Connivences de diplomates britanniques avec British American Tobacco

26 mars 2023

Par: Comité national contre le tabagisme

Dernière mise à jour : 26 mars 2023

Temps de lecture : 6 minutes

Connivences de diplomates britanniques avec British American Tobacco

Le cas de l’inauguration d’une usine de cigarettes en Jordanie par l’ambassadeur du Royaume-Uni au Yémen est le plus documenté, mais plusieurs affaires similaires ont été repérées dans d’autres pays à revenu faible ou intermédiaire. Des situations qui ravivent la nécessité de préserver les représentants officiels des états de toute relation avec les industriels du tabac.

Une étude conduite par le Tobacco Control Research Group (TCRG) de l’Université de Bath a non seulement mis en lumière l’inauguration par l’ambassadeur du Royaume-Uni au Yémen d’une usine de cigarettes en Jordanie, mais a également pointé la rétention d’informations à ce sujet de la part du Bureau des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement (FCDO)[1]. Malgré les engagements du Royaume-Uni en matière de lutte contre le tabagisme, ce cas d’espèce semble loin d’être une exception.

Une inauguration d’usine difficilement avouée

Au cours de leur mission de surveillance de l’industrie du tabac, les chercheurs du TCRG ont d’abord découvert, en 2020, un article de presse en langue arabe concernant la société Kamaran, un producteur de cigarettes du Yémen détenu à 31 % par British American Tobacco (BAT). L’article évoquait le financement par Kamaran d’un journal, d’un groupe armé engagé dans la guerre civile yéménite, ainsi que la présence de Michael Aron, l’ambassadeur britannique, à l’inauguration d’une usine en Jordanie. Sur le site web de la société Kamaran, un communiqué de presse en langue arabe détaillait cette inauguration où figuraient deux autres officiels, l’ambassadeur du Yémen en Jordanie et celui de Jordanie au Yémen. Fait notable, l’usine jordanienne était située dans une zone franche. Dans une interview télévisée, Michael Aron soulignait par ailleurs que les investissements de BAT au Yémen profiteraient autant à BAT qu’au Yémen.

Les chercheurs du TCRG se sont alors appuyés sur le Freedom of Information Act, un droit à l’information qui permet d’obtenir la communication de documents par les autorités publiques. Ils ont écrit au FCDO pour obtenir des informations sur la présence de ce diplomate à cette inauguration mais, après plusieurs relances, n’ont pas obtenu de réponse sur ce point, une clause de confidentialité des affaires étant entre autres invoquée. Une nouvelle requête du TCRG, faisant valoir que la transmission de ces informations était d’intérêt public et exigée par les engagements du Royaume-Uni vis-à-vis de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), fut elle aussi éconduite. Le TCRG déposa alors une plainte auprès de l’Information Commissioner's Office, qui permit la levée des informations retenues.

La réponse du FCDO dévoilait ainsi ne pas consigner les activités et réceptions qui ne figurent pas dans l’agenda officiel des diplomates, ce qui jette un voile sur toutes les rencontres informelles. La FCDO a reconnu avoir reçu une demande de East of England Trading Co., afin de surmonter un conflit commercial avec les autorités jordaniennes. La FCDO aurait décliné au motif qu’il s’agissait d’une société liée au secteur du tabac. Les auteurs de l’étude signalent d’autre part que les recommandations du FCDO aux diplomates en poste à l’étranger stipulent clairement que les contacts avec l’industrie du tabac ne sont pas autorisés, en citant même fortuitement le cas des inaugurations d’usines britanniques.

Des contacts endémiques entre diplomates britanniques et industriels du tabac

Ce cas paraît loin d’être isolé, puisque l’étude mentionne également que des diplomates britanniques ont appuyé les actions de BAT dans plusieurs autres pays. Ce fut ainsi le cas au Panama en 2012 pour contrer une augmentation des taxes, au Bangladesh en 2013 lors d’un procès pour taxes non payées, ou au Pakistan en 2015 pour combattre l’élargissement des avertissements sanitaires et en 2020 pour promouvoir les pochettes de nicotine Velo. Des officiels britanniques ont aussi eu des contacts répétés avec des industriels du tabac au Venezuela, à Cuba, au Laos et au Burundi.

Les diplomates britanniques n’ont cependant pas l’exclusivité des relations étroites avec l’industrie du tabac. L’étude pointe ainsi des actions de lobbying pour d’autres multinationales du tabac impliquant des ambassadeurs suisses en Moldavie (2019), allemands au Liban (2022), japonais au Bangladesh (2021), en Ethiopie et en Tanzanie (2015), ou étatsuniens au Vietnam (2017).

Faire appliquer l’article 5.3 de la CCLAT

Les auteurs de l’étude constatent donc que l’attitude du Royaume-Uni est particulièrement ambivalente vis-à-vis du tabac. Ce pays est considéré comme l’un des plus en pointe en matière de lutte contre le tabagisme et de mise en œuvre des principes de la CCLAT, mais ne semble pas appliquer ces principes aux autres pays, qui plus est lorsqu’ils sont à revenu faible ou intermédiaire. La logique du soutien aux industriels du tabac semble ainsi perdurer au fil des décennies[2], malgré les engagement internationaux et les recommandations internes du FCDO.

L’article 5.3 de la CCLAT et ses directives d’application insistent pourtant sur le fait que l’industrie du tabac n’est pas un secteur économique comme les autres et que les contacts avec ses représentant doivent être limités à ce qui est strictement nécessaire, avec une transparence des rencontres lorsqu’elles ont lieu. Les auteurs appellent non seulement à mieux mettre en application les directives de cette disposition adoptées à l’une des Conférence des parties (COP) du traité. Cela passe par l’extension au corps diplomatique de la procédure standardisée visant à encadrer les contacts avec l’industrie du tabac. Les auteurs de l’étude recommandent également d’utiliser tous les outils dédiés au droit à l’information du public pour veiller au bon respect de ces dispositions.

Mots-clés : Royaume-Uni, Yémen, Jordanie, diplomates, BAT.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Alebshehy R, Silver K, Chamberlain P, A “willingness to be orchestrated”: Why are UK diplomats working with tobacco companies? Front. Public Health, 2023, 11:977713. doi: 10.3389/fpubh.2023.977713

[2] Safi M, UK ambassador to Yemen took part in opening of Jordanian cigarette factory, The Guardian, publié le 19 mars 2023, consulté le 22 mars 2023.

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