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Italie : l’allégement fiscal sur les produits du tabac chauffé interroge

L’entreprise Casaleggio Associati, liée au Mouvement 5 étoiles, parti de gouvernement italien, aurait reçu 2 millions d’euros de la part du fabricant de cigarettes Philip Morris entre 2017 et 2020.

Fin novembre 2020, le quotidien italien d’information politique Il Riformista a révélé que la Casaleggio Associati, “l’entreprise à laquelle a été confié le soin d’organiser la démocratie interne du M5S [Mouvement 5 étoiles[1]]”, a reçu de la part de Philip Morris plus de 2 millions d’euros pour du consulting entre septembre 2017 et octobre 2020[2].

Or, le parti, entré au gouvernement en 2018, a ensuite réduit de 75 % les taxes sur les produits du tabac chauffé[3], “un secteur qui intéresse particulièrement le cigarettier américain”[4], pointe justement le journaliste Gaël de Santis, qui se fait l’écho de la révélation d’Il Riformista dans L’Humanité.

Si le quotidien Italien n’est pas en mesure de prouver que l’entreprise Casaleggio Associati, qui a reçu de l’argent de Philip Morris, a usé de son influence sur les députés du M5S pour obtenir un allégement fiscal sur les produits du tabac chauffé, “la coïncidence est troublante”[5], poursuit Gaël de Santis.

Interrogée, la Commission européenne ne voit pas de “motif d’intervention”

Suite à cette diminution des taxes sur les produits du tabac chauffé en Italie, la Commission européenne avait été alertée une première fois le 22 mai 2020[6]. Le 29 septembre 2020, le député européen Danilo Oscar Lancini a relancé la Commission sur ce sujet[7]. Celui-ci précisait dans sa question à la Commission que le manque à gagner pour l’État italien induit par cette évolution fiscale était estimé 500 millions d’euros par an. Or, les ressources qu’auraient dû fournir la fiscalité sur les produits du tabac chauffé sans cette réduction des taxes devaient servir au plan triennal pour l’accès au traitement des personnes les plus vulnérables, dont la nécessité se fait plus urgente avec la pandémie de Covid-19. Pour le député européen, “Cela rend[ait] l’allégement fiscal en question encore plus contestable et indéfendable”[8].

Le 26 novembre 2020, la commissaire européenne Margrethe Vestager a apporté à la question du député la réponse suivante : “Les services de la Commission ont dûment examiné les informations reçues. En l’absence d’éléments montrant une violation potentielle des règles relatives aux aides d’État, les services de la Commission ne voient pas de motif d’intervention”[9].

Fin mai 2020, les pays de l’UE souhaitaient une révision des taxes sur le tabac chauffé

L’allégement fiscal accordé en Italie sur les produits du tabac chauffé surprend d’autant plus qu’à la fin du mois de mai 2020, les pays de l’Union européenne (UE) avaient soumis une demande à la Commission afin que la fiscalité des produits du tabac chauffé et les cigarettes électroniques soit alignée sur celle des produits du tabac traditionnels, comme le rapportait le journaliste d’EURACTIV Sarantis Michalopoulos dans un article publié le 27 mai 2020[10].

Une ébauche de conclusion du Conseil de l’UE indiquait ainsi : “Les dispositions actuelles de la directive 2011/64/UE[11] sont devenues moins efficaces, car elles ne sont plus suffisantes ou trop précises pour répondre aux défis actuels et futurs que représentent certains produits, comme les liquides pour cigarettes électroniques, les produits à base de tabac chauffé et d’autres nouvelles générations de produits qui entrent sur le marché. […] Il est donc urgent et nécessaire d’améliorer le cadre législatif de l’UE, afin de relever les défis actuels et futurs que pose le fonctionnement du marché intérieur, en harmonisant les définitions et le régime fiscal de [ces] nouveaux produits […] pour éviter le flou juridique et les disparités réglementaires au sein de l’UE”[12].

À titre d’exemple, si les liquides destinés aux cigarettes électroniques sont réglementés d’un point de vue sanitaire par une directive de 2014[13], aucun cadre juridique européen ne porte sur leur taxation, contrairement à ce qui existe pour les produits du tabac traditionnels. Il en résulte une disparité énorme entre les différents pays de l’UE en termes de fiscalité sur ces produits. “Certains États membres taxent les e-liquides […] à des taux différents, tandis que d’autres ne les taxent pas du tout”[14], précisait Sarantis Michalopoulos.

En conclusion de son article, ce dernier écrivait : “Le prochain défi consistera à résister à la pression que l’industrie du tabac va sans doute exercer sur les gouvernements nationaux afin de payer le moins de taxes possible”[15]. À la lumière des faits révélés par Il Riformista, il semble que le journaliste grec ait vu juste.

©Génération Sans Tabac


[1] Movimento 5 Stella.

[2] Gaël De Santis, Le Mouvement 5 étoiles part en fumée, L’Humanité (le 30 novembre 2020, consulté le 3 décembre 2020).

[3] Question for written answer E-005323/2020 to the Commission, europarl.europa.eu (le 29 septembre 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[4] Gaël De Santis, Le Mouvement 5 étoiles part en fumée, L’Humanité (le 30 novembre 2020, consulté le 3 décembre 2020).

[5] Ibid.

[6] Question for written answer E-005323/2020 to the Commission, europarl.europa.eu (le 29 septembre 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Answer for question E-005323/20, europarl.europa.eu (le 26 novembre 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[10] Sarantis Michalopoulos, Morgane Detry (traduction), Les États membres veulent taxer les e-cigarettes et les produits à base de tabac chauffé, euractiv.fr (le 27 mai 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[11] Directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, eur-lex.europa.eu (le 5 juillet 2011, consulté le 3 décembre 2020). 

[12] Sarantis Michalopoulos, Morgane Detry (traduction), Les États membres veulent taxer les e-cigarettes et les produits à base de tabac chauffé, euractiv.fr (le 27 mai 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[13] Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE, eur-lex.europa.eu (le 29 avril 2014, consulté le 4 décembre 2020). 

[14] Sarantis Michalopoulos, Morgane Detry (traduction), Les États membres veulent taxer les e-cigarettes et les produits à base de tabac chauffé, euractiv.fr (le 27 mai 2020, consulté le 3 décembre 2020). 

[15] Ibid.

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Publié le 4 décembre 2020