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La Chine entame une stratégie de conquête agressive du marché mondial du tabac

Une enquête menée par le réseau mondial de journalistes d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) alerte sur la nouvelle stratégie mondiale du monopole chinois de tabac, la China National Tobacco Corporation (CNTC)[1]. La prise de contrôle du marché mondial par le monopole d’Etat chinois, passant en particulier par des moyens illégaux, pourrait fragiliser les avancées en matière de contrôle du tabac et de santé publique.

On désigne traditionnellement par le terme « industrie du tabac » les principales compagnies cotées en bourse : Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT), Imperial Brands et Japan Tobacco International. Si l’on exclut la Chine, ces quatre entreprises détiennent environ 80% du marché mondial du tabac. Le monopole d’Etat chinois, la CNTC, occupe toutefois une position de mastodonte, contrôlant 45% de la production mondiale de cigarettes et de tabac chauffé, selon les chiffres de Philip Morris. La très grande majorité de la production chinoise est encore aujourd’hui absorbée par la consommation intérieure. Pour cette raison principalement, la CNTC est demeurée jusqu’à aujourd’hui encore très peu connue des institutions, des médias ou encore de la recherche.

La prise de contrôle de la chaîne de production du tabac par la Chine

L’enquête menée par l’OCCRP montre que la CNTC s’engage désormais dans une stratégie agressive de mondialisation. Ces dernières années, le monopole chinois a multiplié son nombre de filiales à travers le monde dans l’ensemble du processus de fabrication : achats de feuille, culture du tabac. Selon les journalistes, les filiales chinoises sont devenues des acteurs centraux de la production de tabac dans certains pays comme le Zimbabwe ou le Brésil.

Ainsi, en 2019, plus de 19% des exportations brésiliennes de tabac étaient contrôlées par les filiales chinoises, représentant environ 386 millions de dollars. En 1997, la part chinoise dans les exportations de tabac brésilienne était seulement de  1%, pour 12 millions de dollars. Cette prise de contrôle par les filiales chinoises se fait parfois au détriment des agriculteurs locaux, pénalisés par des contrats iniques et une trop faible rémunération. Dans son article, l’OCCRP pointe également l’implication de la nébuleuse chinoise dans des situations d’esclavagisme au Brésil.

Pénétrer les marchés internationaux par le commerce illicite

Mais le monopole chinois cherche également à conquérir de nouveaux marchés, par le biais d’un outil déjà largement expérimenté par les multinationales de tabac : le commerce illicite. En effet, l’industrie du tabac  a employé le commerce illicite comme un moyen de pénétrer dans des marchés fermés, à l’instar des anciens pays soviétiques dans les années 80 et 90. Selon l’investigation menée par les journalistes de l’OCCRP, des personnes et des entreprises reliées au monopole d’Etat chinois ont alimenté les marchés noirs européens et d’Amérique latine par le biais de réseaux de contrebandiers.

En Europe, la Chine s’associe à la criminalité organisée

En Europe, il n’existe qu’une seule usine appartenant à la CNTC, située en Roumanie. Si cette société, la China Tobacco International Europe Company (CITEC), vend légalement des cigarettes dans le vieux continent, essentiellement dans les boutiques duty free des aéroports, ses produits sont également diffusés au-delà des frontières par le biais de la contrebande. Par exemple, la police italienne a démantelé un système de transport maritime illégal, visant à alimenter l’Europe en cigarettes de contrebande, impliquant un responsable de la CTIEC et des passeurs liés à la Camorra, la criminalité organisée napolitaine.

Une contrebande massive, y compris dans les zones de guerre

L’organisation du commerce illicite dépasse les seules frontières européennes, et les cigarettes illégales provenant du monopole chinois ou de ses filiales se retrouvent dans des zones de conflit, à l’instar de la Syrie, de la Lybie ou de l’Irak. Comme le montrait une précédente investigation de l’OCCRP, la contrebande est pourtant un facteur majeur de déstabilisation régionale, en finançant ou en militarisant des milices locales ou des groupes terroristes. Par ailleurs, le travail de l’OCCRP a permis d’identifier des réseaux de contrebandes affiliés à la CNTC aux Etats-Unis, en Colombie, ou encore au Panama, décrit comme le « Disneyland de la contrebande ». En juillet 2020, les autorités colombiennes avaient réussi à confisquer près de 100 millions de paquets de cigarettes, pour un pays comptant 50 millions d’habitants.

Un monopole d’Etat non réglementé

Ces pratiques sont en contradiction fondamentale avec la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT), dont la Chine est Partie, mais contre laquelle la CNTC s’était opposée. Toutefois, le secteur du tabac occupe une place économique prépondérante aux yeux du gouvernement chinois, en étant à l’origine de 11% des recettes fiscales du pays. Comme le souligne l’enquête de l’OCCRP, la CNTC partage le même site internet et les mêmes employés que l’autorité chinoise supposée réglementer l’industrie du tabac dans le pays. Ainsi, un nombre grandissant d’observateurs pointent les nombreuses violations de la CCLAT par le monopole chinois, qui multiplie les œuvres caritatives, les parrainages, les activités de responsabilité sociale et les campagnes publicitaires.

Une menace évidente pour la santé publique

Pour bloquer la réglementation en Chine, la CNTC fait valoir le poids économique du secteur, employant 100 millions de personnes à travers le pays. Ce chiffre, particulièrement élevé, pourrait potentiellement être exagéré, et mérite d’être considéré avec précaution. Par ailleurs, le monopole chinois va même jusqu’à mettre en cause les études pointant les risques sanitaires associés au tabagisme. Dans une lettre destinée aux organes décisionnaires de l’Etat chinois, la CNTC avançait, en 2018 : « Les données sur la santé sont controversées et de nombreux fumeurs vivent longtemps […]. Une campagne anti-tabac non scientifique n’atteindrait pas l’objectif et serait fallacieuse ».

Selon l’Organisation mondiale de la santé, une cigarette sur trois fumées dans le monde est consommée par les 300 millions de fumeurs chinois. La stratégie gouvernementale actuelle sur le tabac se paye pourtant au plus fort en Chine. Chaque année dans le pays, près de deux millions de personnes meurent prématurément en raison du tabagisme, dont 100 000 en raison du tabagisme passif[2].

F.T

Mots-clés :  Chine, CNTC, Contrebande

© SHEPHERD ZHOUF/FEATURECHINA/MAXPPP

©Génération Sans Tabac


[1] Alessia Cerantola and Andrei Ciurcanu, OCCRP, China’s State Tobacco Company is Massive at Home. Now it’s Ready to Take Over the World, 22/06/2021, (consulté le 23/06/2021)

[2] Organisation mondiale de la santé de la santé, Tobacco in China, (consulté le 23/06/2021)

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 23 juin 2021