Pour avoir tenté d’extraire les e-liquides nicotinés du Poisons Act 1952, la ministre malaisienne de la Santé, Dr Zaliha Mustafa, est poursuivie par plusieurs ONG.
L’action en justice intentée le 30 juin 2023 par le Malaysian Council for Tobacco Control (MCTC, qui regroupe 40 organisations de santé), la Malaysian Green Lung Association (MGLA) et le groupe de défense des enfants Voice of the Children (VoC) contre le Dr Zaliha Mustafa, ministre malaisienne de la Santé, est une première historique qui a plusieurs motifs[1].
La ministre aurait outrepassé ses pouvoirs et compromis la politique antitabac
Le principal motif est d’avoir tenté de déréguler les e-liquides nicotinés des cigarettes électroniques en les extrayant de la liste des substances classées comme poisons par le Poisons Act 1952. Cette déclassification aurait eu pour conséquence de ne pas fixer de limite légale aux taux de nicotine de ces e-liquides, la législation en la matière étant assez faible. Les acteurs de santé et de défense des enfants estiment ici que la ministre a outrepassé ses pouvoirs en déclassifiant les e-liquides ; ils la poursuivent pour excès de pouvoir en prenant cette ordonnance non conforme à la constitution et pour avoir failli à son devoir de protection de la santé publique[2]. La Malaisie et le gouvernement malaisien sont également poursuivis dans cette procédure, la première de ce type intentée par les acteurs antitabac dans ce pays.
Ils considèrent par ailleurs qu’avec cette décision, la ministre contreviendrait au projet malaisien d’une génération sans tabac en 2025,. A cette date, la vente de tout produit du tabac ou de la nicotine – dont les cigarettes électroniques et leurs e-liquides – sera interdite aux personnes nées à partir du 1er janvier 2007. Créer aujourd’hui une exception pour les e-liquides signifierait ouvrir une brèche et compromettre une politique antitabac initiée par son propre ministère et son prédécesseur, Khairy Jamaluddin. Cette préoccupation paraît d’autre plus légitime que le Control of Tobacco Products and Smoking Bill, qui devait porter cette politique pour parvenir à une génération sans tabac, n’a toujours pas été adoptée en seconde lecture par le Parlement.
Les plaignants regrettent enfin que la décision de la ministre soit en contradiction avec les engagements de la Malaisie vis-à-vis de deux traités internationaux qu’elle a ratifiés, en l’occurrence la Convention des droits de l’enfant (CDE), ainsi que la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT). Une décision de la Conférence des parties de 2014 (COP6) de la CCLAT avait notamment appelé à une’une réglementation des cigarettes électroniques dans les pays qui ne les ont pas déjà interdites, en attendant des conclusions scientifiques plus définitives sur leur impact sur la santé humaine[3].
Tout comme le retard de l’adoption du Control of Tobacco Products and Smoking Bill, cet épisode semble indiquer que les membres du gouvernement malaisien sont soumis à de fortes pressions. L’ancien ministre de la Santé, Khairy Jamaluddin, a indiqué à ce propos avoir lui-même été soumis à des pressions de la part du ministre de l’Economie pour déclassifier la nicotine de la liste des poisons, dans l’objectif affiché d’empocher des taxes sur les produits de vapotage. « Il y a eu des pressions pour déclassifier, mais j’ai tenu sur mes positions », a-t-il ainsi déclaré[4].
La nicotine est bien un poison
En Europe, des polémiques surviennent parfois entre partisans et détracteurs des cigarettes électroniques au sujet du statut de la nicotine. Les premiers mettent fréquemment en avant qu’il s’agit d’une substance naturelle présente dans de nombreuses plantes alimentaires, les seconds soulignent qu’il s’agit d’une substance toxique, donc d’un poison. Le fait est que la nicotine est d’abord un insecticide naturel, d’où sa présence à faible taux dans de nombreuses plantes. Elle est particulièrement concentrée dans la plante de tabac, dont le nom scientifique est Nicotiana tabacum
Cette concentration d’insecticide fait bien de la nicotine un poison, même lorsqu’elle est d’origine naturelle. Elle est classée comme substance vénéneuse dans le Code de la santé publique en France, et en Europe comme « toxique en cas d’ingestion », « mortelle par contact cutanée » et « toxique pour les organismes aquatiques » par la Classification des substances chimiques et des mélanges (règlement CLP).
Mots-clés : Malaisie, Zaliha Mustafa, MCTC, nicotine, poison, insecticide naturel.
MF
[1] Su-Lyn B, In Historic Lawsuit, Health Minister Sued For Delisting Liquid Nicotine, CodeBlue, publié le 3 juillet 2023, consutlé le 4 juillet 2023.
[2] Health minister sued by child rights, anti-tobacco groups for delisting liquid nicotine, Malaysia Now, publié le 3 juillet 2023, consutlé le 4 juillet 2023.
[3] WHO, Electronic nicotine delivery systems, Provisional agenda item 4.4.2, COP to the WHO FCTC, 6th session, 1er septembre 2014, 13 p.
[4] Yusof TA, Khairy claims he was pressured to delist nicotine from Poisons Act, The Star, publié le 4 juillet 2023, consulté le 5 juillet 2023.