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L’activité de l’industrie du tabac est incompatible avec la préservation des droits humains

Plusieurs organisations de santé publique ont soumis une contribution[1] à la consultation publique de la Commission européenne relative aux droits humains, en mettant l’accent sur les conséquences préjudiciables de l’activité même de l’industrie du tabac sur l’environnement, le droit à la santé et de nombreux aspects relatifs aux droits humains. Cette contribution a été cosignée par 70 organisations de lutte contre le tabagisme et de santé publique.

Le 27 janvier 2021, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté un rapport appelant l’Union européenne à contraindre légalement les entreprises, dans leurs chaînes d’approvisionnement, à protéger les droits humains et l’environnement. Le rapport exhortait la Commission européenne à imposer des dispositions en la matière aux entreprises, à leurs fournisseurs et sous-traitants établis ou exerçant leurs activités dans le bloc de l’UE.

L’ONU, les ONG et les experts des droits humains insistent depuis de nombreuses années sur les responsabilités en matière de droits humains des acteurs non étatiques, y compris des entreprises privées et des multinationales. Ces mêmes acteurs soulignent que l’activité même de l’industrie du tabac est par nature, incompatible avec le respect de ces droits[2]. Le tabagisme est à l’origine de 8 millions de décès prématurés évitables par an et est le premier facteur de risques communs aux maladies non transmissibles (MNT). La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) et le renforcement de sa mise en œuvre sont spécifiquement mentionnés comme le principal instrument et moyen pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD), en matière de santé, en son objectif  3A.

Les effets dévastateurs des produits du tabac sur les droits humains et l’environnement

En produisant, commercialisant et vendant un produit mortel, l’industrie du tabac, par son activité même, va à l’encontre des droits les plus élémentaires des êtres humains. Outre le droit fondamental à la vie et le droit à la santé, les produits du tabac portent gravement atteinte aux droits des enfants[3].  Ces atteintes concernent également leur protection contre le travail forcé dans la production du tabac. Le travail des enfants dans la culture du tabac a ainsi été défini comme l’une des pires formes de travail des enfants en raison de ses effets néfastes sur leur santé physique et mentale[4]. A cela s’ajoutent les pratiques avérées et répétées de désinformation de la part des fabricants de tabac, en particulier dans le cadre de leurs opérations de marketing. Les fabricants de tabac par leurs activités portent également atteinte aux droits des femmes[5] et droits de populations vulnérables, telles que la communauté LGBT, les minorités raciales et les populations autochtones, ciblées par les industriels du tabac de manière plus spécifique et qui paient un lourd tribut parmi les victimes du tabagisme.

L’impact environnemental des activités de l’industrie du tabac a été plus particulièrement étudié dans une étude récente de l’OMS[6]. Chaque étape de la chaîne d’approvisionnement du tabac nécessite des ressources considérables et entraîne la production de déchets et d’émissions de CO2. Environ 4,5 billions de cigarettes sont jetées chaque année dans le monde, ce qui représente 80 millions de kg de déchets de tabac. Les mégots de cigarettes, particulièrement toxiques, représentent le déchet le plus répandu sur terre[7]. Ils polluent les eaux souterraines et ils imprègnent les sols de produits chimiques. L’empreinte écologique du tabac est comparable à celle de pays entiers. À l’échelle mondiale, la chaîne d’approvisionnement du tabac contribue à environ 84 Mt d’équivalent CO2 en émissions. Ceci correspond à l’empreinte carbone cumulée du Danemark, du Luxembourg, de la Lettonie et de Lituanie[8].

Les efforts de la société civile dans la protection des droits humains à l’égard du tabac

Les acteurs de la lutte antitabac, dès les négociations du traité de la CCLAT au début des années 2000, se sont engagés pour aborder la lutte contre le tabagisme dans une perspective de défense des droits humains. En 2017, alors que le fabricant Philip Morris avais saisi l’Institut Danois des Droits humains, ce dernier a conclu suite à son évaluation de l’activité de l’entreprise que : « Il ne fait aucun doute que la production et la commercialisation du tabac sont inconciliables avec le droit humain à la santé »[9]. En d’autres termes, si le fabricant Philip Morris veut se mettre en conformité avec le respect des droits humains, l’entreprise se doit de cesser son activité. En 2018, la Conférence mondiale sur le tabac ou la santé (WCTOH) a adopté la déclaration de Cap Town sur les droits humains et un monde sans tabac, soutenue par 165 organisations. Cette déclaration a été officiellement soumise au Haut-Commissariat aux droits humains. Des déclarations similaires ont été adoptées par la société civile lors de conférences à Madrid et Bucarest[10].

Début 2020, une alliance de 10 organisations de la société civile a soumis le rapport « Lutte antitabac en Allemagne : non-protection du droit à la santé et des droits des femmes dans les chaînes d’approvisionnement »[11] au Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Ce rapport a permis les institutions de défense des droits humains d’interroger le gouvernement allemand sur sa législation et les dispositions requises pour tenir les entreprises responsables des violations des droits des femmes dans leurs opérations à l’étranger.

La société civile alerte sur les risques d’instrumentalisation des activités dites « socialement responsables » de l’industrie du tabac

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est un élément essentiel des obligations élémentaires des entreprises car ces dernières doivent s’assurer que leurs fournisseurs respectent également tous les engagements en matière de RSE. Les sociétés de tabac utilisent les attentes du public, croissantes dans ce domaine, et ont inclus la RSE et le discours du développement durable dans leurs stratégies d’entreprise[12]. De plus, toutes les grandes multinationales du tabac financent la Fondation pour l’élimination du travail des enfants dans la culture du tabac, qui vise à réduire la pauvreté, à libérer les enfants du travail des enfants et à soutenir leur éducation[13].

La contribution de la société civile à la consultation européenne vise à alerter sur ce qui s’apparente essentiellement à une politique d’image et qui risque d’être mis en avant par les fabricants pour empêcher l’adoption des mesures réellement efficaces susceptibles de réduire leurs atteintes aux droits humains. Les activités qualifiées de « socialement responsables » par l’industrie du tabac, visant à promouvoir la consommation de tabac, constituent une stratégie de marketing et de relations publiques[14] qui entre dans la définition de la publicité, de la promotion et du parrainage de la CCLAT. Selon l’OMS, la responsabilité sociale des entreprises de l’industrie du tabac est une contradiction inhérente, car les fonctions essentielles de l’industrie sont en conflit avec les objectifs des politiques de santé publique en matière de lutte antitabac. Aussi les auteurs qui craignent que cette initiative de l’UE en direction des entreprises en général soit utilisée par les sociétés de tabac, rappellent que les Parties à la CCLAT doivent protéger leur politique de santé publique contre les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac.

Mots clés : UE, RSE, Industrie du tabac, CCLAT, Droits humains, diligence raisonnable

©Génération Sans Tabac


[1] Van Kalmthout, Danielle, Kelsey Romeo-Stuppy, Laurent Huber, Sonja von Eichborn, and Claire Clément. Mandatory environmental and human rights due diligence. Tobacco Induced Diseases 19 no. March (2021): 19. doi:10.18332/tid/133750.

[2] Toebes, Brigit. “Human Rights and the Tobacco Industry: An Unsuitable Alliance.” International journal of health policy and management vol. 7,7 677. 1 Jul. 2018, doi:10.15171/ijhpm.2018.03

[3] von Eichborn S, Mons U, Schaller K, et al. Children’s Rights and Tobacco Control: The right to a tobacco-free world. Unfairtobacco, ed. January 2020

[4] International Labour Organization. C182 – Worst Forms of Child Labour Convention, 1999 (No. 182).

[5] Submission to the UN Committee on the Elimination of Discrimination Against Women, Tobacco control in Germany: Failure to protect the right to health and women’s rights in supply chains, 77th Pre-Sessional Working Group (2 March 2020 – 6 March 2020)

[6] Zafeiridou M, Hopkinson NS, Voulvoulis N. Cigarette smoking: an assessment of tobacco’s global environmental footprint across its entire supply chain, and policy strategies to reduce it. World Health Organization; 2018.

[7] Root T. What’s the world’s most littered plastic item? Cigarette butts. National Geographic. August 9, 2019

[8] Greenhouse gases emissions by country. WorldData.info

[9] Human Rights assessment in Philip Morris International, The Danish Institute for Human Rights, 4 mai 2017

[10] Action on Smoking and Health. Bucharest Declaration on Human Rights and a Tobacco-Free Europe

[11] Submission to the UN Committee on the Elimination of Discrimination Against Women, Tobacco control in Germany: Failure to protect the right to health and women’s rights in supply chains, 77th Pre-Sessional Working Group (2 March 2020 – 6 March 2020)

[12] Génération Sans Tabac, « Durabilité » : le nouvel argument marketing de BAT, 12 mars 2021, consulté le 26 mars 2021

[13] TobaccoTactics. Eliminating Child Labour in Tobacco-Growing Foundation (ECLT), dernière mise à jour le 12 juin 2020, consulté le 26 mars 2021

[14] Génération Sans Tabac, La défense des droits humains selon British American Tobacco, 16 décembre 2020, consulté le 26 mars 2021

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 26 mars 2021