Une récente étude publiée dans la revue Tobacco Control[1] a analysé le contenu d’une centaine (104) de sites internet de fabricants/vendeurs de cigarettes électroniques en Chine pour comprendre les différentes stratégies marketing déployées autour de ces produits. Les auteurs escomptent que les résultats de cette étude conduiront des décideurs politiques à davantage réglementer les produits du vapotage.
Les sites web des fabricants chinois de cigarettes électroniques sont devenus des plateformes marketing mettant en avant de manière attractive les produits et nombreuses marques de vapotage. Les fabricants concernés mettent en avant sur ces sites la diversité des arômes de leurs produits, la « réduction des risques » associés, les prix attractifs ou bien encore ils font état de leurs activités de d’ « entreprises socialement responsables » (RSE). Les restrictions d’accès aux sites en fonction de l’âge sont faibles et l’absence d’avertissements sanitaires prévaut. Pour les auteurs, le gouvernement chinois devrait mettre en œuvre des mesures réglementaires plus strictes pour ces produits.
Les auteurs de l’étude ont identifié 104 sites internet officiels de fabricants chinois en 2021 à l’aide du site QCC.com, l’une des plus grandes plateformes de recherche d’informations sur les entreprises en Chine. Les auteurs ont ensuite défini les critères à retenir et à analyser pour chaque site sélectionné. Figurent ainsi notamment les restrictions d’âge, la présence d’avertissements sanitaires, les arguments marketing mis en avant sur les sites (arômes, prix attractifs, les « avantages » pour la santé…), l’utilisation des réseaux sociaux par les fabricants en articulation de cette communication, les éventuels discours concernant le fabricant en tant qu’entreprise socialement responsable, etc. Au total, 31 critères ont été retenus pour cette évaluation des sites intervenue durant le mois d’avril 2021.
Un flou juridique autour de la publicité pour le vapotage en Chine
Selon l’amendement de 2018 à la loi nationale sur la publicité, les publicités pour les produits du tabac sont interdites dans les médias, les lieux publics, les transports publics et à l’extérieur, cependant rien n’est indiqué dans cette loi concernant la publicité autour des produits du vapotage. La même année, l’Administration nationale du monopole du tabac (STMA) et l’Administration nationale de la réglementation du marché (SAMR) ont publié un avis interdisant la vente de cigarettes électroniques aux mineurs de moins de 18 ans[2], ce qui constituait la première réglementation nationale sur les cigarettes électroniques en Chine. En 2019, la STMA et la SAMR ont publié un autre avis exhortant les fabricants et les détaillants de cigarettes électroniques à cesser de vendre et de faire de la publicité pour les produits du vapotage par le biais de canaux en ligne[3]. En 2019, huit agences gouvernementales ont publié conjointement un avis demandant aux fabricants de cigarettes électroniques de retirer leurs publicités sur Internet[4]. Toutefois, en l’absence d’une définition spécifique de la publicité pour les cigarettes électroniques et de mesures d’application détaillées, l’encadrement des pratiques marketing autour du vapotage et de restreindre la publicité n’a pas été possible.
En novembre 2021, quelques mois après la réalisation de cette étude, la législation chinoise a été modifiée pour placer l’industrie du vapotage sous le contrôle de l’Administration nationale du monopole du tabac (STMA), et réglementer de la même manière les produits du tabac et les produits du vapotage interdisant de fait la publicité pour le vapotage. En 2022, le gouvernement a annoncé interdire l’ensemble des arômes, excepté l’arôme tabac, pour les produits du vapotage destinés à la consommation nationale. Cette interdiction ne s’applique pas aux produits destinés à l’exportation[5].
Une communication portée sur les arômes et la réduction des risques
Dans l’étude qui avait été réalisée et dont les résultats viennent d’être publiés, chaque site web analysé mettait en avant au moins une caractéristique du produit ou de la marque dans son marketing, comme le design du produit, les arômes, les ingrédients ou encore l’appartenance à une marque. Près de 70 % des sites web étudiés communiquaient activement sur les nombreux arômes disponibles pour les cigarettes électroniques.
Près de la moitié des sites (45,2%) mettaient en avant les « avantages pour la santé » du vapotage, notamment la réduction des risques et ils présentaient les cigarettes électroniques comme une alternative à la cigarette traditionnelle. La marque RELX par exemple, cite sur son site internet, un article du blog de Public Health England intitulé « Huit choses à savoir sur les cigarettes électroniques ». L’article concluait que les cigarettes électroniques étaient « beaucoup moins nocives » que le tabagisme conventionnel et qu’il n’y avait pas de risques identifiés pour la santé liés au vapotage passif.
Parmi les autres arguments mettant en avant le produit figuraient la résistante aux fuites de e-liquides (pour 56,7%) et la longue durée de vie de la batterie (42,3 %). Près de 40 % des sites web communiquaient également sur des offres promotionnelles.
Globalement, les cigarettes électroniques y étaient décrites comme agréables, moins nocives et socialement acceptables. Selon les auteurs, l’ensemble de ces caractéristiques renforceraient l’attrait des marques et des produits et seraient susceptibles d’inciter les adolescents et les adultes à expérimenter et à utiliser durablement ces produits.
Les auteurs rappellent également qu’à ce jour, l’OMS n’a pas recommandé l’utilisation des cigarettes électroniques pour le sevrage tabagique en l’absence de données scientifiques concluantes à ce sujet.
Un discours marketing autour des activités de RSE des fabricants
Outre les arômes et la question de la réduction des risques, les fabricants communiquent également autour de la RSE puisque 43 d’entre eux (41,3 %) mentionnent leurs activités de responsabilité sociale des entreprises sur leurs sites et 11 (10,5 %) disposent d’une colonne de navigation spécialisée à ce sujet. On retrouve par exemple des programmes de prévention de la consommation du vapotage chez les jeunes (32,7 %), le « soutien » à la mise en place de mesures de lutte contre le tabagisme traditionnel (21,2 %). Cinq sites web ont annoncé des programmes marketing de parrainage sur leur site, notamment pour la protection des animaux, la lutte contre l’épidémie de COVID-19 et la lutte contre la pauvreté.
Une majorité des sites sont aisément accessibles par les mineurs
Plus de la moitié des sites web (56,7%) ne disposaient pas d’un mécanisme de vérification de l’âge à l’entrée. Bien que 43,3 % des sites web aient vérifié l’âge à l’entrée, ils n’ont utilisé qu’une fenêtre contextuelle ou de dialogue demandant aux utilisateurs de cliquer sur un bouton pour s’assurer qu’ils avaient plus de 18 ou 21 ans. Aucun ne demandait la date de naissance ou le numéro d’identification de résident chinois.
Sur les 104 sites web, trente-six (34,6 %) n’indiquaient aucune restriction d’âge pour l’utilisation de la cigarette électronique et 64 (61,5 %) sites web n’affichaient aucune restriction d’âge pour l’achat de cigarettes électroniques.
Des avertissements sanitaires quasi inexistants
Sur les 104 sites web étudiés, plus des trois quarts (76 %) ne comportaient pas d’avertissements sanitaires. Parmi les sites web comportant des avertissements sanitaires, l’avertissement relatif à la dépendance à la nicotine était le plus fréquent (16,3 %), suivi de « fumer est mauvais pour la santé » (4,8 %) et de « les cigarettes électroniques ont un impact négatif sur le cerveau et le développement respiratoire des adolescent » (3,8 %). Trois sites (2,9 %) ont déclaré que « les cigarettes électroniques sont moins nocives, mais peuvent tout de même nuire à la santé ». Les avertissements relatifs à la santé apparaissent à plusieurs endroits différents, tels que l’en-tête ou le pied de page de la page web. Les avertissements en bas de page apparaissent généralement en caractères plus petits que le reste du texte du site web et sont généralement beaucoup moins visibles et lisibles que les caractéristiques publicitaires relatives aux produits.
Renforcer la législation en vigueur sur le marketing pour protéger les jeunes
Selon les auteurs, une interdiction complète de la publicité, de la promotion et du parrainage devrait s’appliquer non seulement aux produits du tabac mais également aux produits du vapotage pour protéger les adolescents et les jeunes adultes en Chine. En outre, le gouvernement devrait mettre en place un dispositif de contrôle et de limitation pour prévenir l’accès des mineurs aux sites de vente de ces produits. Les avertissements sanitaires et les restrictions d’âge devraient être spécifiques et clairs, et leur positionnement et visibilité réglementés en détail. L’intercommunication entre les sites web officiels et les autres canaux de contact, notamment les réseaux sociaux, devrait enfin être interdite.
Mots-clés : Chine, vapotage, cigarettes électroniques, publicité, internet, marketing digital, arômes, réglementation
AE
[1] Deng H, Fang L, Zhang L, et al A comprehensive content analysis of 104 Chinese electronic cigarette manufacturing enterprise official websites Tobacco Control Published Online First: 03 May 2023. doi: 10.1136/tc-2022-057759
[2] The State Tobacco Monopoly Administration and the State Administration for Market Regulation. Notice on prohibiting the sale of electronic cigarettes to minors, 2018
[3] The State Tobacco Monopoly Administration and the State Administration for Market Regulation. Notice on further protecting minors from electronic cigarettes, 2019
[4] The National People’s Congress of the People’s Republic of China. Notice on further strengthening tobacco control among adolescent, 2019.
[5] Tobacco control laws, Legislation by country – China
