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Au Bénin, la lutte contre le tabagisme entravée par les accords commerciaux et l’ingérence de l’industrie

Le Bénin rencontre différentes difficultés structurelles pour mettre en application les dispositions antitabac adoptées, entre autres du fait des accords commerciaux internationaux. Les pressions des industriels du tabac sont par ailleurs permanentes, par exemple en finançant des ateliers qui focalisent l’attention sur le commerce illicite.

Au niveau formel, le Bénin semble en accord avec les principes de la lutte antitabac. Ce pays a ratifié en 2005 la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) et en 2018 le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Le 18 décembre 2017, il a adopté la loi 2017-27, prévoyant de nombreuses dispositions antitabac ; celle-ci a notamment institué l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif clos, de faire toute publicité, promotion ou parrainage des produits du tabac, de vendre du tabac aux et par les mineurs et de commercialiser des produits du tabac dans un périmètre protégeant les établissements scolaires.

Obstacles structurels et commerciaux à la lutte contre le tabagisme

Les autorités béninoises peinent cependant à rendre ces dispositions effectives. Malgré l’existence d’un Point focal antitabac au ministère de la Santé, le manque de ressources financières et la méconnaissance des dispositions de cette loi comptent parmi les freins les plus souvent soulignés. L’essentiel de la lutte contre le tabagisme est laissé aux soins de la société civile. Cette dernière, réunie au sein de la plateforme des Organisations de la société civile engagées dans la lutte anti-tabac au Bénin est à l’origine de la loi 2017-27. Portée par l’ONG Initiative pour l’éducation et le contrôle du tabagisme (IECT), cette plateforme préconise notamment la création d’un office antitabac, afin de mettre en œuvre et de coordonner la politique antitabac[1].

Dès décembre 2011, dans un rapport visant à mettre en application la CCLAT, Augustin Faton, directeur exécutif de l’IECT, avait également recommandé d’augmenter de 30 % les taxes sur les produits du tabac afin de les rendre moins accessibles[2]. De 2011 à 2014, les états membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient aussi travaillé sur ce sujet et émis en 2014 deux projets de taxation des produits du tabac, restés depuis lettre morte. Ces projets auraient notamment été bridés par les accords commerciaux internationaux dont usent les industriels pour freiner la mise en œuvre des politiques antitabac, en particulier l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et l’Accord sur les Obstacles techniques au commerce (OTC). Selon l’Observatoire de lutte contre le tabac en Afrique francophone (OTAF), le lobbying intensif exercé par British American Tobacco (BAT) auprès des membres de la CEDEAO expliquerait aussi ce gel des projets de taxation[3].

La lutte contre la contrebande tente de se substituer à la lutte antitabac

L’industrie du tabac manœuvre par ailleurs pour détourner l’attention des questions de santé publique. En février 2022, plusieurs ateliers ont été organisés dans différentes villes du Bénin (Cotonou, Parakou, Abomey) « pour outiller les différents acteurs impliqués dans la lutte anti-tabac au Bénin ». Destinés aux magistrats, aux officiers de police, aux douaniers et aux représentants du ministère de l’Industrie et du commerce, ces ateliers se concentraient sur le commerce illicite, tout en occultant les objectifs de la lutte antitabac. Officiellement organisés par « L’industrie légale du tabac », ces ateliers émaneraient de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (Sonatam)[4]. Ayant connu des difficultés suite à sa privation en 2002, la Sonatam a noué en 2017 un partenariat avec BAT et Imperial Brands, la première de ces multinationales assurant la relance de la production et la seconde octroyant un investissement de 10 milliards de francs CFA (15 millions d’euros)[5].

L’agitation de la menace du commerce illicite pour dissuader les états d’augmenter leurs taxes sur les produits du tabac est néanmoins une stratégie déployée par l’industrie du tabac dans la plupart des pays, y compris les plus industrialisés. L’enjeu est également pour les cigarettiers de prévenir l’instauration d’un système de suivi et de traçabilité indépendant des fabricants comme l’exige le protocole que le Bénin a ratifié. L’objectif pour eux est d’imposer leur propre dispositif de suivi des produits afin de garder la main sur les marchés licites et illicites.

Mots-clés : Bénin, IECT, OTAF, BAT, commerce illicite.

©Génération Sans Tabac

MF

[1] Tchokpodo M, Lutte anti-tabac au Bénin : l’ONG IECT plaide pour une meilleure application de la loi 2017-27, Miodjou, publié le 23 août 2021, consulté le 23 mars 2023.

[2] Mvondo PE, Faton A, Mise en application de la convention cadre de l’oMs pour la lutte antitabac au benin, IECT, décembre 2011, 37 p.

[3] Non à l’interférence de l’industrie du tabac dans les politiques de santé publique dans l’espace CEDEAO !, OTAF, publié le 8 septembre 2014, consulté le 23 mars 2023.

[4] Badarou A, Lutte anti-tabac au Bénin: entre défaut d’audace et le carcan des accords commerciaux, Matin Libre, publié le 23 mars 2023, consulté le 23 mars 2023.

[5] Mali : accord stratégique, Le Monde du Tabac, publié le 12 septembre 2017, consulté le 23 mars 2023.

Comité national contre le tabagisme |

Publié le 29 mars 2023