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L’âge d’initiation au vapotage, prédicteur du futur tabagisme des adolescents ?

Une étude française pointe deux phénomènes associés à l’initiation au vapotage avant la première cigarette : si une primo-expérimentation pourrait avoir une influence négative sur le devenir du tabagisme quotidien, c’est l’âge de cette initiation qui serait le facteur déterminant d’entrée dans le tabagisme.

L’étude ESCAPAD, régulièrement conduite en France depuis 2000, fait le point sur la santé et les consommations des jeunes de 17 ans convoqués lors des journées de l’Appel de Préparation à la Défense et a donné lieu à de nombreuses publications. L’une des dernières d’entre elles s’est penchée sur le devenir tabagique des jeunes ayant expérimenté la cigarette électronique avant la cigarette classique[1].

La précocité de l’initiation comme facteur de risques majeur

Basée sur un échantillon de 24 111 participants, l’étude établit pour 2017 un âge moyen d’expérimentation de la cigarette fumée avant la cigarette électronique à 14,2 ans et une expérimentation de la cigarette électronique avant la cigarette fumée à 15,1 ans. Deux constats sont formulés dans cette étude. Le premier est d’observer que les jeunes ayant expérimenté la cigarette électronique avant la cigarette fumée auraient 40% moins de risques d’être devenus des fumeurs quotidiens entre 17 ans et 18, 5 ans (écart d’âge au moment de l’étude). Le second est que l’âge d’expérimentation du vapotage serait déterminant dans le statut tabagique à venir, les jeunes ayant expérimenté le plus tôt les e-cigarettes ayant sensiblement plus de risques de devenir par la suite des fumeurs quotidiens.

Les auteurs analysent ces résultats avec ceux d’études conduites sur le même thème. De nombreuses études anglo-saxonnes ont montré à l’inverse que l’initiation à l’e-cigarette pouvait constituer une porte d’entrée dans le tabagisme, dans des contextes de prévalence du tabagisme très réduite chez les jeunes (8% aux Etats-Unis et 15% au Royaume-Uni, en 2016). En France la prévalence tabagisme des jeunes est encore très forte avec, selon ESCAPAD 2017, 25% de fumeurs quotidiens. Par contre, alors qu’il y a  16% d’expérimentateurs de vapotage moins de 2% sont des vapoteurs quotidiens , , alors que le vapotage quotidien aux Etats-Unis  était de 11,6% en 2019.Ainsi, le stade atteint par chaque pays dans l’épidémie de tabagisme est interprété comme un des motifs pour lesquels les jeunes Français seraient moins portés sur l’e-cigarette. Les jeunes expérimentant les e-cigarettes avant le tabac seraient aussi moins à la recherche de transgression et de sensations que ceux commençant d’abord par l’expérimentation du tabac fumé. Un âge précoce d’initiation à la cigarette électronique serait en revanche un facteur aggravant les risques de devenir par la suite fumeur quotidien, ainsi que polyconsommateur de substances psychoactives ; une expérimentation plus tardive de la cigarette électronique aurait une moindre incidence sur l’entrée dans le tabagisme actif.

Parmi les autres arguments avancés par les auteurs pour expliquer leurs différences de résultats, viendraient d’une part la réglementation de la publicité et des ventes de cigarettes électroniques aux mineurs (encadrés depuis 2016 en France, plus tardivement ou toujours en cours dans les pays anglo-saxons), et d’autre part les teneurs en nicotine des e-liquides. Ces teneurs sont en France limitées à 20 mg/ml alors qu’elles pouvaient atteindre 59,9 mg/ml dans les recharges des e-cigarettes JUUL aux Etats-Unis et au Canada, ce qui expliquerait la plus forte dépendance des jeunes nord-américains initiés à la nicotine par les cigarettes électroniques.

Une causalité encore en discussion

Cette étude pose de nombreuses questions, à l’heure où le monde entier s’interroge sur le bienfondé de l’usage des cigarettes électroniques et où l’industrie du tabac promeut en permanence les dispositifs électroniques de délivrance de nicotine. Si la plupart des publications indiquent des effets de passage des cigarettes électroniques plus marqués vers les cigarettes fumées[2], certaines d’entre elles, pourtant non suspectes d’être liées à l’industrie du tabac, pointent une tendance plutôt faible de cette transition[3].

L’une des limites de l’étude française, qui reconnaît que les études longitudinales mettent davantage en évidence le rôle du vapotage dans l’installation du tabagisme, semble être sa pertinence dans le temps. Les addictions peuvent s’installer progressivement, parfois sur plusieurs années ; il peut donc sembler prématuré d’annoncer qu’un jeune de 17 ans qui n’est pas encore devenu fumeur quotidien ne le deviendra jamais. Par ailleurs, si le vapotage régulier paraît nettement moins nocif que l’usage de tabac fumé, il est loin d’être sans risques et pourrait entraîner à terme des pathologies cardiaques et respiratoires semblables à celles du tabagisme[4]. En outre, le recours aux cigarettes électroniques comme outil de sevrage efficace n’est pas encore formellement établi. Une étude étatsunienne vient ainsi de montrer que, au cours de la trentaine, l’usage antérieur de la cigarette électronique par des fumeurs est associé à une moindre propension au sevrage tabagique[5]. Mais comme d’autres études analysant cette question il s’agit d’une étude rétrospective sur un nombre limité de fumeurs et ne permettant pas d’analyser correctement tous les facteurs de confusion.

La plupart de ces constats avaient déjà été établis début 2021 par le rapport SCHEER, qui avait conclu à une influence « modérée » du passage de l’e-cigarette vers le tabac fumé et à une faible influence du vapotage dans l’arrêt du tabagisme[6]. Il avait en revanche confirmé le rôle majeur de la nicotine dans le développement d’une addiction et celui des arômes dans l’attractivité des cigarettes électroniques.

Mots-clés : Cigarette électronique, Vapotage, Jeunes, Tabagisme

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Legleye S, Aubin H-J, Falissard B, Beck F, Spilka S, Experimenting first with e-cigarettes versus first with cigarettes and transition to daily cigarette use among adolescents: the crucial effect of age at first experiment. Addiction, 116, 6, June 2021, 1521–1531. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33201553/

[2] Berry K, Fetterman J, Benjamin E, Bhatnagar A, Barrington-Trimis J, Leventhal A, Association of Electronic Cigarette use with subsequent initiation of tobacco cigarettes in US youths. JAMA Network Open 2019; 2: e187794.

[3] Sun T, Lim C, Stjepanović D, Leung J, Connor J, Gartner C, Hall D, Chana G, Has increased youth e-cigarette use in the USA, between 2014 and 2020, changed conventional smoking behaviors, future intentions to smoke and perceived smoking harms? Addictive Behaviors Volume 123, December 2021, 107073. Available online 30 July 2021. https://doi.org/10.1016/j.addbeh.2021.107073

[4] Eltorai AEM, Choi AR, Eltorai AS, Impact of Electronic Cigarettes on Various Organ Systems. Respiratory Care. 2019 ;64(3):328-336.

[5] Kosterman R, Epstein M, Bailey J, Furlong M, Hawkins D, The role of electronic cigarette use for quitting or reducing combustible cigarette use in the 30s: Longitudinal changes and moderated relationships. Drug and Alcohol Dependence

Volume 227, October 2021, 108940.

[6] Scientific Committee on Health, Environmental and Emerging Risks (SCHEER), Opinion on electronic cigarettes. Publié le 16 avril 2021, consulté le 18 août 2021.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 25 août 2021