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L’utilisation des médias suisses par Japan Tobacco International

Une récente enquête du média « Medienwoche »[1] dévoile comment le cigarettier Japan Tobacco International (JTI) a investi de nombreux médias suisses en parrainant des remises de prix, des événements ou en y plaçant des publicités. Des tactiques destinées à nouer des contacts avec les journalistes dans l’espoir de profiter d’une couverture médiatique favorable aux intérêts du cigarettier.

Les Zurich Journalist Awards, destinés à distinguer des travaux journalistiques en Suisse alémanique se sont tenus le 8 septembre 2020. Les journalistes Carole Koch et Boas Ruh ont été honorés pour leur recherche Dans le réseau des négationnistes du climat publiée dans le journal NZZ Am Sonntag. L’article dépeint, entre autres, les stratégies des climato-sceptiques et de leurs lobbyistes s’attaquant aux réalités scientifiques.

On peut d’ailleurs lire dans l’article « Les lobbyistes de l’industrie fossile utilisent les mêmes stratégies que les compagnies de tabac autrefois », une citation jugée si pertinente qu’elle a été insérée comme accroche dans la brochure de l’événement, aux côtés du logo du sponsor principal de l’événement : Japan Tobacco International. Le fabricant est le sponsor le plus important de ce prix depuis 2017 et est même qualifié de Goldsponsor (Sponsor en or). En réponse à l’inconfort de certains journalistes à ce que JTI soit associé à la remise de prix, Kevin Suter, responsable de la communication chez JTI Suisse a déclaré « Il est de notre devoir d’apporter notre position dans la discussion ».

L’infiltration de JTI dans l’écosystème des médias

Japan Tobacco International est depuis six ans l’un des principaux soutiens du Swiss Media Forum au Palais de la culture et des congrès de Lucerne. L’entreprise parraine la réunion du réseau des jeunes entrepreneurs de moins de 30 ans qui se tient tous les deux ans, suivie par le magazine Schweizer Journalist. De 2013 à 2016, le fabricant de tabac a été le principal sponsor des Journalistes de l’année du même magazine. En octobre 2019, le média a organisé, conjointement avec l’Université des Arts de Zurich et JTI Suisse, la réunion du Réseau pour les jeunes journalistes dont le thème principal était « l’avenir du journalisme : ce qui est attendu, ce à quoi il faut s’attendre ». JTI entretient également des relations étroites avec le média « Persoenlich.com » à destination des décideurs politiques, qui est la publication officielle de la Société pour le marketing (Gesellschaft für Marketing) dont le cigarettier est membre, ainsi que Philip Morris International. En 2020, JTI a d’ailleurs offert l’abonnement au magazine à l’ensemble des parlementaires suisses, une action louée par l’éditeur et rédacteur en chef Matthias Ackeret dans l’éditorial du magazine.

En parcourant le média en ligne persoenlich.com, on y retrouve plusieurs articles concernant les produits du tabac et de la nicotine, JTI ou encore les textes de lutte contre le tabagisme. On trouve en particulier un article daté du 12 août 2020[2] détaillant les résultats d’une étude américaine faisant le lien entre publicité et consommation des produits du vapotage chez les jeunes. Le second paragraphe de l’article donne la parole au cigarettier : « JTI relativise les résultats ». Son porte-parole, Kevin Suter, indique que « la publicité n’est pas un élément déclencheur de la consommation chez les jeunes ». Dans un autre article de 2019[3] sur l’initiative pour interdire la publicité du tabac en Suisse, le média dénonce « l’inefficacité » de la mesure : « Les interdictions de publicité ne fonctionnent pas. La France connaît depuis des années une interdiction totale de la publicité. Néanmoins, le taux de tabagisme est nettement plus élevé qu’en Suisse. ». Ces termes correspondent aux éléments de langage issus de l’association Swiss Cigarette dont JTI est membre aux côtés de PMI et BAT et qui étaient précisément diffusés auprès des décideurs.

Le recours aux tierces parties pour faire passer les intérêts des cigarettiers et contrer de possibles réglementations

Les compagnies de tabac s’allient à des  journalistes et supports médiatiques pour faire passer leurs messages, car elles savent qu’elles ne sont pas crédibles lorsqu’elles les émettent directement. Investir dans les médias est une stratégie de lobbying relativement peu coûteuse pour les fabricants avec un fort retour sur investissement en période de discussions législatives pouvant concerner leurs activités.

JTI a bien compris qu’investir dans les gatekeepers de l’information peut jouer à son avantage étant donné que ces derniers contrôlent l’information diffusée dans l’espace public. Au cours de la session d’été 2021, le Conseil des États doit se prononcer sur une contre-proposition à l’initiative populaire Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac qui a pour but d’empêcher toutes les publicités pour les produits du tabac exposant les enfants et les jeunes à ces produits. Le vote de cette proposition signifierait de facto la fin de la publicité du tabac sur Internet, dans les journaux et lors d’événements. La presse imprimée et en ligne reçoit des financements conséquents de la part des cigarettiers à travers leurs insertions publicitaires. Aussi s’allient-ils pour nombre d’entre eux aux cigarettiers pour s’opposer à une évolution de la législation.  Le débat autour de l’interdiction de la publicité pour le tabac en Suisse dure depuis des années en raison d’une opposition systématique structurée autour des parlementaires[4][5][6].

La suppression de la publicité dans les médias supprime un des principaux moyens utilisés par les compagnies de tabac pour le marketing de ses produits, notamment auprès de jeunes. Elle a aussi comme conséquence indirecte d’améliorer la couverture médiatique sur le contrôle du tabac, en la rendant plus objective, plus présente et de meilleure qualité. En effet, selon l’Institut national du cancer des États-Unis, « les recherches montrent qu’en moyenne, les magazines qui acceptent la publicité pour le tabac ont tendance à moins donner de place au contrôle du tabac et à la santé [7].

Mots clés : Suisse, Ingérence, Industrie du tabac, Japan Tobacco International, JTI, médias, publicité

Crédit photo : ©Public Eye

©Génération Sans Tabac


[1] Benjamin von Wyl, JTI ❤️ Journalismus, Medienwoche, 4 mai 2021, consulté le 7 mai 2021

[2] Werbung bringt Teens verstärkt zum Vapen, Persoenlich.com, 12 août 2020, consulté le 7 mai 2021

[3] Initiative gegen Tabakwerbung eingereicht, Persoenlich.com, 12 septembre 2019, consulté le 7 mai 2021

[4] Génération Sans Tabac, Suisse : restriction de la publicité pour le tabac, 8 décembre 2020, consulté le 7 mai 2021

[5] Publicité pour le tabac et protection contre le tabagisme passif: le lobby du tabac exige un recul radical du Conseil national, Association suisse pour la prévention du tabagisme, 4 décembre 2020, consulté le 8 décembre 2020

[6] Adam S. Politique de lutte contre le tabagisme : stratégie et tactiques utilisées par l’industrie du tabac en Suisse. Institut de hautes études en administration publique. Working paper de l’IDHEAP 6/2020. 5 mars 2021. https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_BA232CF38AEB.P001/REF

[7] National Cancer Institute. The Role of the Media in Promoting and Reducing Tobacco Use. Tobacco Control Monograph No. 19. Bethesda, MD: U.S. Department of Health and Human Services, National Institutes of Health, National Cancer Institute. NIH Pub. No. 07-6242, June 2008. https://cancercontrol.cancer.gov/brp/tcrb/monographs/monograph-19

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 7 mai 2021