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Japon : une application médiocre des mesures antitabac induit une forte prévalence et mortalité

Une étude publiée dans la revue Tobacco Control[1] a cherché à quantifier l’impact à long terme de la mise en œuvre des mesures de lutte antitabac MPOWER[2], conformes à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) sur la prévalence du tabagisme et la mortalité chez les hommes et les femmes âgés de ≥20 ans au Japon. L’évaluation de la mise en œuvre de ces mesures au Japon souligne les carences du pays en la matière. Les auteurs soulignent que la mise en place d’une stratégie complète de lutte antitabac permettrait de sauver jusqu’à 240 000 vies d’ici 2050 au Japon.

Un modèle de simulation a été utilisé pour projeter la prévalence du tabagisme et la mortalité de 2018 à 2050 selon huit scénarios différents : (1) maintien du statu quo des politiques publiques en vigueur en 2018, (2) mise en œuvre de mesures d’interdiction de fumer et de protection de la population à l’égard de l’exposition au tabac, (3) programmes de sevrage tabagique, (4) avertissements sanitaires sur les paquets, (5) campagnes médiatiques de prévention (6) application de l’interdiction de la publicité pour le tabac (7) taxation du tabac au niveau le plus élevé recommandé et (8) toutes ces interventions combinées au meilleur niveau possible.

Le retard du Japon dans la mise en œuvre de de la Convention-Cadre

Le Japon a ratifié la CCLAT de l’OMS en juin 2004. Cependant, la mise en œuvre des mesures du traité a été fragmentée et la lutte antitabac reste très en deçà des bonnes pratiques de la CCLAT. En 2018, le Japon obtenait ainsi des notes médiocres en cas d’absence complète de politique ou de politique minimale dans les domaines de la protection de la population à l’égard de la fumée du tabac – interdictions de fumer (mesure P), de la mise en garde des dangers du tabac (W) et dans le domaine du respect de l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac (E).

Les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo de 2020 ont fait émerger une pression sociale et une volonté politique au niveau de la santé publique. Le mouvement de lutte antitabac a été quelque peu renforcé par l’adoption de nouvelles politiques telles que l’augmentation des taxes sur le tabac. Toutefois, malgré ces nouvelles mesures liées aux Jeux Olympiques et cette demande de la population pour une dénormalisation du tabagisme, les progrès de la politique de lutte antitabac au Japon ont été lents par rapport aux pays ayant les mêmes niveaux de revenus, en particulier les pays occidentaux.

À titre d’exemples, les paquets de cigarettes restent à un prix très abordable au Japon (moins de 4,5$ le paquet) qui applique une taxation plus faible que celle recommandée par l’OMS. Selon une étude, deux tiers de la population japonaise reste exposés à de la publicité pour le tabac et la couverture des services d’aide au sevrage tabagique est partielle, une couverture complète des coûts n’étant disponible que pour les « gros fumeurs » et aucune ligne téléphonique nationale d’aide au sevrage tabagique n’existe.

Une prévalence qui demeure élevée chez les hommes et augmente chez les femmes

La lenteur des progrès de la lutte antitabac au Japon se reflète dans la prévalence élevée du tabagisme chez les hommes, soit 27 % en 2019 (contre 8,6% chez les femmes), ce qui était plus élevé que dans les autres pays à revenu élevé. Le tabagisme a été le principal facteur de risque de mortalité par maladie non transmissible (MNT) chez les adultes japonais, contribuant à un pourcentage estimé entre 19,1 % et 24,6 % du total des décès chez les hommes et entre 3,6 % et 6 % chez les femmes. En 2012, le ministère de la santé, du travail et de la protection sociale avait fixé un objectif national de 12 % de prévalence globale du tabagisme d’ici 2022. Un objectif qui sera loin d’être atteint selon les auteurs de l’étude.

Les auteurs ajoutent que l’étude n’a pas pris en compte l’impact potentiel de la popularité croissante des produits du tabac chauffés. Au Japon, la consommation de tabac chauffé est en croissance, en particulier chez les jeunes hommes fumeurs, qui les utilisent avec ou sans intention d’arrêter de fumer. Si l’utilisation de tabac chauffé peut influencer les habitudes tabagiques individuelles, son impact sur l’arrêt du tabac n’est pas démontré à ce jour.

Une ingérence de l’industrie tabac très forte au Japon

Bien que les avantages pour la santé publique d’un renforcement des mesures de lutte antitabac soient évidents, le Japon est confronté à de nombreux défis pour la mise en œuvre de la lutte antitabac en raison de l’interférence de l’industrie dans l’élaboration des politiques. Le principal défi politique est la participation financière de 33 % du gouvernement japonais dans le géant du tabac Japan Tobacco. Le Japon a été classé en 2021 comme l’un des pires pays dans l’indice mondial d’interférence de l’industrie du tabac. Cet indice mesure les efforts déployés par les gouvernements pour lutter contre l’interférence de l’industrie du tabac.  Les auteurs précisent qu’il sera plus facile de renforcer l’action en faveur de l’élimination du tabagisme au Japon si le gouvernement adopte une réglementation stricte concernant l’ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques de santé et se conforme à l’article 5.3 de la CCLAT de l’OMS.

Seule la mise en place de politiques complètes et coordonnées pourrait entrainer une réduction significative du tabagisme

Selon le scénario du statu quo établi par les chercheurs, la prévalence du tabagisme devrait baisser régulièrement de 29,6 % à 15,5 % pour les hommes et de 8,3 % à 4,7 % pour les femmes entre 2018 et 2050.

Dans les scénarios de politiques focalisée par mesure, la prévalence du tabagisme serait réduite en moyenne à 14/15% chez les hommes et entre 4,2 % et 4,5 % chez les femmes d’ici à 2050. Les politiques de protection des personnes contre la fumée du tabac en instaurant des lieux sans fumée permettraient d’obtenir la plus forte baisse de la prévalence.

Sans surprise, la réduction de la prévalence du tabagisme serait plus importante et plus rapide lorsque toutes les mesures MPOWER sont mises en œuvre simultanément, selon les bonnes pratiques en vigueur, ramenant la prévalence du tabagisme à 10,6 % chez les hommes et à 3,2 % chez les femmes d’ici à 2050.

Si toutes les mesures MPOWER étaient mises en œuvre simultanément au niveau le plus élevé, les chercheurs estiment à 237 299 décès (196 455 hommes et 40 844 femmes) le nombre de décès prématuré évité d’ici 2050. Ceci représenterait trois à huit fois plus de décès évités que toute politique MPOWER individuelle. Le plan d’action mondial de l’OMS pour la prévention et la lutte contre les MNT 2013-2020 a fixé un objectif mondial de réduction relative de 30 % de la prévalence du tabagisme d’ici 2025, en prenant 2010 comme référence, ce qui signifie une réduction de la prévalence du tabagisme de 32,2 % à 22,6 % chez les hommes et de 8,4 % à 5,9 % chez les femmes au Japon.

Dans le cadre du scénario du statu quo, le Japon atteindrait l’objectif international de réduction relative de 30 % de la prévalence du tabagisme chez les hommes d’ici 2034 et chez les femmes d’ici 2038, et l’objectif national de 12 % de la prévalence globale du tabagisme d’ici 2041. Avec la mise en œuvre complète de MPOWER, le Japon atteindrait les objectifs internationaux de prévalence du tabagisme chez les hommes et les femmes en 2028 et 2031 respectivement, et l’objectif national de prévalence globale du tabagisme en 2033 au lieu de 2022. Ces résultats montrent la nécessité pour le Japon de se prémunir de l’ingérence du tabac et à mettre en place, au plus niveau possible l’ensemble des dispositions de la CCLAT qui permettent une vraie dénormalisation de la consommation tabagique.

Mots-clés : Japon, Convention-Cadre, CCLAT, OMS, prévalence, décès, tabagisme, tabac chauffé, arrêt du tabac, MPOWER

©Génération Sans Tabac

AE


[1] Yang SL, Togawa K, Gilmour S, et alProjecting the impact of implementation of WHO MPOWER measures on smoking prevalence and mortality in JapanTobacco Control Published Online First: 13 September 2022. doi: 10.1136/tc-2022-057262

[2] M : surveiller la consommation de tabac et les politiques de prévention ;

P : protéger les personnes contre la fumée du tabac ;

O : offrir de l’aide pour arrêter de fumer ;

W : mettre en garde contre les dangers du tabac ;

E : faire respecter l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur du tabac ;

R : augmenter les taxes sur le tabac.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 20 septembre 2022