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Prix du tabac : le lobbying de l’industrie en Asie du Sud Est

Dans son dernier rapport, la Southeast Asia Tobacco Control Alliance (SEATCA) analyse les stratégies d’influence de l’industrie du tabac sur les questions de fiscalité dans sept pays d’Asie (Cambodge, Indonésie, Laos, Myanmar, Philippines, Thaïlande et Vietnam). Comme ailleurs, l’industrie du tabac cherche à dissuader les pouvoirs publics à mettre en place de fortes politiques fiscales sur les produits du tabac, en disséminant notamment des affirmations invalidées par la recherche scientifique[1].

Différentes modalités de lobbying pour empêcher une mesure reconnue comme efficace

Le rapport relève des tentatives d’ingérence de la part de l’industrie du tabac en matière de politique fiscale. Alors que l’article 6 de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte anti-tabac (CCLAT) reconnaît les hausses de taxes comme un outil efficace pour faire reculer la prévalence tabagique, les fabricants déploient des stratégies de lobbying afin d’empêcher la mise en place d’une telle mesure de santé publique. Ici, l’ingérence des fabricants sur les taxes peut prendre différentes formes, comme la mobilisation de groupes de façades pour défendre ses intérêts, le financement et le parrainage de recherches visant à produire un discours scientifique biaisé destiné à influencer la prise de décision publique, ou encore la présence récurrente des représentants de l’industrie du tabac dans les médias. Ces modalités d’influence, également constatées dans d’autres pays, témoignent de la capacité de ces fabricants à déployer une stratégie d’ingérence à l’échelle internationale.

Des conséquences économiques et sociales négatives associées aux taxes

L’ingérence de l’industrie du tabac en matière de fiscalité se traduit également par une stratégie discursive visant à dissuader les pouvoirs publics de taxer ses produits. En particulier, l’argument le plus mobilisé par l’industrie du tabac dans ces pays consiste à avancer que les hausses de taxes sur les produits du tabac favorisent le commerce illicite, et en particulier la contrebande de tabac. Ensuite, les fabricants affirment qu’une forte taxation se traduit par des conséquences économiques négatives, notamment auprès des cultivateurs de tabac, et qu’elles fragilisent l’investissement. Là encore, ces arguments font écho à la stratégie discursive de l’industrie du tabac dans d’autres pays, tandis que leur validité a été contestée par la littérature scientifique indépendante. Le rapport note toutefois que depuis le Covid-19, l’industrie du tabac mobilise plus régulièrement l’argument selon lequel les taxes sur le tabac freinent la croissance du pays.

L’industrie du tabac encore vue dans certains pays d’Asie du Sud-Est comme un partenaire légitime en matière de fiscalité

Le rapport pointe également que dans trois des pays étudiés (Indonésie, Myanmar et Viêt Nam), les responsables au sein des ministères rencontrent l’industrie du tabac et ses représentants pour évoquer la fiscalité de ses produits. De telles rencontres montrent que pour une partie des décideurs publics, les fabricants de tabac demeurent des interlocuteurs légitimes, normalisant autant leur secteur que leur capacité d’influence. Par ailleurs, le Myanmar comme le Viêt Nam ont ratifié la Convention-cadre de l’OMS en 2004, les contraignant de fait à faire en sorte que leurs politiques publiques ne soient pas influencées par les intérêts de l’industrie du tabac, reconnus par le traité comme inconciliables avec l’intérêt général. De son côté, l’Indonésie est l’un des rares pays du monde à ne pas avoir ratifié la CCLAT.

Des groupes de façade pour faire avancer les intérêts de l’industrie du tabac en Asie du Sud-Est

Dans l’ensemble des pays étudiés, l’opposition aux hausses de taxes sur les produits du tabac est assurée par un certain nombre de groupes de façade, comme les groupes économiques et commerciaux (hôtels, cafés, associations de restaurateurs), des chercheurs et experts (avocats, universitaires, économistes, etc), des organisations liées aux pouvoirs publics (décideurs locaux dans les régions cultivatrices de feuilles de tabac), ou encore les groupes associés à l’industrie du tabac (cultivateurs, organisations de buralistes).

Les recommandations de la Seatca

Le rapport souligne toutefois que dans chacun des pays, des stratégies ont été mises en place dans l’objectif de contrecarrer l’influence de l’industrie du tabac. En particulier, cette lutte contre l’influence passe par l’organisation d’ateliers et de débats avec les décideurs publics pour les sensibiliser à la question de l’ingérence des cigarettiers. Le rapport Seatca développe un certain nombre de mesures et d’orientations visant à endiguer l’influence des cigarettiers sur les politiques fiscales du tabac parmi lesquelles :

– Tenir compte de l’article 6 et des directives de l’article 5.3 de la CCLAT de l’OMS lors de l’élaboration des politiques fiscales sur le tabac ;

– Renforcer régulièrement la connaissance des décideurs publics, en particulier au niveau gouvernemental, non liés à la santé, afin de faire comprendre l’importance des politiques fiscales sur le tabac ;

– Appliquer les obligations de transparence dans les relations que des fonctionnaires pourraient avoir lorsqu’ils interagissent avec l’industrie du tabac ;

– Mettre en place des systèmes de surveillance de l’ingérence de l’industrie du tabac ;

– Rechercher des conseils techniques auprès d’institutions/organisations spécialisées qui n’ont pas de conflit d’intérêts avec l’industrie du tabac.

– Collecter et analyser les données clés, notamment celles relatives aux recettes fiscales du tabac et au commerce illicite des produits du tabac.

– Renforcer les mesures législatives et autres visant à réduire le commerce illicite du tabac, et assurer que des ressources humaines, financières et techniques suffisantes y soient consacrées et ce, en toute indépendance de l’industrie du tabac.

Mots-clés : SEATCA, Asie, ingérence, fiscalité

©Génération Sans Tabac

FT


[1] SEATCA, Tobacco Industry Interference in Tobacco Tax Policy in ASEAN Countries, 11/2022, (consulté le 15/02/2023)

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 17 février 2023