Actualités

Jordanie-chicha

En Jordanie, les dépenses liées au tabac dépasseraient celles de l’alimentation

Alors que l’OMS appelle à réduire les plantations de tabac pour préserver les ressources agricoles, la part du tabagisme dans le budget des foyers en Jordanie est pointée comme supérieure à celle de certains postes alimentaires.

« Nous avons besoin de nourriture, pas de tabac », affirme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui estime le monde au bord d’une crise alimentaire globale. Les bouleversements climatiques, la pandémie de COVID-19 et les répercussions de la guerre en Ukraine comptent parmi les causes majeures de cette tension sur la production alimentaire.

L’OMS estime toutefois que les producteurs de tabac ont également leur part de responsabilité dans cette crise, en accaparant toujours davantage de terres arables pour les convertir en plantations de tabac (4 millions d’hectares, au total), tout particulièrement dans les pays en développement[1]. C’est pour alerter sur ce phénomène que l’OMS a placé la Journée mondiale sans tabac 2023 sous le signe de la restitution des terres à la production alimentaire, tout en rappelant le poids de l’industrie du tabac dans la destruction de l’environnement.

Une très forte prévalence tabagique

Une illustration de ce phénomène de primauté du tabac sur l’alimentation est donnée avec le cas de la Jordanie, au détour d’une réunion organisée sur place par l’OMS. Dans ce pays où la consommation de tabac est particulièrement élevée, ce budget dépasse, pour les ménages, celui de certains postes alimentaires[2]. Le budget mensuel moyen accordé au tabac est en effet de 73,6 dinars jordaniens (DJ), contre 50 DJ mensuels pour la viande et la volaille, ou 63 DJ mensuels pour les fruits et légumes.

La prévalence tabagique en Jordanie est l’une des plus élevées au monde, avec celle de l’Indonésie. Les données de 2019 situaient cette prévalence à 42 % en population générale (18-69 ans), dont 66 % pour les hommes et 17 % pour les femmes. 15 % des hommes sont par ailleurs consommateurs de cigarettes électroniques, ce qui porterait à près de 82 % le nombre d’hommes utilisant du tabac, une chicha (pipe à eau) ou d’autres produits de la nicotine. Autant d’indicateurs qui annoncent une envolée des maladies non transmissibles dans ce pays d’ici 2030, tandis que la région s’annonce être la seule où soit prévue une augmentation de la consommation de tabac dans les prochaines années.

Bien que le tabac soit très normalisé en Jordanie, son image reste assez négative dans la population. De nombreux adultes cherchent à cacher leur tabagisme, y compris auprès de leur médecin ou de leur dentiste. Les adolescents fumeurs fuient aussi le regard de leurs parents, et se tournent aujourd’hui vers les cigarettes électroniques par souci de discrétion, afin d’éviter les odeurs de tabac.

Des efforts récents dans la lutte antitabac, malgré de nombreuses interférences de l’industrie

Les interférences de l’industrie du tabac sont parmi les principales causes de cette forte prévalence tabagique. En 2021, la Jordanie occupe la huitième place du classement mondial sur ce thème, du fait des nombreuses connivences entre plusieurs ministères et l’industrie du tabac. La pandémie de COVID-19 de 2020 avait donné lieu à une intense activité de responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l’industrie du tabac, qui avait directement financé un fonds public aux plus démunis. Durant cette période, la Jordanie a également accueilli, dans une zone défiscalisée, un projet d’usine de produits du tabac destinés à l’export porté par British American Tobacco (BAT) et le gouvernement yéménite[3]. En 2020, le ministre de l’Environnement avait aussi attribué un prix à Japan Tobacco International (JTI) pour avoir réduit ses émissions de CO2 et son impact environnemental[4].

Les choses semblent toutefois évoluer, notamment depuis la nomination du Dr. Feras Hawari comme ministre de la Santé en mars 2021. Parmi les efforts engagés, la Jordanie est devenue en 2020 le quatrième pays de la région du Moyen-Orient à se doter d’un programme complet d’aide à l’arrêt du tabac. Elle a aussi adopté l’interdiction de fumer dans les lieux publics clos, ainsi que l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage pour les produits du tabac. Ces deux interdictions ont été étendues aux chichas en 2022, produits pour lesquels ces mesures avaient temporairement été prises en 2020[5]. Pour ces efforts, la Jordanie s’est vue récompensée d’un prix par l’OMS lors de la Journée mondiale sans tabac 2022. Il reste cependant beaucoup à faire pour que ce pays soit davantage en accord avec la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), notamment en matière de protection contre les ingérences de l’industrie du tabac.

Mots-clés : OMS, Journée mondiale sans tabac, Jordanie, interférences

©Génération Sans Tabac

MF


[1] We need food, not tobacco – focus of World No Tobacco Day 2023, WHO, publié le 7 novembre 2022, consulté le 8 novembre 2022.

[2] Jordanians spend more on tobacco than food, says WHO, The Jordan Times, publié le 6 novembre 2022, consulté le 8 novembre 2022.

[3] STOP, Global Tobacco Industry Interference Index 2021- Jordan, 2021.

[4] FCA, Tobacco Industry Interference Index 2021 – Jordan, 2021.

[5] WHO report on the global tobacco epidemic 2021: addressing new and emerging products. Geneva: World Health Organization; 2021.

Comité national contre le tabagisme | 

Publié le 10 novembre 2022