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Nouveaux produits : entre course à l’innovation et guerre des brevets

Un article de Bloomberg analyse la mutation de l’industrie du tabac et de la nicotine, où la question des brevets devient de plus en plus centrale. L’activité de ce secteur s’est complexifiée ces dernières années, en passant d’une production simple et peu chère de cigarettes à une démultiplication de nouveaux produits technologiques, comme les cigarettes électroniques ou le tabac chauffé.

La course à l’innovation et l’explosion de nouveaux brevets pour proposer des nouveaux produits, présentés par les fabricants comme étant des alternatives « à risques réduits » par rapport au tabagisme, a suscité un grand nombre de litiges entre les propriétaires de ces nouvelles technologies. Comme le souligne Bloomberg, l’industrie du tabac, connue pour attirer les meilleurs experts en marketing, se dispute aujourd’hui les meilleurs avocats spécialisés dans le domaine des brevets et du droit des affaires[1].

La guerre en Ukraine pousse l’industrie à chercher de nouveaux domaines d’expansion

Le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les différentes déclarations de sortie du marché russe faites par les principaux fabricants pourraient intensifier cette situation de concurrence entre les principales compagnies de tabac. En effet, la Russie, qui représente par exemple entre 5 et 6% des bénéfices de Philip Morris International, est le quatrième plus gros marché mondial de tabac en termes de volume. Les sanctions internationales, entraînant un manque à gagner pour les compagnies de tabac, ces dernières vont chercher à compenser les pertes occasionnées par le retrait en Russie, région particulièrement stratégique pour le développement du tabac chauffé.

Une intensification du dépôt de brevets

La Fondation pour un monde sans fumée, intégralement financée par Philip Morris International, a commandé un rapport au cabinet de conseil Oxfist, spécialisé dans la propriété intellectuelle. Selon ce dernier, 73 758 brevets liés aux nouveaux produits du tabac et de la nicotine ont été publiés au cours de la décennie 2010-2020. Une compagnie comme PMI a par exemple déposé plus de vingt fois plus de brevets sur le tabac chauffé entre 2018 et 2020 qu’entre 2008 et 2010. Cette intensification du dépôt de brevet se retrouve chez les autres fabricants : en 2015, British American Tobacco avait déposé 50 brevets sur ces nouveaux produits, contre 350 en 2021. Comme le souligne Bloomberg, les demandes sont généralement déposées en amont de la phase de recherche et de développement. L’obtention du brevet confère par ailleurs à son détenteur un droit exclusif de commercialiser l’innovation pendant un temps défini.

Une expertise en propriété intellectuelle indispensable pour gagner la course à l’innovation

Selon la fondatrice de Oxfist, les compagnies de tabac sont de nouveaux acteurs dans le domaine des brevets, et recrutent les talents d’autres secteurs. De cette façon, PMI a embauché des avocats du cabinet Latham & Watkins, tandis que Reynolds, une filiale de British American Tobacco, s’est tourné du côté du cabinet Jones Day, travaillant avec des acteurs comme Google sur des questions de brevets technologiques. Faire l’impasse sur l’enjeu de la propriété intellectuelle peut désormais être particulièrement préjudiciable pour l’avenir des compagnies.

Une démultiplication des litiges sur l’ensemble des nouveaux produits

En 2021, Philip Morris s’est vu interdire d’importer ses mini-cigarettes Heets aux Etats-Unis. Cette interdiction faisait suite à une décision défavorable dans le cadre d’une bataille juridique avec British American Tobacco. En 2020, Reynolds avait également intenté une action en justice contre Philip Morris et Altria, accusés de copier la technologie développée pour Vuse, son produit du vapotage. Les compagnies se sont mutuellement poursuivies en justice pour des motifs similaires devant la justice américaine, en réclamant l’annulation des brevets et des marques de leurs concurrents au Bureau américain des brevets. Le développement des produits du tabac, notamment sans fumée, à l’instar du sachet de tabac, n’échappe pas non plus à cette logique de guerre aux brevets entre les principales compagnies.

D’un fonctionnement oligopolistique à une logique accrue de concurrence

Ces événements dénotent une mutation dans la logique de dépôts de brevets de la part des fabricants. Jusqu’à ces dernières années, le dépôt des brevets avait pour objectif de contrôler, voire de bloquer le marché pour de nouveaux produits, dont la mise sur le marché était considérée par les fabricants comme potentiellement préjudiciable. Désormais, les fabricants se sont repositionnés, en affichant un discours de santé publique, axé autour de la notion de « réduction des risques », et s’inscrivent dans une logique de conquête de parts de marchés. Dans cette perspective, là où l’industrie du tabac se caractérisait par un fonctionnement oligopolistique et d’entente sur les marchés, on observe aujourd’hui un regain majeur de concurrence majeur entre les fabricants, notamment PMI, BAT et Reynolds.

Mots-clés : Brevets, PMI, BAT, Reynolds

©Génération Sans Tabac

FT


[1] Bloomberg, Marlboro Man Versus Joe Camel 2.0: Big Tobacco’s Patent Fights, 30/03/2022, (consulté le jour même)

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 31 mars 2022