L’expérience des avertissements sanitaires dédiés au tabac pourrait profiter à ceux des produits alcoolisés

Au Canada, une réflexion sur les avertissements sanitaires propose de faire profiter les produits alcoolisés de l’expérience et de l’expertise développée avec les produits du tabac.

Depuis qu’il a été formellement établi, en 1964, que fumer du tabac provoque des cancers, le Canada s’est engagé dans un effort constant pour limiter et dissuader cette consommation. Cela a notamment conduit, parmi de nombreuses autres mesures adoptées, à développer des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, afin qu’aucun fumeur ne puisse ignorer les risques qu’il encourt en fumant. Ces avertissements sanitaires sont aussi destinés à sensibiliser l’entourage des fumeurs aux dangers du tabagisme, ainsi qu’aux jeunes non-fumeurs pour les dissuader de s’initier au tabagisme.

Il a depuis été scientifiquement démontré que non seulement la consommation d’alcool produit également des cancers, l’incidence commençant dès le premier verre[1], mais aussi que ces cancers sont les premières pathologies imputables à la consommation d’alcool. Bien que cette réalité médicale soit connue depuis plusieurs décennies, ce n’est qu’aujourd’hui que certaines voix du monde médical s’élèvent pour réclamer de tels avertissements sur les produits alcoolisés, en s’inspirant de l’expérience et du modèle développés pour les produits du tabac[2].

Timides débuts des avertissements sur les dangers du tabac

Initiés dès 1966 aux Etats-Unis, ces avertissements sanitaires furent, à l’origine, laissés à la libre initiative des fabricants de tabac. Certains fabricants inscrivirent même des mentions du type « éviter d’inhaler », mais aucune règle n’encadrait cette pratique. Les avertissements figuraient alors sur le côté des paquets et ne mentionnaient aucune maladie spécifique. L’Australie porta en 1973 ces avertissements sur la face avant des paquets, tandis que la Suède inaugurait en 1977 une rotation de 16 messages sanitaires avec des informations spécifiques sur les pathologies du tabac, en caractères noirs sur fond blanc ou foncés sur fond clair[3].

Au Canada, dans la fin des années 1980, quatre avertissements (« fumer réduit l’espérance de vie », « fumer est une source majeure de cancer », « fumer est une cause majeure de maladies cardiovasculaires » et « fumer durant la grossesse nuit à votre enfant ») furent imposés aux industriels du tabac, mais il s’agissait encore d’avertissements textuels sans photo. Ces messages furent alors « camouflés » par les industriels, dans des couleurs qui se confondaient avec celles du paquet.

En 1993, une loi canadienne fit insérer la mention « fumer peut vous tuer » en haut de la face principale des paquets, en caractères blancs sur fond noir, le tout encadré d’un liseré blanc. Les industriels du tabac qualifièrent cette législation de « harcèlement », expliquant que ces inscriptions ne fonctionnaient pas et attaquèrent cette loi en justice, la Cour suprême du Canada leur donnant raison en 1995.

Extension et illustration des avertissements sanitaires

Avec le Tobacco Act canadien, en 1997, le Parlement réintroduisit et imposa des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes. Ces avertissements furent assortis, en 2001, d’illustrations ou de photos représentant les diverses pathologies, qui renforcèrent significativement l’efficacité des messages sanitaires. Ces avertissements couvraient à cette époque au moins 50 % de la surface principale des paquets. Une étude auprès d’ex-fumeurs montra que 27 % d’entre eux indiquaient que ces messages les avaient aidés dans leur démarche d’arrêt, et 38 % déclaraient que la politique antitabac les avait aidés à ne pas reprendre leur consommation[4].

Au fil des années 2000, les avertissements sanitaires illustrés se répandirent sur la planète, en particulier parmi les pays ayant ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), dont l’article 11 impose l’instauration de ce type de mesure dans les années qui suivent cette ratification. Des lignes directrices furent adoptées lors de la conférence des parties de 2008 donnant aux pays dans le domaine des avertissements sanitaires des recommandations concrètes fondées sur les bonnes pratiques.  En 2021, des avertissements sanitaires étaient obligatoires dans 134 pays, dont 122 exigeaient qu’ils représentent au moins 50 % de la surface des emballages. Aujourd’hui, le Canada envisage de décliner ces messages sanitaires sur les cigarettes elles-mêmes, cet emplacement étant perçu comme plus marquant qu’un avertissement sur l’emballage du produit.

Enseignements pour les produits alcoolisés ou d’autres substances

Après avoir été déclinés pour les cigarettes électroniques, des avertissements sanitaires sont à présent envisagés, tout comme la standardisation des emballages, pour les produits du cannabis, dans les quelques pays et états où celui-ci est légalisé. L’analyse du marketing de ces produits au cannabis montre que les emballages colorés, illustrés et mettant en avant différents arômes attirent plus fortement les jeunes consommateurs[5]. Il ne semble donc y avoir aucune raison pour que les produits alcoolisés échappent à ces avertissements sanitaires.

En France, l’article L.3322-2 du code de la santé publique impose, depuis le 12 février 2005, la présence sur chaque contenant d’alcool d’un message sanitaire en direction des femmes enceintes et destiné à prévenir le syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF, 15 000 cas par an selon l’association SAF France). Ce message peut se présenter soit sous la forme d’un pictogramme, soit d’une mention indiquant « « La consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant », le choix étant laissé au producteur. Ces producteurs optent systématiquement pour le pictogramme, dont les dimensions et les couleurs ne sont pas définies, mais s’appliquent à le reproduire en taille réduite et dans une couleur se confondant avec les couleurs de l’emballage, le rendant ainsi quasiment invisible pour la quasi-totalité des consommateurs. La définition de critères d’agrandissement et de meilleure visibilité de ce pictogramme est sans cesse repoussée[6] sous l’action des lobbies du secteur alcoolier, et tout particulièrement de celui du secteur viticole. Le sénateur de la Marne Yves Détraigne (UDI/Union Centriste) s’était ainsi élevé en mars 2017 contre l’élargissement et la colorisation de ce pictogramme, en invoquant que « les étiquette sur les bouteilles n’ont pas vocation à transmettre des messages sanitaires mais constituent avant tout un support marketing réalisé aux frais des producteurs »[7].

 

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Plusieurs recommandations sont avancées par Garfield Mahood, ancien directeur exécutif de l’association Non Smokers’ Rights, afin de déployer des avertissements sanitaires sur des produits – qu’il s’agisse d’alcool ou d’autres substances :

  • Il convient d’abord de préférer les phrases percutantes aux formules trop policées, que certains organismes de santé publique ont souvent tendance à adopter. Si une substance provoque des cancers, il est ainsi préférable d’indiquer « provoque le cancer », plutôt que « peut provoquer le cancer ».
  • Ces avertissements doivent comporter des photos ou des illustrations, qui marquent les esprits et renforcent sensiblement la portée des messages sanitaires.
  • La sévérité des pathologies (cancers, maladies cardiovasculaires…) et la spécificité des indications, lorsque les messages s’adressent à un public spécifique, sont par ailleurs des indicateurs d’efficacité des messages sanitaires.
  • Les blocs de messages textuels trop longs sont pour leur part à éviter, les formules percutantes exerçant une meilleure influence.
  • Les messages et les illustrations tendent à se banaliser avec le temps, il faut donc les réactualiser régulièrement[8].
  • Il convient enfin de s’armer de patience et de développer des plaidoyers extrêmement persuasifs, car les industriels de l’alcool ne se laisseront pas davantage encadrer que ceux du tabac, et savent pertinemment comment s’adresser le plus directement aux décideurs politiques. Le cas des Etats-Unis, où la législation sur les avertissements sanitaires destinés au tabac est sans cesse repoussée, est un exemple notoire des difficultés potentielles.

L’expérience accumulée par les défenseurs d’un monde sans tabac devrait ainsi pouvoir profiter aux partisans d’une consommation d’alcool limitée.

Mots-clés : avertissements sanitaires, tabac, alcool, Canada.

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Cancers : risques dès le premier verre, Alcool-Info-Service.

[2] Mazerolle J, The long struggle for cigarette warnings has lessons for alcohol labels, experts say, CBC News, publié le 19 janvier 2023, consulté le 24 janvier 2023.

[3] Cunningham R, Tobacco package health warnings: a global success story, Tob Control 2022;31:272–283.

[4] Hammond D, Fong GT, Brown S, Cameron R, The Impact of Cigarette Warning Labels and Smoke-free Bylaws on Smoking Cessation, Can J Public Health. 2004 May; 95(3): 201–204.

[5] Leos-Toro C, Fong GT, Hammond D, The efficacy of health warnings and package branding on perceptions of cannabis products among youth and young adults, Drug and alcohol. 2021 May; 40(4): 637-646.

[6] Plan Cancer : Lettre ouverte au Président de la République, Addictions France, publié le 11 février 2021, consulté le 25 janvier 2023.

[7] Pictogramme préconisant l’absence de consommation d’alcool par les femmes enceintes

14e législature, Question écrite n° 24782 de M. Yves Détraigne (Marne – UDI-UC), JO Sénat du 26 janvier 2017.

[8] Hitchman S,, Pete Driezen P, Logel C, Hammond D, Fong GT, Changes in Effectiveness of Cigarette Health Warnings Over Time in Canada and the United States, 2002–2011, Nicotine Tob Res. 2014 May; 16(5): 536–543.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 25 janvier 2023