Au Sénégal, le décret de la loi antitabac adopté sans concertation avec les ONG
16 octobre 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 16 octobre 2023
Temps de lecture : 4 minutes
La Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) a regretté ne pas avoir été consultée avant l’adoption du décret d’application de la loi de 2014 sur les produits du tabac au Sénégal, qu’elle réclamait pourtant depuis plusieurs années. La Listab redoute que les industriels du tabac soient à l’origine de cette manœuvre, les contours du décret n’étant pas encore dévoilés.
« Scandale du siècle », c’est ainsi que la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) a qualifié la publication du décret d’application de la loi de 2014. Portant sur la fabrication, le conditionnement, l’étiquetage, la vente et l’usage du tabac, la loi n° 2024-14 du 28 mars 2014 attendait en effet toujours son décret d’application. La Listab a plusieurs fois réclamé la publication de ce décret et avait imputé ce retard aux interférences de l’industrie du tabac au niveau gouvernemental[1].
Craintes d’interférences de la part de l’industrie du tabac
La publication du décret d’application a été annoncée dans le communiqué du Conseil des ministres du 4 octobre 2023, sans autre indication et sans aucune concertation préalable avec des organisations non gouvernementales (ONG)[2]. Ce sont pourtant celles-ci qui avaient porté le projet de loi antabac adopté en 2014. « Jamais un texte de loi antitabac n’a été modifié sans avoir été partagé entre tous les acteurs en commission technique », s’est indignée la Listab[3]. Cette attitude du gouvernement constitue en soi une reculade, au regard des progrès pourtant accomplis par le Sénégal ces dernières années.
Ce manque de transparence et de concertation est décrypté par la Listab comme une « procédure silencieuse utilisée en complicité avec l’industrie du tabac ». La Listab met notamment en cause le ministère de la Santé et le Secrétariat général du gouvernement. Plusieurs indices d’une influence discrète de l’industrie du tabac ont en effet été répertoriés. En 2018, le gouvernement avait autorisé Philip Morris à construire des salles de classe pour une école, alors que la loi de 2014 proscrit les accords entre le gouvernement et les cigarettiers. Le gouvernement avait, au cours de la crise COVID-19 de 2020, accepté un don important de Mohamed Ould Bouamatou, un milliardaire mauritanien exerçant dans la vente de tabac.
Adhésion du Sénégal au système Codentify
En mai 2021, le Sénégal a adopté le système Codentify, mis au point par les industriels du tabac et censé assurer la traçabilité des produits du tabac. Une étude du Centre d’études de politiques pour le développement (CEPOD), réalisée en janvier 2017 pour le ministère de l’Economie, recommandait pourtant explicitement de ne pas adhérer à ce système[4]. Le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, ratifié par le Sénégal, exclut pour sa part tout système de traçabilité qui proviendrait des cigarettiers.
La dernière édition de l’Index global d’interférence de l’industrie du tabac, publiée en 2021, ne fait pas apparaître le Sénégal comme étant particulièrement touché par les influences de l’industrie. Il pointe cependant dans ce pays un manque de mesures préventives pour se protéger de ces influences. L’approche d’un scrutin présidentiel, en février 2024, fait redouter que certains candidats bénéficient d’un financement occulte de la part des industriels du tabac.
Pour en savoir davantage sur l’état d’avancement du Protocole pour éliminer le commerce illicite, consultez notre dossier.
Mots-clés : Sénégal, loi n° 2024-14, décret d’application, Listab.
MF
[1] Sénégal : des activistes réclament l’application de la loi anti-tabac, Ouestaf News, publié le 19 février 2020, consulté le 9 octobre 2023.
[2] Communiqué du Conseil des ministres du 4 octobre 2023, Présidence du Sénégal, publié le 4 octobre 2023, consulté le 9 octobre 2023.
[3] Ndiaye N, Loi sur la fabrication au Conditionnement, l’étiquetage, la vente du tabac: La LISTAB dénonce l’adoption du projet de décret d’application sans leur implication, Rewmi, publié le 9 octobre 2023, consulté le 9 octobre 2023.
[4] CEPOD, Etude sur l’analyse situationnelle du commerce illicite du tabac, Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, janvier 2017, 56 p.
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