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Le lobby tabac déguisé en mouvement citoyen pour promouvoir ses intérêts

Une enquête réalisée par Le Monde et The Investigative Desk (Pays-Bas)[1], révèle l’alliance entre le lobby du tabac, des groupes de consommateurs pro-vapotages ou encore des réseaux de magnats du pétrole américains pour empêcher une réglementation sur les nouveaux produits du tabac et de la nicotine. Ce 3e volet de l’enquête collaborative #BigTobacco21 lancée en novembre 2020 vise à mettre en lumière les stratégies de l’industrie du tabac pour le XXIe siècle.

En finançant des « mouvements de consommateurs », l’industrie du tabac essaie de s’immiscer dans les discussions politiques et d’affaiblir les accords internationaux contraignants sur les produits du tabac et de la nicotine.

La main très visible de l’industrie du tabac sur les groupes pro-vapotage

La World Vapers’ Alliance (WVA) et le Consumer Choice Center (CCC) se présentent comme des mouvements citoyens qui défendent les droits des consommateurs de nouveaux produits nicotiniques, comme les cigarettes électroniques. En réalité, ce sont des groupes de façade financés par les principaux fabricants de cigarettes : British American Tobacco, Philip Morris International, Altria et Japan Tobacco International. Ces soutiens sont peu mis en avant par la WVA et les montants reçus restent secrets. Ces deux associations agissent au niveau de l’Union Européenne, notamment auprès des députés européens pour faire passer le message que ces nouveaux produits sont moins nocifs et ne doivent pas être réglementés comme les cigarettes traditionnelles (maintien d’une fiscalité favorable, absence de règlementation sur les arômes, etc.).

Plus tôt cette année, la World Vapers’ Alliance a annoncé le lancement d’un « Vape Bus », qui fait actuellement le tour de l’Europe dans le but d’éduquer sur la « réduction des risques » liés au tabac. Le message est simple : le vapotage pourrait sauver jusqu’à 19 millions de vie rien qu’en Europe.  En réalité, cette opération marketing orchestrée par British American Tobacco (BAT) lui permet de soutenir son plaidoyer pour ses propres produits et de dénoncer la répression et les réglementations « aliénantes » des gouvernements sur les cigarettes électroniques.  En finançant ces « mouvements des consommateurs », l’industrie du tabac essaie en particulier d’éviter des accords internationaux contraignants sur les nouveaux produits du tabac et de la nicotine.

Une nébuleuse complexe d’alliances

Les enjeux de ces alliances ne sont pas que financiers. Cette nébuleuse opaque s’emploie à diffuser une idéologie hostile à l’intervention gouvernementale : le libertarisme. Ces groupes de consommateurs, secrètement financés par le lobby du tabac et les réseaux de milliardaires américains du pétrole s’opposent à l’intervention des gouvernements dans les politiques publiques et cherchent à semer le doute auprès du grand public et des décideurs.

L’enquête révèle notamment les liens entre la WVA, la CCC et de riches magnats pétroliers climato sceptiques : les frères Koch de la Koch Industry, la plus grande entreprise privée des États-Unis. Koch Industry est directement associée à l’industrie du tabac depuis les années 1980 à travers le Citizens for a Sound Economy (CSE), un groupe politique conservateur créé en 1984 par Charles et David Koch qui a effectué de nombreuses campagnes de lobby pour l’industrie du tabac.

Koch Industry investit depuis des décennies dans sa fondation pour limiter l’imposition sur la fortune mais également pour diffuser ses idées. Les frères Koch ont aggloméré autour d’eux d’autres milliardaires et organisations pour former un réseau baptisé « Kochtopus » (du mot anglais «octopus » – pieuvre). Plusieurs centaines de membres sont regroupés dans un réseau, Atlas Network. L’enquête a par ailleurs identifié 17 organisations partenaires d’Atlas Network engagées dans des actions de lobbying ou de propagande pour la « réduction des risques » et le vapotage.  Parmi les partenaires de ce réseau se trouve le CCC qui reçoit des financements d’autres partenaires liés aux frères Koch. Le CCC englobe lui-même la World Vapers’Alliance.

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Sources : Altria, Consumer Choice Center.

L’OMS et la Conférence des Parties au cœur des attaques coordonnées du réseau

Ces groupes de pression veulent que les gouvernements intègrent la notion de la réduction des risques liés au tabac dans les politiques internationales et nationales. Cela s’inscrit parfaitement dans la stratégie globale des fabricants qui voient de nouvelles sources de revenus dans les alternatives au tabac tout en bénéficiant d’une fiscalité aussi faible que possible et d’un environnement réglementaire peu contraignant.

Alors que début  la 9ème Conférence des Parties à la Convention-cadre pour la lutte antitabac, l’OMS est la cible de nombreuses attaques de la part de l’industrie du tabac et de ses nombreux alliés. Il est reproché à l’OMS de ne pas ouvrir ses négociations et de ne pas intégrer la notion de la « réduction des risques » dans les discussions et en particulier de ne pas autoriser des groupes de consommateurs de faire partie des délégations nationales ou d’avoir le statut d’observateur.

Pour essayer de s’assurer tout de même une place à la table des discussions, les mouvements pro-industrie tentent de faire intégrer des experts en « réduction des risques » et des vapoteurs dans les délégations officielles, en particulier dans celle du Royaume-Uni, affranchie par le Brexit des engagements de l’Union européenne sur la Convention-cadre. Au printemps 2021, Matt Ridley, député conservateur et vice-président du groupe parlementaire parallèle multipartite sur le vapotage a appelé le gouvernement à envisager de « réduire considérablement le financement britannique » si la délégation britannique à la COP9 n’était pas « renforcée » par des « experts » de la réduction des risques. Une demande similaire, émanant entre autres du CCC et d’autres signataires financés par l’industrie du tabac, a été faite au président américain Joe Biden pour que la délégation américaine milite pour la « réduction des risques ».

Fin octobre, un groupe de « cent spécialistes en matière de science et de politique de la nicotine » a adressé une lettre ouverte aux chefs de délégation de la COP pour leur demander d’intégrer la réduction des risques du tabac dans leurs délibérations[2].

Mots clés : Lobby, industrie du tabac, vapotage, Koch, OMS, COP, ingérence,

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Stéphane Horel (avec Ties Keyzer, Tim Luimes, Eva Schram de « The Investigative Desk » et datacitron), Vapotage : les vrais millions des fausses organisations de consommateurs, Le Monde, 3 novembre 2021, consulté le 5 novembre 2021

[2] Génération Sans Tabac, Dans une lettre ouverte, « cent spécialistes » de la nicotine soulèvent la question de la réduction des risques, 21 octobre 2021, consulté le 5 novembre 2021

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 8 novembre 2021