Au Canada, les négociations avec les industriels du tabac se font au détriment des procès publics
2 février 2023
Par: Comité national contre le tabagisme
Dernière mise à jour : 2 février 2023
Temps de lecture : 5 minutes
Trois associations de santé canadiennes alertent sur les négociations en cours, autour des procès intentés par les provinces canadiennes aux industriels du tabac. Ces derniers espèrent un règlement forfaitaire afin d’échapper à une amende de 500 milliards de dollars canadiens (345 milliards €).
A l’occasion de la semaine nationale sans tabac, les représentants de la Canadian Cancer Society, de la Canadian Lung Association et de Heart & Stroke ont à nouveau uni leur voix pour interpeller l’opinion publique sur l’une des affaires judiciaires du siècle au Canada.
Les dix gouvernements provinciaux du Canada ont en effet intenté, voici plus de vingt ans, des poursuites contre les industriels du tabac au titre des coûts de santé causés par leurs pratiques commerciales. Après plusieurs années de procédure, les industriels cherchent aujourd’hui à négocier en coulisses un accord de règlement avec les gouvernements, sur le modèle de celui conclu le 23 novembre 1998 avec le gouvernement étatsunien. Les associations de santé estiment que ce débat fondamental devrait au contraire se tenir au grand jour[1].
Des procès au long cours
En mars 2019, trois majors canadiennes du tabac – Imperial Tobacco (ITL), Rothmans, Benson & Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (Japan Tobacco International) –ont été condamnées en appel à une amende de 13 milliards de dollars canadiens (9 milliards €). Elles se sont alors déclarées insolvables en vertu de la Loi sur les Arrangements avec les Créances des Compagnies (LACC). En conséquence, les procès similaires dans les autres provinces ont eux aussi été gelés, les cigarettiers ayant fait valoir leur intention de parvenir à un « règlement global », sur le modèle du contentieux étatsunien en 1998. Ce gel s’applique par ailleurs aux autres plaintes qui pourraient venir de consommateurs ou de cultivateurs, et englobe également d’autres produits de la nicotine, tels les cigarettes électroniques, leur matériel et leurs e-liquides.
Depuis 2019, l’application de cette décision de justice a été différée neuf fois, la période actuelle courant jusqu’au 31 mars 2023. Deux recours collectifs en justice (class actions) avaient été engagés en 1998 par le gouvernement du Québec au titre des 100 000 Québécois décédés du tabac entre 1950 et 1998 ; la procédure de la Colombie Britannique a, quant à elle, été initiée en 2001. Seul l’un des procès instruits au Québec a jusqu’ici été conduit à son terme. A la différence du procès québécois, qui visait les distributeurs locaux, les procès portés par les provinces canadiennes englobent les maisons-mères des distributeurs nationaux et sont, à ce titre, bien plus redoutables pour les multinationales du tabac[2].
La crainte d’un dévoiement des procédures
Les associations de santé dénoncent l’attitude commerciale des majors du tabac, qui ont durant des décennies menti au public sur les dangers de leurs produits pour la santé, ont dissimulé des études internes notamment sur ces risques, ont ciblé des adolescents, ont conçu des produits spécialement pour les femmes, ont répandu une publicité fallacieuse et ont trompé le public avec des allégations telles que « light » ou « mild », « légère ». Elles attirent aujourd’hui l’attention sur l’aspect secret des négociations en cours, en contradiction avec les préceptes de la Convention-cadre pour la lute antitabac (CCLAT). Depuis 2019, rien n’a filtré à ce sujet, les seules informations rendues publiques se limitant aux demandes de délais de la part des cigarettiers et à la tenue d’une réunion en janvier 2020, dont la date n’a pas été révélée.
Les associations réclament notamment un débat public pour que ces procès soient assortis de nouvelles mesures permettant de réduire le tabagisme, tout en empêchant ces entreprises de répéter le même scénario avec d’autres produits nicotinés. Les acteurs de santé souhaitent également que l’argent collecté ne serve pas qu’à compléter le budget des provinces ou à enrichir les cabinets d’avocats, souvent rémunérés par un pourcentage sur les sommes obtenues. Le Nouveau Brunswick a ainsi avancé un acompte de 18 % sur les sommes attendues, tandis que Terre-Neuve et le Labrador ont accepté de reverser 30 % de ces sommes à leurs cabinets d’avocats[3].
Parmi les mesures sollicitées par les associations de santé figurent, en premier lieu, le financement à long terme des actions de lutte contre le tabagisme et la création d’une fondation indépendante pour gérer ces questions, sur le principe de Truth Initiative aux Etats-Unis après l’accord de 1998. La fin des opérations de promotion de tout produit du tabac et la publication de tous les documents internes de ces industriels sont également requis afin de corriger le comportement de l’industrie du tabac.
Mots-clés : Canada, procès, règlement forfaitaire, ITL, RBH, JTI.
©Génération Sans TabacMF
[1] Seale A, Dean T, Roth D, Historic lawsuits against tobacco industry must prioritize measures to reduce tobacco use, LinkedIn, publié le 17 novembre 2022, consulté le 27 janvier 2023 (1ère publication en juin 2021)
[2] Margoc H, The Canadian tobacco litigation: Imperial Tobacco, Rothmans, Benson & Hedges and JTI-Macdonald under creditor protection, Norton Rose Fulbright, publié en juillet 2019, consulté le 30 janvier 2023.
[3] Canada’s Tobacco Companies and their use of Insolvency Protection, Physicians for a Smoke-free Canada, communiqué, publié en septembre 2022, consulté le 30 janvier 2023.
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