Un procès en appel devrait statuer cet été sur le sort des avertissements sanitaires graphiques destinés aux paquets de cigarettes du marché étatsunien. Après treize ans de procédures, l’issue de cette bataille judiciaire demeure incertaine.   

Les avertissements sanitaires situés sur les paquets de cigarettes n’ont guère évolué aux Etats-Unis depuis 1985 : ils se résument à un message textuel imprimé sur le bord étroit des paquets. Depuis 2002, plus de cent pays ont pourtant adopté des avertissements sanitaires graphiques, dont l’efficacité est bien plus importante que celle des seuls messages textuels, en particulier auprès des jeunes mais aussi de certains  fumeurs. Cette situation doit beaucoup au pouvoir d’obstruction de l’industrie du tabac, qui a multiplié les recours pour contrer cette initiative de santé publique[1].

Treize ans de procédures judiciaires

Les avertissements sanitaires graphiques sont pourtant prévus aux Etats-Unis depuis 2009, après l’adoption par le Congrès du Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act. Cette loi intégrait de renouveler les avertissements sanitaires textuels et d’instaurer des avertissements sanitaires graphiques, couvrant 50 % des  surfaces principales des paquets de cigarettes et 20 % des annonces publicitaires autorisées.

En 2011, la Food and Drug Administration (FDA) a rendu publics les neuf visuels qui devaient accompagner les avertissements sanitaires, accompagnés d’un renvoi vers un numéro vert d’aide au sevrage tabagique. RJ Reynolds et d’autres cigarettiers ont alors poursuivi la FDA en justice au nom du Premier Amendement, estimant que répercuter les « messages idéologiques » du gouvernement attentaient à leur liberté d’expression et ne couvraient pas des faits établis. La Cour d’appel du District de Columbia leur a donné raison en 2012, estimant que les visuels proposés étaient trop provoquants, et qu’il était intimidant d’inviter les fumeurs à arrêter de fumer.

Un autre jugement résultant d’une action engagée et perdue par les industriels du tabac contre le Tobacco Control Act a, de son côté confirmé, que des avertissements sanitaires plus grands et comportant des images pouvaient contribuer à informer le public sur les risques du tabagisme.

La FDA entre deux injonctions sur les avertissements graphiques

Confrontée à des décisions juridiques contradictoires, la FDA n’a pas donné suite à ce dossier depuis lors.  la FDA. Il a fallu un nouveau procès en 2018, cette fois-ci à l’initiative des acteurs de santé publique contre l’inertie de la FDA, pour que cette dernière s’en saisisse à nouveau. Un ensemble de onze visuels a alors été proposé au Congrès. Il s’agissait d’illustrations médicales « atténuées » par rapport à la version antérieure et sans le numéro vert d’aide à l’arrêt du tabac. La FDA a également choisi  d’accorder une large place à des affections moins connues du tabac, comme le diabète ou la cataracte.

RJ Reynolds et d’autres industriels du tabac ont à nouveau poursuivi la FDA pour ces nouvelles versions d’avertissements graphiques, en choisissant pour cela la Cour de Tyler, au Texas. Les deux juges fédéraux du Texas ont en effet été nommés par Donald Trump et semblaient plus favorables aux industriels. Cette hypothèse s’est vérifiée lorsque le juge J. Campbell Barker a rejeté les propositions de la FDA en estimant qu’elles n’étaient pas « purement factuelles », mais « provocantes » et porteuses de « jugement de valeurs ». De même, le juge a considéré que l’expression triste qu’arborait sur l’un des visuels une femme atteinte d’une tumeur au cou pouvait être interprétée comme un message idéologique sous-entendant que « fumer est une erreur ». C’est cette décision du juge Barker qui fait aujourd’hui l’objet d’un jugement en appel devant la 5^e Chambre à la demande de l’administration Biden.

Une issue judiciaire qui reste incertaine

Les perspectives de succès de cet appel semblent cependant minces, étant donnée la tendance très conservatrice de cette 5^e Chambre. Si celle-ci estime que les visuels de la FDA doivent être à nouveau révisés, le processus de révision pourrait prendre deux à trois ans et les nouveaux visuels à nouveau contestés par les cigarettiers. Si ces visuels sont approuvés par la Cour d’appel, les cigarettiers risquent de former un pourvoi devant la Cour Suprême, dominée par six conservateurs lesquels semblent sensibles aux arguments des industriels du tabac

Durant toute la durée de ces procédures, les paquets de cigarettes ne portent pas d’avertissements sanitaires graphiques qui pourraient dissuader les jeunes susceptibles d’expérimenter le tabac, ce qui est exactement l’objectif recherché par les industriels. Pourtant une étude a montré que ces nouveaux avertissements, s’ils étaient en vigueur aujourd’hui, permettraient d’épargner 539 000 décès prématurés aux Etats-Unis d’ici la fin du siècle. Le tout dans un pays qui, malgré une prévalence tabagique aujourd’hui réduite à 12 %, décompte plus de 480 000 décès annuels dus au tabagisme.

Mots-clés : avertissements sanitaires graphiques, FDA, J. Campbell Barker, RJ Reynolds.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Sachs NM, Tobacco Giants Are Fighting to Keep Graphic Warning Labels off Their Products, Slate, publié le 12 juin 2023, consulté le 14 juin 2023.

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