Actualités

mali-terrorisme-contrebande-bat

Industrie du tabac, contrebande, criminalité organisée et terrorisme au Mali

Un travail d’investigation mené par un réseau international de journalistes met la lumière sur l’implication des multinationales British American Tobacco (BAT) et Imperial Brands dans la contrebande en Afrique de l’Ouest, et notamment au Mali[1].

Les bénéfices du commerce illicite du tabac en Afrique alimentent les conflits dans le nord du Mali, en finançant notamment les organisations terroristes comme Al-Qaïda et l’Etat islamique ainsi que les milices armées. Dans ce contexte, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), regroupant des journalistes d’investigation à travers le monde entier, a pu démontrer que la majorité des milliards de cigarettes en circulation dans cette zone de guerre sortaient des usines du fabricant BAT, et étaient distribuées avec l’appui d’Imperial Brands dans l’ensemble du pays, sous le contrôle et au profit des groupes armés et djihadistes.

Un faisceau de preuves contre les cigarettiers

L’investigation de l’OCCRP a pu mettre la main sur des documents confidentiels, analyser les données commerciales de l’entreprise, réaliser des entretiens avec les insurgés de la région, d’anciens employés de BAT, des experts et des responsables politiques. Selon les journalistes, la compagnie de tabac a délibérément commencé à surapprovisionner le Mali avant que la partie nord du pays ne soit contrôlée par les groupes rebelles et djihadistes.  Selon les sources interrogées, les cigarettes sont acheminées dans le nord avec le soutien de l’armée et de la police, et finissent sous le contrôle des milices et des combattants islamistes. Comme l’indiquerait un document interne de l’industrie, BAT aurait eu recours à des informateurs en Afrique de l’Ouest pour se tenir au fait du fonctionnement du commerce illicite de la région.

Les zones de conflit inondées par les cigarettes des fabricants

S’il est difficile de connaître les quantités exactes de cigarettes illicites passées en contrebande au Mali, on estime que 4,7 milliards de cigarettes sont livrées chaque année en surplus au pays, la plupart provenant de l’Afrique du sud.  Les cigarettes sont ensuite transportées sur des milliers de kilomètres vers la Lybie, l’Algérie, le Niger ou le Soudan. Le transport de ces marchandises, extrêmement dangereux, est très bien payé. Selon les auteurs de l’enquête, alors que le salaire quotidien moyen est inférieur à 1,60 euro, le transport d’un chargement de cigarettes de contrebande peut rapporter au conducteur jusqu’à 10 000 euros. Fonctionnaires locaux corrompus et barons de la drogue travaillent ainsi main dans la main pour tirer profit de ce commerce fructueux. Selon un ancien employé de British American Tobacco, les groupes armés, qu’il s’agisse de Touaregs indépendants, de milices ethniques ou de groupes djihadistes, sont devenus les gardiens des axes de la contrebande. Ce rôle de douanes joué par les groupes armés dans cette région de l’Afrique est pourtant connu du fabricant de tabac.

Profiter de la confusion

Au-delà de démontrer l’implication des fabricants de tabac dans la contrebande mondiale, l’exemple malien témoigne du fait que les cigarettiers ne respectent pas leurs engagements internationaux. Entre 2004 et 2010, les compagnies de tabac, condamnées par les pays de l’Union européenne pour leur rôle dans l’organisation du commerce illicite, ont signé une série d’accords. Les fabricants se sont notamment engagés à faire en sorte que leurs marchandises ne tombent pas sous le contrôle d’organisations criminelles. La situation au Mali démontre que l’industrie du tabac profite au contraire de la faiblesse des gouvernements locaux et de la situation de confusion de toute la région pour diffuser ses produits.

Quand le commerce illicite finance le terrorisme et la criminalité organisée

Cette implication des cigarettiers dans le commerce illicite dans les zones de conflits montre que la contrebande de tabac intègre non seulement des seules questions fiscales et sanitaires, mais revêt également un enjeu géopolitique. En effet, une partie du financement des organisations criminelles et terroristes provient du commerce illicite de tabac, ainsi que du trafic de substances illégales, comme le cannabis ou la cocaïne. Au-delà de confirmer que l’industrie du tabac continue d’organiser ou de faciliter le commerce illicite, l’enquête met en lumière les liens avérés entre les cigarettiers et la criminalité organisée. Alors que l’industrie du tabac déploie des efforts de relations publiques pour reconquérir l’image d’entreprise responsable, partenaire des pouvoirs publics, les éléments rapportés par l’OCCRP viennent porter une ombre à ce tableau lénifiant.

©Génération Sans Tabac

Crédit photo : ©Nicolas Remene/Le Pictorium/Maxppp


[1] OCCRP, British American Tobacco Fights Dirty In West Africa, 26 février 2021 (consulté le 1er mars 2021)

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 2 mars 2021