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Lutte contre la désinformation : Philip Morris désavoué par la communauté scientifique

Le magazine Foreign Policy devait organiser ce 20 avril une conférence en ligne sur la diplomatie scientifique. L’événement, en partie dédié à la question de la désinformation, visait à mettre en lumière le rôle de la science dans la résolution des conflits mondiaux. La présence de Philip Morris, suscitant un tollé au sein de la communauté scientifique, a provoqué l’annulation de la conférence à la dernière minute.  

Alors que l’initiative se fixait comme objectif de « dynamiser la coopération internationale en matière d’innovation scientifique et technologique pour lutter contre la désinformation », l’événement était organisé en partenariat avec Philip Morris International et la coalition Industry Transformation Coalition, dont le fabricant de tabac est membre. Des experts internationaux de la lutte antitabac ont appelé les acteurs de la santé publique à la vigilance « pour empêcher les industries nuisibles d’influencer le débat scientifique », ainsi qu’à « refuser de s’engager dans des événements susceptibles de faire progresser les intérêts de l’industrie du tabac »[1].

Par ailleurs, dès le 13 avril, un représentant de l’OCDE, averti de la présence du fabricant, avait annulé sa participation. Rapidement, un grand nombre d’intervenants ont également décidé de se retirer de l’événement, parmi lesquels Martin Rauchbauer, de l’Open Austria, Victoria Samson, du think tank américain Secure the World Foundation, ainsi que Pr Ruffini, de l’Université du Havre, qui lui-même remplaçait le représentant de l’OCDE. L’annulation de cet événement, suite aux trop fortes désaffections des experts, est un sérieux revers pour Philip Morris International, qui peine à se crédibiliser auprès de la communauté scientifique.

Le rôle historique de l’industrie du tabac dans la désinformation

L’objectif proclamé par cet événement de lutte contre la désinformation rentrait en contradiction directe avec la présence de Philip Morris. En effet, dès le début des années 20, le potentiel cancérigène du tabac est connu par les cigarettiers. Au début des années 50, le Time et le New York Times publient simultanément le résultat d’une étude scientifique démontrant l’existence d’une corrélation directe entre tabagisme et cancer du poumon[2].  Dès lors, les principaux fabricants de tabac vont organiser une campagne mondiale de désinformation afin d’instaurer un doute auprès du grand public sur la dangerosité des produits du tabac. Ainsi, les cigarettiers vont mobiliser des scientifiques influents et corrompus, dans le but de publier des études tronquées et minimisant les dangers encourus par la consommation tabagique. En 1969, un dirigeant de l’industrie du tabac résumera cette stratégie, comme le montre ce document interne : « Notre produit, c’est le doute ». Cette campagne de désinformation, permettant de retarder de plusieurs décennies une prise de conscience sanitaire mondiale et la mise en place de réglementations, s’est traduite par un bilan humain inédit. Au 20ème siècle, on estime que 100 millions de personnes sont mortes du tabagisme[3].

Changer les normes scientifiques pour préserver ses intérêts

Dans les années 90, l’industrie du tabac a par ailleurs développé le concept de « sound science », afin de remettre en cause les conclusions des études démontrant les risques du tabagisme passif. Les cigarettiers ont également cherché à modifier les normes scientifiques elles-mêmes, dans le but de rendre impossible toute démonstration sur la nocivité de la fumée secondaire. Aux Etats-Unis, en 2006, un jugement historique de l’industrie du tabac pointe le rôle historique de l’industrie du tabac dans la désinformation : « Pendant plus de cinquante ans, [l’industrie du tabac a] menti, déformé et trompé le public américain, y compris les fumeurs et les jeunes [qu’elle] recherchait avidement en tant que « fumeurs de remplacement » sur les effets sanitaires dévastateurs du tabagisme ».

Nouveaux produits et mêmes méthodes

Plus récemment, l’industrie du tabac est impliquée dans une campagne mondiale de relations publiques, destinée à instrumentaliser la notion de réduction des risques, afin de faire la promotion du tabac chauffé. Pourtant, aucune étude indépendante n’est parvenue à démontrer à ce jour que la consommation de tabac chauffé s’accompagnait d’une réduction des risques, par rapport à la cigarette manufacturée[4]. Comme le rappellent plusieurs experts du contrôle du tabac, l’industrie du tabac est encore impliquée dans la manipulation des évidences scientifiques. A titre d’exemple, un article paru dans le journal Le Monde en avril 2021 montre que les cigarettiers continuent à mobiliser les mêmes méthodes : David Khayat, ancienne figure française de la lutte contre le cancer, est désormais consultant pour Philip Morris. Son capital médiatique et son ancien prestige servent aujourd’hui à faire la promotion du tabac chauffé auprès des décideurs publics.

Mots-clés : Philip Morris, désinformation, science

©Génération Sans Tabac


[1] Fabbri, Zatonski, Gilmore, Who should we trust on science diplomacy and COVID-19 recovery? Not Big Tobacco, Blog de Tobacco Control, 17/04/2021, (consulté le 19/04/2021)

[2] Organisation mondiale de la santé, Smoking kills: the revolutionary life of Richard Doll, 07/07/2010, (consulté le 19/04/2021)

[3] Stop Tabac, Les décès dus au tabac, 30/04/2020, (consulté le 19/04/2020)

[4] Dautzenberg B, Dautzenberg MD. Le tabac chauffé : revue systématique de la littérature [Systematic analysis of the scientific literature on heated tobacco]. Rev Mal Respir. 2019 Jan;36(1):82-103. French. doi: 10.1016/j.rmr.2018.10.010. Epub 2018 Nov 11. PMID: 30429092.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 20 avril 2021