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La fragmentation des politiques, un frein majeur à la réglementation du tabac en Indonésie

Une étude des réglementations liées au tabac adoptées par l’Indonésie au cours des années 2014-2020 pointe le manque de cohérence des politiques publiques et l’absence de réelle volonté politique comme des obstacles majeurs à la réduction de la consommation dans le pays.

L’Indonésie est l’un des rares pays à n’avoir ni signé ni ratifié la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Deuxième producteur mondial de tabac et soucieux de préserver ce secteur agro-industriel, le pays connaît une forte prévalence du tabagisme (63% chez les hommes, 5% chez les femmes, 34% au total ; la plus forte prévalence au monde chez les hommes aujourd’hui)[1]. C’est aussi un pays qui n’a pas connu de baisse du tabagisme dans les vingt dernières années, faute de politique nationale cohérente sur le sujet ; le tabagisme des 10-18 ans a même progressé de 7 à 9% entre 2013 et 2018.

Contradictions d’intérêts entre les ministères

Une équipe de chercheurs indonésiens et internationaux s’est penchée sur les législations nationales relatives au tabac, adoptées en Indonésie entre 2014 et 2020[2]. Ces législations différaient nettement selon les ministères dont elles étaient issues : celles provenant du Ministère de la Santé cherchaient protéger la population du tabagisme et de la fumée du tabac, tandis que celles émises par le ministère des Finances et celui de l’Industrie tendaient à préserver les producteurs locaux de tabac et de cigarettes. Le Ministère de la Communication et de l’Information se caractérisait quant à lui par des années de silence sur le sujet de la publicité sur le tabac ; ce n’est qu’après avoir été interpelé publiquement par le Ministère de la Santé en juin 2019 qu’il a décidé de prendre des mesures contre la publicité sur Internet et les réseaux sociaux.

Malgré un important travail de plaidoyer des acteurs de santé réclamant le renforcement des mesures contre le tabagisme, le manque de volonté politique et la proximité de nombreux décideurs politiques avec les industriels du tabac ont semblé l’emporter sur toute cette période. Le manque de lisibilité et l’incohérence de la politique en matière de tabac expliqueraient notamment la persistance d’une forte prévalence du tabagisme dans ce pays quand elle baissait dans les pays environnants. Un constat qui a fini par déboucher sur d’importantes hausses des taxations sur le tabac en 2020 et en 2021, augmentant de plus de 35% les prix de vente au détail, mais qui restent pourtant parmi les plus bas au monde[3]. Un plan ambitieux de mesures antitabac soutenu par plusieurs ministères a par ailleurs été présenté en mars 2021, laissant espérer un sursaut en faveur de la santé publique.

Une nécessaire cohérence politique autour de la lutte contre le tabagisme

La contradiction entre impératifs de santé publique et protection des intérêts économiques est très répandue, en particulier dans les pays producteurs de tabac. Le cas indonésien rappelle que les politiques de réduction du tabagisme se heurtent non seulement aux interférences de l’industrie du tabac, mais aussi à la compétition que peuvent parfois se livrer différents ministères au sein d’un même gouvernement.

C’est pour éviter cette dispersion des efforts et le tiraillement entre des intérêts divergents que la Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac recommande fortement, dans son article 4.2, d’adopter des « mesures plurisectorielles complètes et des actions coordonnées » pour appuyer les politiques de lutte contre le tabagisme[4]. La Cour des Comptes avait, en 2012, établi un constat similaire pour la France, en estimant que la lutte contre le tabagisme « nécessite de jouer de manière cohérente et simultanée sur l’ensemble des outils [prévention, prix, fiscalité, règlementation, aide à l’arrêt du tabac, répression du trafic] car privilégier un instrument n’aboutit qu’à des résultats peu durables »[5]. Elle préconisait pour cela l’installation d’ « un dispositif de pilotage, d’action et de suivi des résultats », permettant de coordonner et d’évaluer les actions, qui fut concrétisé en 2014 avec le lancement du Plan National de Réduction du Tabagisme (PNRT).

Mots clés : Indonésie, interférence

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Génération Sans Tabac, Décryptage, Quand l’industrie du tabac a les mains libres : le cas indonésien,publié le 11 mars 2020, (consulté le 20/08/2021)

[2] Kramer E, Ahsan A, Rees V, Policy incoherence and tobacco control in Indonesia: an analysis of the national tobacco-related policy mix. Tob Control 2021;0:1–8. doi:10.1136.

[3] Génération Sans Tabac, Indonésie : hausse discrète des taxes sur le tabac,publié le 15 décembre 2020, (consulté le 20/08/2021)

[4] Organisation Mondiale de la Santé, Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. 2003, 42 p.

[5] Cour des Comptes, Les politiques de lutte contre le tabagisme. Rapport d’évaluation, décembre 2012.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 30 août 2021