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Enquête : la réhabilitation de la nicotine par l’industrie du tabac

Dans une enquête menée par Le Monde et The Investigative Desk, des journalistes révèlent une stratégie de fond de l’industrie du tabac : la réhabilitation de la nicotine[1].

Stéphane Horel (Le Monde), Ties Keyzer, Eva Schram et Harry Karanikas (The Investigative Desk) ont mené une investigation sur l’industrie du tabac. Dans un premier volet, les journalistes enquêtent sur l’exploitation et la promotion d’ « hypothétiques vertus » de la nicotine, notamment dans la protection de la Covid-19.

« L’hypothèse nicotine » dans la lutte contre la Covid

Au printemps 2020, une première étude avance que les fumeurs seraient moins susceptibles de développer une infection symptomatique au coronavirus. Une seconde étude suggère que la nicotine pourrait avoir une action sur les récepteurs d’entrée du virus, et ainsi, « contribuer à sauver des vies ». Rapidement, un certain nombre de médecins et d’experts de santé dénoncent les faiblesses méthodologiques de ces études, qui, n’ayant pas été soumises à la relecture par les pairs, ne sont toujours pas publiées dans des revues scientifiques. Malgré le caractère très hypothétique et potentiellement exagéré d’une corrélation entre nicotine et Covid, un certain nombre de médias et de thinks-tanks s’emparent toutefois du sujet. L’Institute of Economic Affairs, think-tank recevant des financements de l’industrie du tabac, va jusqu’à affirmer que « fumer des clopes, c’est sauver des vies », quand l’Organisation mondiale de la santé rappelle que le tabac est responsable de 8 millions de morts par an.

La mutation vers une industrie de la nicotine

Depuis quelques années, l’industrie du tabac opère une inflexion essentielle dans sa stratégie. Confrontés au déclin du marché de la cigarette combustible et subissant le revers d’une image publique passablement écornée, les cigarettiers se tournent désormais vers la promotion de nouveaux produits, à l’instar du tabac chauffé. Alors qu’aucune étude indépendante n’a à ce jour démontré la moindre toxicité de ce nouveau dispositif, l’industrie du tabac s’engage dans une campagne de promotion du tabac chauffé, présenté comme une « alternative moins nocive à la cigarette ». Cette stratégie revêt deux intérêts pour les cigarettiers. D’abord, elle leur permet d’obtenir une fiscalité avantageuse sur le tabac chauffé, représentant 19% du chiffre d’affaires de l’industrie en 2019. Ensuite, la notion de « réduction des risques », dévoyée en stratégie marketing, cherche à faire de l’industrie du tabac un acteur crédible de santé publique.

Une campagne de lobbying en faveur du vapotage

Comme le montrent les journalistes, la cigarette électronique fait également l’objet d’une campagne de lobbying. Ainsi, le docteur Farsalinos, proche de l’industrie du tabac, et « champion de l’hypothèse nicotine », interpelle à quatre reprises les eurodéputés dans l’objectif d’éviter une réglementation plus restrictive sur la cigarette électronique. Avec Clive Bates, un ancien militant de Action on Smoking and Health (ASH), officiellement indépendant, Farsalinos va jusqu’à demander le retrait pur et simple d’un article scientifique, publié dans la revue New England Journal of Medicine (NEJM). L’article en question mettait pour la première fois en lumière le caractère cancérogène de la cigarette électronique. Si la revue n’a pas accédé à cette demande, elle a cependant publié une lettre de soutien de soutien de 40 universitaires et experts, pourtant « ouvertement liés » à l’industrie du tabac et de la nicotine. En parallèle, l’un des auteurs de l’article faisait l’objet d’une campagne de harcèlement en ligne.

Des scientifiques au cœur d’un conflit d’intérêt

Les auteurs de l’enquête pointent par ailleurs un manque de transparence de la part de scientifiques, pourtant directement ou indirectement liés à l’industrie du tabac et de la nicotine. L’article révèle en particulier la publication d’un éditorial en faveur de « l’hypothèse nicotine » dans la revue scientifique Toxicology Reports, omettant toutefois de mentionner l’existence d’un conflit d’intérêts pour au moins deux des huit co-signataires, dont Farsalinos. Ce dernier n’a par ailleurs pas souhaité répondre aux sollicitations des journalistes, considérées selon lui comme une « chasse aux sorcières ».

Mots clés : Le Monde, The Investigative Desk, Nicotine, Enquête

©Génération Sans Tabac


[1] S. Horel, T. Keyzer, E. Schram et H. Karanikas, Petites ficelles et grandes manœuvres de l’industrie du tabac pour réhabiliter la nicotine , Le Monde, 19 décembre 2020, (consulté le 21/12/2020)

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 22 décembre 2020