plus sur la question du menthol, consultez notre décryptage.
Mots-clés : Etat de New York, menthol, lobbying, afro-américains.
©Génération Sans TabacMF
[1] Ferré-Sadurni L, Black Smokers at Center of New York Fight to Ban Menthol Cigarettes, The New York Times, publié le 23 avril 2023, consulté le 24 avril 2023.
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