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La vente illégale de cigarettes durant le confinement a bousculé le marché du tabac en Afrique du Sud

Les ventes illégales ont profité aux producteurs locaux, et ont alimenté une flambée des prix. Elles auraient modifié la répartition des ventes de cigarettes, pointe une étude sud-africaine[1].

Dès le début du confinement de 2020 lié à la COVID-19, les autorités sud-africaines ont suspendu les ventes de tabac réalisées dans le réseau officiel. Le secteur informel a néanmoins poursuivi les ventes de tabac durant les cinq mois de cette interdiction, essentiellement au profit des marques des producteurs locaux. Pour dresser ce constat des évolutions du marché, des chercheurs sud-africains se sont appuyés sur trois vagues d’enquête en ligne auprès de fumeurs, pendant et après le confinement, en questionnant leurs habitudes d’achat durant les cinq mois d’interdiction. Ils ont également mis en perspective les évolutions du marché du tabac sud-africain au cours de la dernière décennie.

Un commerce illégal en plein essor depuis 2010

Le marché sud-africain du tabac avait beaucoup évolué, avant le confinement. En 2000, British American Tobacco (BAT) en était le principal acteur, avec 90 % de parts de marché. Il a ensuite été rejoint par Philip Morris International (PMI) et Japan Tobacco International, les trois multinationales se partageant 77 % du marché en 2019.

A partir de 2010, de nombreux producteurs locaux se sont eux aussi lancés dans la vente de cigarettes sans acquitter les taxes d’accise, en diffusant leurs produits dans le secteur informel des vendeurs de rue et des petites épiceries. Ils représentaient 22 % de parts de marché en 2019, avec des niveaux de prix inférieurs de 73 % en moyenne à ceux des marques internationales. Leur entrée sur le marché s’est simultanément accompagnée d’une soudaine augmentation des ventes illégales de tabac, passées de 10 % du marché en 2010 à 30 % en 2017. Les multinationales du tabac ont dénoncé les prix très bas affichés par ces producteurs et facilités par le non-paiement des taxes, malgré les dénégations de ces producteurs locaux.

Une rapide augmentation des prix du marché illégal

La plupart des fumeurs ont continué de fumer et de s’approvisionner par le réseau parallèle, le plus souvent en délaissant leur marque habituelle pour une marque locale. Les prix de ces marques locales se sont rapidement envolés, jusqu’à afficher 240 % d’augmentation au deuxième mois de l’interdiction de vente.

Des différences notables de prix ont pu être relevées entre les différentes provinces du pays : la province du Gauteng – zone de production et centre économique de l’Afrique du Sud – et celles des alentours étaient les moins touchées par ces variations de prix, qui ont affecté de façon plus marquée les provinces qui en étaient les plus éloignées, notamment celle du Cap-occidental.

Une résorption des écarts de prix après l’interdiction de vente

L’interdiction de vente de tabac s’est poursuivie près de trois mois après le confinement et a perpétué cette situation. La levée de cette interdiction, le 17 août 2020, s’est accompagnée d’un réajustement des prix du tabac pour revenir à un niveau comparable à celui du début de mars 2020, avec toutefois une augmentation du prix des marques locales et un resserrement de l’écart avec les prix des marques internationales (53% au lieu de 73 %). Les marques locales ont profité de cette période pour accroître leur part de marché, au détriment des marques internationales.

Les écarts de prix entre les différentes provinces se sont également résorbés à la levée de l’interdiction de vente. Entre les différents types de conditionnement, les écarts de prix ont fluctué : le prix des cigarettes à l’unité, qui avait connu une forte augmentation (+45 %) durant l’interdiction de vente, a continué d’augmenter (+61 %) après cette interdiction ; le prix des cartouches de cigarettes, qui s’était rapproché du niveau de prix des paquets de 20 cigarettes, s’en est de nouveau écarté (de -3 % à -6 %) après la levée de l’interdiction de vente.

Les auteurs de l’étude ont, par ailleurs, relevé un taux d’arrêt du tabac de 9% au terme de cette période d’interdiction de vente (7% selon les études National Income Dynamics Study—Coronavirus Rapid Mobile Survey (NIDS-CRAM), réalisées nationalement sur une période similaire). Ils en déduisent, en s’appuyant sur les travaux de Becker et Murphy sur la rationalité addictive[2], que l’aspect temporaire de l’interdiction de tabac n’était pas un facteur suffisant pour déclencher une démarche d’arrêt du tabac, malgré la substantielle hausse des prix.

Une proximité avec les acteurs politiques qui favoriserait les trafics

Les chercheurs reconnaissent que les études en ligne ne leur ont pas permis de recueillir les avis des fumeurs les plus pauvres, dont l’accès à Internet est plus limité ; ils admettent aussi que leur échantillon était davantage féminin et composé de gros fumeurs, et ne prétendent pas qu’il soit représentatif de la population sud-africaine. Leurs données sont toutefois très proches de celles des études NIDS-CRAM, pour ce qui est des taux d’arrêt du tabac et du prix atteint par les paquets de 20 cigarettes.

L’étude n’évoque que succinctement les affaires de contrebande dans lesquelles les multinationales du tabac ont, elles aussi, été impliquées à partir de l’Afrique du Sud. Elle ne fait pas non plus allusion à la proximité entre décideurs politiques et producteurs de tabac, mise en évidence par le Tobacco Interference Index[3]. Durant l’interdiction de vente de tabac, les autorités sud-africaines avaient ainsi accordé aux producteurs locaux le droit de maintenir leurs activités à l’export, dont une partie a été détournée pour alimenter le marché parallèle sud-africain[4]. La participation d’un producteur local, Gold Leaf Tobacco Corporation (GLTC), à des activités de contrebande durant cette période de confinement avait notamment été mise en lumière[5].

En 2015, le récent commissaire du South African Revenue Service (SARS) avait, sur la base d’une désinformation orchestrée par BAT, supprimé les équipes spéciales d’inspection du marché illicite, qui ont été restaurées en 2018 par son successeur sous la forme d’une unité dédiée à l’économie illicite. L’Afrique du Sud peine, depuis, à instaurer un système efficace de traçabilité[6].

Mots-clés : Afrique du Sud, confinement, marché, contrebande

©Génération Sans Tabac

MF


[1] van der Zee K, Filby S, van Walbeek C, When Cigarette Sales Suddenly Become Illegal: Evidence From an Online Survey of South African Smokers During COVID-19 Lockdown, Nicotine & Tobacco Research, 2022;, ntac067, https://doi.org/10.1093/ntr/ntac067

[2] Becker GS, Murphy KM. A theory of rational addiction. J Polit Econ 1988;96(4):675–700.

[3] En Afrique du Sud, le lobby du tabac gagne du terrain, Génération Sans Tabac, publié le 29 septembre 2021, consulté le 6 mai 2022.

[4] The 20-week tobacco sales ban of 2020 greatly disrupted the cigarette market – UCT study, University of Cape Town, Communication and Marketing Department, publié le 3 mai 2022, consulté le 5 mai 2022.

[5] Afrique du Sud. Un cigarettier accusé de contrebande en période de pandémie, Génération Sans Tabac, publié le 17 septembre 2020, consulté le 6 mai 2022.

[6] Suivi et traçabilité des produits du tabac : l’administration fiscale sud-africaine au pied du mur, Génération Sans Tabac, publié le 16 octobre 2020, consulté le 6 mai 2022.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 10 mai 2022