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Les Philippines renforcent l’interdiction des arômes des cigarettes électroniques

La nouvelle loi encadrant les cigarettes électroniques prévoit un élargissement de l’interdiction des arômes aux Philippines. Une décision prise malgré de fortes pressions provenant des industriels, via des groupes de façade qui ont toutefois obtenu des compensations sur la vente en ligne, la publicité et l’âge légal d’achat.

Après une série de décès aux Etats-Unis très commentée en 2019, les cigarettes électroniques furent un temps interdites aux Philippines, le président Rodrigo Duterte ayant même demandé aux policiers d’arrêter les personnes qui vapotaient dans la rue. Le pays a ensuite assoupli sa position et a, à nouveau, autorisé la vente de cigarettes électroniques fin 2020, en imposant sur les emballages une surface de 50% pour les avertissements sanitaires et en posant plusieurs restrictions à l’usage ou à la vente aux moins de 21 ans[1].

Polémique autour de la nouvelle loi

La loi de 2020 semblait toutefois insuffisante et le gouvernement a préparé, en 2021, un nouveau projet de loi visant notamment à interdire la plupart des arômes dans les produits de vapotage, à l’exception des saveurs menthol et tabac. Cette loi prévoit aussi d’interdire les produits affichant une teneur en nicotine dépassant 65 mg/ml. Elle restreint la publicité lorsqu’elle vise des mineurs et interdit le vapotage dans les bâtiments publics et les églises. Elle a cependant ramené l’âge légal de vente à 18 ans.

Cette loi fut adoptée par le Sénat philippin fin janvier 2022 et doit entrer en vigueur en mai 2022. Elle est assortie de sévères sanctions en cas d’infraction. Elle fut néanmoins l’objet de fortes pressions durant plusieurs mois de la part d’une dizaine de groupes de façade, la plupart se présentant comme des associations de vapoteurs. Au point que Sharon Garin, rapporteuse de cette loi devant le Parlement, a pris soin de préciser qu’elle « ne comprend pas la désinformation répandue par certains secteurs, selon lesquels ce projet de loi aurait annulé l’interdiction d’utiliser des arômes attractifs pour les mineurs, ainsi que d’autres restrictions de la loi EO 106. Il s’agit de fake news. »[2] Mme Garin a reconnu une reculade sur l’âge légal de vente mais affirme que l’interdiction des arômes ainsi que l’esprit de la loi, qui aligne la réglementation des cigarettes électroniques et du tabac chauffé sur celle du tabac fumé, ont été respectés et renforcés.

Les pressions des groupes de façade

Au cours du second semestre 2021, plusieurs groupes de vapoteurs se disant indépendants avaient mené une campagne d’opinion et d’influence pour empêcher l’interdiction de la plupart des arômes pour e-cigarettes. L’argument principal, identique à celui avancé par l’industrie du tabac et du vapotage, était qu’une interdiction des arômes dissuaderait les fumeurs de tabac de se convertir aux cigarettes électroniques et serait donc potentiellement responsable de milliers de morts causés par le tabagisme. Cet argument a par exemple été avancé par Charles A. Gardner[3], directeur général du Réseau international des organisations de consommateurs de nicotine (INNCO), une organisation financée par la Fondation pour un monde sans fumée (SFW), dont M. Gardner est un ancien dirigeant, cette fondation étant elle-même exclusivement financée par Philip Morris International (PMI). Or, l’INNCO avait déjà été repéré en 2020 pour ses actions de lobbying auprès des autorités philippines[4].

Une loi modulée par les industriels

La loi adoptée met l’accent sur la protection des mineurs, mais laisse de nombreuses portes ouvertes aux industriels. La vente en ligne des cigarettes électroniques et du tabac chauffé et la publicité sont ainsi autorisées, sous condition qu’elles ne s’adressent pas aux mineurs. L’abaissement de l’âge légal de 21 à 18 ans est aussi l’indice que des négociations parallèles ont probablement eu lieu, ce que confirme une déclaration de Nancy Loucas, coordinatrice d’une coalition pour la réduction des risques liés au tabac en Asie-Pacifique (CAPHRA) : « Les défenseurs des consommateurs aux Philippines ont travaillé de manière constructive avec les législateurs et les interlocuteurs officiels. Ils ont promu la réglementation des e-cigarettes comme produit de consommation et ont défendu que l’âge d’achat soit établi à 18 ans »[5]. Ces organisations se sont d’ailleurs réjouies du revirement de la loi sur plusieurs points.

Le fait que le menthol ait échappé à l’interdiction globale des arômes est également le signe qu’une interférence de l’industrie a pu avoir lieu, le menthol étant connu comme renforçant l’action addictive de la nicotine[6]. La limitation du seuil de nicotine à 0,65 mg/ml à un niveau sensiblement plus élevé qu’au sein de l’Union Européenne ou encore au  Canada qui ont  établi cette limite à 20 mg/ml en constitue une autre illustration. Au dernier classement des pays d’Asie du Sud-Est vis-à-vis des pressions de l’industrie du tabac et du vapotage, les Philippines se situaient juste derrière l’Indonésie, fortement soumise à l’influence des lobbies industriels[7].

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Philippines : avertissements sanitaires sur le tabac chauffé et produits du vapotage, Génération Sans Tabac, publié le 9 décembre 2020, consulté le 4 mars 2022.

[2] Vape bill to strengthen flavor ban for e-cigarettes, Manila Bulletin, publié le 3 mars 2022, consulté le 3 mars 2022.

[3] INNCO Calls on National and Local Governments to Conduct Health Impact Studies Before Imposing E-cigarette ‘Flavour’ Prohibitions, Journal Online, publié le 24 décembre 2021, consulté le 3 mars 2022.

[4] Philippines : ingérence d’un groupe de façade de Philip Morris dans la lutte contre le tabagisme, Génération Sans Tabac, publié le 24 novembre 2020, consulté le 4 mars 2022.

[5] Philippines Applauded For Progressive And Risk-Proportionate Vape Laws, Vaping Post, publié le 19 janvier 2022, consulté le 3 mars 2022

[6] Yerger VB, McCandless PM. Menthol sensory qualities and smoking topography: a review of tobacco industry documents, Tob Control. 2011 May;20 Suppl 2(Suppl_2):ii37-43.

[7] La Thaïlande, bonne élève de l’Asie du Sud-Est en matière d’interdiction de la publicité pour le tabac, Génération Sans Tabac, publié le 25 février 2022, consulté le 3 mars 2022.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 7 mars 2022