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Les lois sur l’alimentation, un renfort pour contrer l’industrie du tabac en Inde

Une étude indienne[1] a examiné les procédures engagées par les industriels du tabac contre des réglementations locales destinées à interdire les produits de tabac oraux. Une démarche qui peut se révéler porteuse et invite à s’emparer de l’ensemble de l’arsenal législatif.

L’Inde possède une longue histoire en matière de tabac oral et de nombreux types de produits de tabac à mâcher traditionnels (gutka, paan masala, zarda, khaini…) ou industriels sont encore largement utilisés. Dans ce pays où l’usage de tabac concerne 29% de la population, la prévalence du tabac oral (21%, soit 199 millions d’adultes) représente deux fois celle du tabac fumé (11%), une minorité ayant un usage mixte. Le tabac à mâcher fait encore l’objet de représentations erronées et reste amplement consommé comme produit de substitution du tabac fumé ; il contribue aussi à un fort taux de cancers oraux, qui constituent 30 à 40% des cancers en Inde et n’épargnent pas les jeunes consommateurs[2].

S’appuyer sur les lois de l’alimentation pour interdire le tabac à mâcher

Avant l’instauration de la COTPA, qui renforça en 2003 la législation antitabac, cinq états indiens ont tenté, entre 2001 et 2003, de prononcer localement des interdictions des tabacs à mâcher en s’appuyant sur une loi fédérale régissant l’alimentation. Les industriels du tabac ont sans délai porté ces projets de lois devant les tribunaux, arguant que leurs produits n’étaient pas alimentaires et que les états régionaux ne pouvaient pas faire valoir une compétence fédérale. La Cour Suprême indienne avait alors donné raison aux industriels.

Une seconde vague de projets de lois similaires a été portée par 19 états indiens en 2012, occasionnant systématiquement des poursuites en justice par les industriels du tabac. En s’appuyant sur une nouvelle loi fédérale sur l’alimentation prononcée en 2006 qui prenait les chewing-gums comme exemple caractéristique, les états ont à nouveau proposé d’interdire certains produits de tabac à mâcher. S’appuyant sur une jurisprudence, la Cour Suprême a alors pu faire valoir le droit des états régionaux à compléter une législation fédérale de santé publique, tout en déniant que la COTPA soit la seule réglementation applicable aux produits de tabac. Les industriels furent ici tous déboutés et les états régionaux ont ainsi pu prononcer des interdictions de produits de tabac à mâcher.

Extension des domaines juridiques

Les auteurs de l’étude insistent sur la nécessité, pour toute mesure de lutte contre le tabagisme et les divers produits de tabac, de non seulement bien soupeser tous les angles de l’aspect juridique, mais aussi de bien coordonner les niveaux d’intervention régionaux, nationaux et internationaux. A l’instar de ces exemples s’appuyant sur les lois régissant l’alimentation, ils préconisent de s’emparer de tout outil juridique permettant de s’opposer à l’industrie du tabac, en dépassant le seul cadre des lois de santé ou relatives au tabagisme. Une méthode déjà appliquée avec succès dans le champ des droits humains, où les droits des femmes (en Argentine) et les droits des enfants (en Australie puis dans le reste du monde) ont pu être mobilisés pour réglementer la lutte contre le tabagisme.

Adopter des lois ne suffit cependant pas, encore faut-il les faire respecter. Si elle a su se doter de nombreuses lois de lutte contre le tabac et ses produits dérivés, l’Inde semble particulièrement pécher quant à leur application. Les interdictions visant le tabac à mâcher sont ainsi rarement appliquées et fréquemment contournées par des produits similaires ne tombant pas sous le coup des lois, et n’ont pas empêché la progression de l’usage de ces types de produits[3]. Une situation qui n’est pas sans rappeler la difficulté, en France comme dans de nombreux pays, de faire par exemple respecter l’interdiction de la vente de tabac aux mineurs. Les autorités indiennes ont cependant su saisir l’occasion de la crise sanitaire liée à la COVID-19 pour prononcer des interdictions de cracher, qui ont permis d’étendre les interdictions régionales des produits de tabac à mâcher[4]. Un temps de recul sera nécessaire pour vérifier si ces nouvelles réglementations ont pu être suivies d’effet.

Mots-clés : tabac à mâcher, gutka, Inde, COTPA, législation.

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Dsouza R, Bhojani U, Strategic and contested use of food laws to ban smokeless tobacco products in India: a qualitative analysis of litigation, Tob Control 2021;0:1–5.

[2] Wikipedia, Gutka, publié le 17 août 2021, consulté le 31 août 2021.

[3] Yadav A, Kumar Singh P, Yadav N, Kaushik R, Chandan K, Chandra A, Singh S, Garg SS, Gupta P, Sinha D, Mehrotra R, Smokeless tobacco control in India: policy review and lessons for high- burden countries, BMJ Global Health 2020;5:e002367.

[4] Mishra D, Dsouza R, Amin A, Lal P, KishoreK, Tobacco Control, Blog, India’s regulatory struggle to rein in smokeless tobacco use: is Covid-19 a game changer?, publié le 28 juin 2020, consulté le 31 août 2021.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 2 septembre 2021