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Une lanceuse d’alerte compare Facebook à l’industrie du tabac

En témoignant devant une commission du Sénat américain, une ex-salariée de Facebook établit un parallèle entre les stratégies appliquées par cette plateforme et celles déployées par l’industrie du tabac. Ce rapprochement fut déjà effectué en 2020 par un autre ancien salarié de Facebook.

« Facebook vous dira que le respect de la vie privée implique qu’ils ne peuvent pas vous confier leurs données. Ce n’est pas vrai. Quand les entreprises du tabac prétendaient que les filtres de cigarettes étaient plus sains pour les consommateurs, les scientifiques pouvaient invalider ces messages commerciaux et confirmer que, en fait, ils constituaient une menace plus grande pour la santé humaine. Le public ne peut pas faire de même avec Facebook » a déclaré Frances Haugen le 5 octobre 2021 devant la commission du Commerce du Sénat américain, qui enquête actuellement sur la responsabilité du célèbre réseau social dans la dégradation de la santé mentale des adolescents[1].

Une désinformation sciemment orchestrée chez Facebook

Salariée de Facebook de 2019 à mai 2021, Frances Haugen était en charge des produits algorithmiques au service de la désinformation civique, puis du contre-espionnage. Révulsée par l’exploitation des contenus haineux en vue de gonfler l’audience de la plateforme et les profits du groupe, Mme Haugen a quitté l’entreprise en emportant des milliers de pages de documents confidentiels. Elle diffuse aujourd’hui ces documents via le Wall Street Journal ou en les remettant à la commission du Sénat enquêtant sur les pratiques de Facebook auprès des adolescents. Elle a en outre déposé huit plaintes contre son ancien employeur auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), sur des motifs de tromperie des investisseurs[2].

Frances Haugen estime ainsi que la dissimulation d’informations essentielles qui nuisent aux consommateurs et au bien commun en vue de maximiser les profits est l’un des points de ressemblance entre le réseau social et le secteur du tabac. Pour l’industrie du tabac, il s’agissait de dissimuler le caractère cancérogène des cigarettes ; pour Facebook, la libre diffusion de messages haineux ou racistes peut conduire à influencer les esprits et à provoquer des affrontements ou des tensions sociales. La tentative d’insurrection du 6 janvier 2021 sur le Congrès américain est ainsi un exemple d’une situation que les dirigeants de Facebook ont sciemment laissé s’envenimer pour maintenir de fortes audiences, alors qu’ils étaient en mesure de la réguler. Des événements encore plus dramatiques opposant des communautés de façon meurtrière ont aussi été observés en Ethiopie et au Myanmar[3].

Mme Haugen révèle par ailleurs que des études internes ont montré comment Instagram, propriété de Facebook, peut nuire à la santé mentale des adolescents, en particulier auprès de ceux rencontrant des problèmes de dépression ou d’image corporelle. « C’est comme pour les cigarettes. Les adolescents n’ont pas une bonne auto-régulation », ajoute-t-elle. Et comme dans le cas du tabac, ces études n’ont pas été rendues publiques, le PDG Mark Zuckerberg affirmant au contraire l’inverse.

A la recherche d’une plus forte addictivité

Un rapprochement similaire entre Facebook et l’industrie du tabac avait été opéré en septembre 2020 par Tim Kendall, un autre ancien salarié de Facebook devenu lui aussi lanceur d’alerte. Celui-ci établissait notamment un parallèle entre la stratégie de Facebook pour développer l’addictivité de sa plateforme, en ajoutant des fonctions de mise à jour des statuts ou d’étiquetage des photos, et les efforts des industriels du tabac pour optimiser le potentiel addictif de la nicotine, en la couplant avec du sucre ou du menthol[4].

Devant le Congrès américain, Tim Kendall considérait que Facebook s’est directement inspiré de la démarche des industriels du tabac, « l’engagement » de l’utilisateur de la plateforme correspondant à l’accoutumance du fumeur. La large persistance des contenus haineux a quant à elle pour but de susciter des émotions incitant les utilisateurs à passer plus de temps et à intervenir davantage sur le réseau. « Permettre la désinformation, les théories du complot et les fausses nouvelles […] agissaient comme les bronchodilatateurs de Big Tobacco, permettant à la fumée de cigarette de couvrir plus de surface des poumons », déclarait M. Kendall.

Comme Tim Kendall, Frances Haugen a imploré les autorités à réguler Facebook par différents moyens, qu’ils soient financiers ou réglementaires. D’autres voix, venant de cofondateurs de Facebook ou d’anciens collaborateurs, avaient pour leur part appelé à son démantèlement. Les dirigeants de Facebook ont quant à eux démenti ces accusations et ont dénoncé des vols de documents.

Les limites de ce rapprochement

A bien des égards et malgré toutes les critiques pesant sur Facebook, l’industrie du tabac reste sensiblement plus mortifère avec 8 millions de morts prématurées évitables. Les entreprises de tabac continuent à être pointées et condamnées pour leurs multiples violations aux législations (travail des enfants, implication dans la contrebande, corruption, etc.) même si elles déploient des initiatives tous azimuts pour présenter une nouvelle image.

Mots-clés : Facebook, industrie du tabac, désinformation, addictivité

©Crédit photo : Matt McClain / POOL/EPA/Newscom/MaxPPP

MF


[1] Facebook Whistleblower Frances Haugen Opening Statement Transcript: Senate Hearing on Children & Social Media, Rev, publié le 5 octobre 2021, consulté 12 octobre 2021.

[2] Leloup D, Piquard A, Devant le Congrès américain, une lanceuse d’alerte compare Facebook à « l’industrie du tabac » et appelle à sa régulation, publié le 5 octobre 2021, consulté 12 octobre 2021.

[3] Freedland J, Facebook est-il l’industrie du tabac du 21e siècle ?, Oxtero, publié le 9 octobre 2021, consulté 12 octobre 2021.

[4] Simon-Rainaud M, Un ancien ponte de Facebook compare les techniques du réseau social à celles de l’industrie du tabac, 01Net, publié le 25 septembre 2020, consulté 12 octobre 2021.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 14 octobre 2021