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Interdiction du tabac : la leçon sud-africaine

En mars 2020, le président sud-africain a décrété l’état de catastrophe nationale, pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Entre le 27 mars et le 17 août, le gouvernement a temporairement suspendu la vente de tous les produits du tabac et du vapotage. Une étude publiée dans Tobacco Control est revenue sur cette décision, en analysant les comportements des fumeurs suite à cette situation d’interdiction[1].

Des chercheurs ont mené une enquête en ligne auto-administrée auprès de plus de 23 000 personnes, toutes fumeuses et âgées de plus de 18 ans. Cette enquête s’inscrit dans la littérature scientifique du « endgame », désignant différentes stratégies visant à terme à réduire le tabagisme à un niveau marginal, voire à sa disparition. Comme le souligne l’étude, cette option étant particulièrement « radicale et sans précédent », il s’agit de chercher à identifier les conditions préalables à réunir pour garantir l’effectivité d’une telle mesure.

La hausse des prix du tabac, premier motif d’arrêt

Selon l’étude, 27% des fumeurs interrogés ont cherché à arrêter de fumer lors de cette interdiction de vente, dont le tiers a effectivement réussi (33%). Ainsi, au total, 9% des fumeurs ont abandonné la consommation tabagique dans la période observée. La hausse des prix des cigarettes a été le premier motif invoqué dans les tentatives d’arrêt (57%). En effet, le prix du tabac a grimpé d’environ 250%, consécutivement à son interdiction de vente. Pour 14% des personnes ayant tenté d’arrêter de fumer, l’impossibilité de trouver des cigarettes a été invoquée. Enfin, seules 11% des personnes ayant tenté d’arrêter de fumer ont déclaré l’avoir fait en raison de l’interdiction elle-même.

La vente de tabac pendant son interdiction

Malgré la décision de suspendre la vente de produits du tabac et de la nicotine, 93% des personnes interrogées ont déclaré avoir acheté des cigarettes au moment de l’interdiction. Avant celle-ci, 70% des fumeurs achetaient leur tabac dans les circuits légaux (buralistes, points de vente au détail, stations-services, etc). Lors de l’interdiction, les modalités d’achat ont profondément changé. Ainsi, 27% des personnes ayant poursuivi l’achat de tabac ont déclaré l’avoir fait par le biais d’amis et de la famille, 25% via des petits magasins de proximité, et 11% par l’intermédiaire de revendeurs de rue. Dans des proportions plus faibles, d’autre canaux de vente ont été indiqués (Whatsapp, cafés, etc).

Le marché sud-africain échappe aux géants du tabac

L’interdiction de vente a également modifié le marché du tabac en Afrique du Sud. Avant la décision, 75% des fumeurs déclaraient fumer des marques des principaux fabricants mondiaux, contre seulement 17% au moment de l’enquête. British American Tobacco (BAT), Philip Morris International (PMI), et Japan Tobacco International (JTI) ont perdu de fortes parts de marché, au profit de marques locales. Ainsi, 48% des cigarettes fumées en Afrique du Sud étaient issues du fabricant BAT avant l’interdiction, contre seulement 8,7% pendant. A l’inverse, cette proportion a plus que doublé pour le fabricant Gold Leaf Tobacco, passant de 12,2% à 26,3%.

Les conséquences indirectes de l’interdiction

Si le commerce illicite était déjà en plein essor avant l’interdiction de vente, fabricants comme négociants ont toutefois développé pendant celle-ci des méthodes créatives de commerce illicite. Par ailleurs, le relatif éclatement du marché du tabac, se soldant par la montée en puissance d’acteurs locaux, pourrait se traduire par une baisse générale du prix du tabac, élément néfaste pour la santé publique. Ce glissement du centre de gravité des multinationales vers les producteurs locaux ne se traduira pas nécessairement par une meilleure lutte contre l’ingérence des cigarettiers. Les principaux fabricants mondiaux étaient en effet déjà particulièrement décrédibilisés par la révélation de leurs tentatives d’interférence dans le débat public sud-africain.

Un certain nombre de conditions manquantes à une interdiction réussie

Comme le soulignent les auteurs de l’étude, les conditions requises pour la réussite de l’interdiction de vente de tabac n’étaient pas réunies.  Selon la littérature scientifique sur le sujet, l’interdiction de vente ne peut être instituée que dans une situation de faible prévalence tabagique, avec un taux de fumeurs inférieur à 10%. En Afrique du Sud, celui-ci est évalué à 20%. Par ailleurs, la recherche actuelle avance l’idée d’annoncer l’interdiction bien avant son entrée en vigueur, permettant aux fumeurs l’anticipation de la mesure, et leur possible accompagnement dans le sevrage. En Afrique du Sud, l’interdiction a été effective seulement deux jours après son annonce publique, tandis que les fumeurs n’ont bénéficié d’aucune mesure d’accompagnement supplémentaire.

La nécessité de contrôler le commerce illicite

Au-delà de la question de la demande, celle de l’offre n’a pas été suffisamment anticipée pour garantir le succès de l’interdiction du marché du tabac. En particulier, l’étude insiste sur la nécessité pour les pouvoirs publics d’être en situation de contrôle du commerce illicite avant d’interdire la vente de produits du tabac. La situation sud-africaine était alors loin de remplir cette condition fondamentale. En effet, le pays n’a toujours pas ratifié le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, et des unités spéciales dédiées ont même été suspendues en 2015 et 2016. De cette façon, 30% des produits du tabac étaient achetés en dehors des circuits légaux en Afrique du Sud. Enfin, pour les chercheurs, cette interdiction ne peut être efficace qu’à la condition d’interdire et surveiller dans le même temps la chaîne de production du tabac, depuis sa fabrication, son transport jusqu’à sa distribution.

En définitive, selon les éléments relevés dans l’étude, un certain nombre de conditions essentielles n’étaient pas réunies au moment de l’interdiction de vente de tabac en Afrique du Sud pour parvenir à une pleine efficacité du dispositif. De cette façon, l’expérience sud-africaine ne peut être considérée comme pleinement pertinente pour évaluer l’effectivité d’une telle mesure.

Mots clés : Afrique du Sud, étude, confinement, commerce illicite

Crédit photo : ©Thobile Mathonsi/African News Agency(ANA)

©Génération Sans Tabac


[1] Filby S, van der Zee K, van Walbeek C

The temporary ban on tobacco sales in South Africa: lessons for endgame strategies

Tobacco Control Published Online First: 20 January 2021. doi: 10.1136/tobaccocontrol-2020-056209

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 27 janvier 2021