Actualités

altria-finance-campagnes-prevention-enfants

Altria continue de financer des programmes de prévention inefficaces destinés aux enfants

Pourtant dénoncés comme une forme de conflit d’intérêts, les programmes de prévention financés par l’industrie du tabac n’ont jamais cessé, révèle un article du magazine Time[1].

Le programme LifeSkills Training (LST), mis sur pied par le béhavioriste Gilbert Botvin est un programme de prévention en milieu scolaire censé détourner les enfants du tabagisme, mais aussi des usages de drogues illicites, de la violence et d’autres conduites à risques. L’un des problèmes de ce programme est qu’il est en partie financé par le groupe Altria, propriétaire, entre autres, de Philip Morris USA (Marlboro) et de US Smokeless Tobacco Co., et actionnaire de Juul. Ce conflit d’intérêts est déjà ancien, mais il perdure depuis 23 ans malgré les dénonciations dont il a déjà fait l’objet.

L’alibi de la protection de l’enfance  

C’est à la fin des années 1990 que les industriels du tabac ont commencé à financer des programmes de prévention destinés aux jeunes et aux adolescents. En 1998, le cabinet de conseil Mongoven, Biscoe and Duchin (MBD) a d’abord invité Philip Morris, puis British American Tobacco (BAT), à investir le thème de la protection de l’enfance afin de légitimer leurs interventions dans le champ des droits humains[2]. Cette tactique avait pour objectif d’intégrer les partenaires de l’Organisation des Nations Unies (ONU), afin de contrer la préparation de la Convention-Cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) portée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

La stratégie en question s’est traduite par le financement par Philip Morris du programme LifeSkills Training en 1999, et en 2000 par celui de la fondation Eliminating Child Labour in Tobacco Growing (ECLT), réunissant BAT, Philip Morris et Japan Tobacco International, et en principe destinée à combattre le travail infantile dans les plantations de tabac. Au-delà de redorer l’image des cigarettiers par des actions de responsabilité sociale des entreprises (RSE), ces projets avaient pour caractéristique commune d’être peu efficaces, et même délibérément contre-productifs.

Des méthodes de prévention peu efficaces

Ces pratiques ont été dénoncées dès le début des années 2000 par les acteurs de santé publique comme des conflits d’intérêts manifestes. Cheryl Healton, qui fut directrice la fondation Legacy et initiatrice de la campagne de sensibilisation « truth », a pu comparer celle-ci avec la campagne « Think. Don’t smoke. », lancée durant la même période par Philip Morris. Elle a constaté que la mémorisation des messages de prévention émis par l’industrie du tabac était nettement inférieure à celle d’une campagne de prévention conçue par des acteurs de santé publique. Il en résultait même une image plutôt positive de l’industrie du tabac[3]. L’industrie « se positionne comme étant une partie de la solution », a résumé Cheryl Healton au magazine Time, « le message qu’ils envoient est : ‘L’industrie du tabac se soucie vraiment de moi’ ».

Une autre étude, datant de 2006 et portant plus spécifiquement sur le programme LifeSkills Training, avait conduit aux mêmes conclusions[4] : sa faible efficacité à réduire le tabagisme, n’a pourtant pas empêché la reconduction, en connaissance de cause, du financement de ce programme par Philip Morris et son confrère Brown & Williamson (B&W). La séparation, en 2007, de Philip Morris Companies entre Altria et Philip Morris International (PMI) n’a rien modifié à cette situation[5].

Des pratiques de financement caché qui perdurent

Malgré ces alertes, le programme LifeSkills Training continue d’être diffusé depuis. Le Centre pour l’étude et la prévention de la violence (CSPV) de l’Université du Colorado l’a, par exemple, adopté en 2009 et son directeur était surpris d’apprendre ces derniers jours les sources de son financement. Il s’agit pourtant d’une pratique éprouvée, les industriels du tabac préférant ne pas apparaître en tant que soutiens financiers de ces programmes, sous peine de les discréditer. « Nous savons que notre engagement direct dans la mise en oeuvre de ces programmes n’est pas la bonne approche, c’est pourquoi nous investissons dans des programmes efficaces et validés comme le programme LikeSkills Training », concède le porte-parole du cigarettier Altria. La validation de LifeSkills Training en 1999 par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) n’est toutefois plus d’actualité ; « depuis cette époque, le paysage des produits de tabac a considérablement changé » a déclaré un représentant des CDC, en indiquant qu’il ne pouvait pas confirmer l’efficacité de LifeSkills Training.

Le large financement de LifeSkills Training par Altria permet néanmoins de proposer gratuitement des interventions, des outils et des formations d’enseignants aux établissements scolaires et universitaires, une pratique particulièrement appréciée lorsque la pandémie de COVID-19 a réduit les budgets accordés à la prévention du tabagisme et des addictions. En parallèle, Altria finance aussi des organisations de jeunesse comme Boys & Girls Clubs, 4h et Big Brothers, Big Sisters. En 2020, ce sont au total 25 millions de dollars US qu’Altria aura investi dans le pays dans des initiatives destinées aux jeunes. Une confirmation de plus que le segment des jeunes apparaît comme des plus précieux aux yeux de cette entreprise, pour non seulement améliorer son image, mais surtout afin de renouveler perpétuellement sa clientèle[6].

Mots-clés : Altria, LikeSkills Training, Gilbert Botvin, prévention, RSE

©Génération Sans Tabac

MF


[1] Ducharme J, The tobacco giant that won’t stop funding anti-smoking programs for kids, Time. Publié le 14 février 2020, consulté le 15 février 2022.

[2] Carter S, Mongoven, Biscoe & Duchin: destroying tobacco control activism from the inside, Tobacco Control, 2002;11:112–118.

[3] Farrelly M, Healton C, Davis K, Messeri P, Hersey J, Haviland L, Getting to the Truth: Evaluating National Tobacco Countermarketing Campaigns, Am J Public Health. 2002 June; 92(6): 901–907.

[4] Mandel L, Bialous S, Glantz S, Avoiding “Truth”: Tobacco Industry Promotion of Life Skills Training, Journal of Adolescent Health, volume 39, issue 6, december 01, 2006, p868-879.

[5] Altria, Tobacco Tactics, modifié le 9 décembre 2021, consulté le 15 février 2022.

[6] Toebes B, Gispen ME, Been JV, Sheikh A. A missing voice: the human rights of children to a tobacco-free environment, Tobacco Control, 2018 Jan;27(1):3-5.

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 17 février 2022