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Afrique : la contrebande de Philip Morris finance les organisations terroristes

Un travail d’investigation mené par un réseau international de journalistes montre que le représentant de Philip Morris International au Burkina-Faso est l’une des figures majeures du commerce illicite africain, et un associé de longue date des réseaux armés et criminels de l’Afrique du nord[1].

L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), regroupant des journalistes d’investigation à travers le monde entier, a pu accéder à des documents confidentiels, des dossiers judiciaires et a mené de nombreux entretiens permettant de démontrer que Philip Morris International, par sa facilitation du commerce illicite en Afrique, contribue au financement d’organisations terroristes et criminelles.

Apollinaire Compaoré, représentant de Philip Morris

Apollinaire Compaoré, représentant de Philip Morris au Burkina Faso, est connu comme étant l’un des hommes les plus riches du pays, et son « investisseur le plus dynamique ». Selon l’OCCRP, Apollinaire Compaoré est à la tête d’un empire commercial s’étendant sur cinq pays africains, regroupant aussi bien des activités d’assurance, de commerce, de télécommunication, que le secteur de la moto et de la loterie. En 2020, le média Jeune Afrique classait le magnat parmi les cent personnalités les plus influentes du continent.

Une grande figure de la contrebande en Afrique

Mais Apollinaire Compaoré, longtemps lié à l’ancien président burkinabé Blaise Compaoré (1987-2014), est également connu pour être un grand trafiquant de tabac dans six pays de l’Afrique de l’Ouest, allant de la Côte d’Ivoire à la Libye. Selon l’OCCRP, Apollinaire Compaoré est derrière la mise en circulation illégale de milliards de cigarettes à travers le Burkina Faso, finançant différents groupes armés et alimentant un conflit meurtrier dans la région. La contrebande de Marlboro a également permis de financer les axes utilisés plus tard pour le trafic de cocaïne et d’êtres humains dans le Sahel. Par ailleurs, les journalistes de l’OCCRP montrent que Compaoré a eu des relations commerciales étroites avec Chérif Ould Abidine, appelé « Chérif cocaïne », connu pour son trafic de drogues à travers le Sahel, et lié à des organisations terroristes satellites d’Al-Qaïda.

Un marché lucratif

Alors qu’il demeure « l’homme de Marlboro », l’implication d’Apollinaire Compaoré dans le commerce illicite est de notoriété publique. Le chef d’entreprise est d’ailleurs identifié en tant que contrebandier par l’Organisation des nations unies elle-même. Ce commerce est particulièrement lucratif : un ancien partenaire commercial interrogé par l’OCCRP affirme que la contrebande de tabac rapporterait plusieurs millions d’euros au « patron des patrons ».

Des liens avérés avec la criminalité et le terrorisme 

Si Philip Morris n’indique publiquement rien de sa collaboration avec Compaoré, l’intéressé la fait remonter à 1996, année de la création de ses deux sociétés de distribution, Suburex et Sodicom, entretenant l’une avec l’autre une relation étroite. Un rapport du Conseil de sécurité de l’ONU, ainsi qu’un article paru dans le Monde pointaient en 2019 l’implication de Suburex dans la contrebande, et ses liens avec des groupes armés et terroristes. Selon Raoul Setrouk, ancien consultant de Philip Morris, le fabricant de tabac était au courant de la situation. Pour ne pas apparaître impliqué dans ces zones grises, Philip Morris couvrait ces « marchés sensibles » à travers son partenaire Rashideen.

Un facteur de déséquilibre géopolitique en Afrique

Selon Hassane Amadou Diallon directeur de Transparency International au Niger, la contrebande de tabac est « la première cause d’instabilité et d’insécurité dans le pays ». Pour l’expert, le commerce illicite de tabac a financé la criminalité, qui a affaibli les douanes et l’armée, permis la prolifération d’armes et l’occupation de zones géographiques par des organisations terroristes. Philip Morris, poursuivi dans l’Union européenne pour son rôle dans l’organisation du commerce illicite, continue d’affirmer son engagement dans la lutte contre la contrebande. Toutefois, le marché burkinabé est volontairement surapprovisionné par l’industrie du tabac. Chaque année, le pays importe pour un milliard d’euros de tabac, signifiant que chaque Burkinabé fumerait au moins dix paquets par jour. En réalité, on estime que les deux-tiers de cette marchandise sont destinés à la contrebande, qui servira ensuite à l’achat de stocks d’armes et d’or pour différentes milices.

Cet exemple, loin d’être un cas isolé, souligne que contrairement à ce que son discours public suggère, l’industrie du tabac demeure directement liée à la contrebande internationale, et au financement d’organisations criminelles et mafieuses, et contribue au déséquilibre géopolitique de cette partie du continent.

 

©Génération Sans Tabac

Crédit photo : ©Le Pictorium/Maxppp


[1] OCCRP, Marlboro’s Man: Philip Morris’ Representative in Burkina Faso is a Known Cigarette Smuggler, 26 févrer 2021, (consulté le 02/03/2021)

Comité National Contre le Tabagisme |

Publié le 3 mars 2021